Belgique
Le choix de… Emmanuel François-Eugène, directeur de la création de Hungry and Foolish
Le film : Sa passion, c’est faire des pronostics sur la mort des gens. Un riche parieur, depuis sa grande maison dans la nature, se réjouit : à chaque fois qu’un jeune meurt sur la route après avoir consommé de la drogue ou de l’alcool, il gagne de l’argent. En détournant les codes des paris sportifs et en utilisant le second degré, ce spot, lancé autour du dernier Euro de football, rappelle qu’il est dangereux de conduire sous influence. Il a été réalisé pour Bruxelles Mobilité par l’agence Mortierbrigade.
Pourquoi c’est drôle : « Avec ce joueur odieux et cynique, l’idée est de faire réagir les jeunes et d’aller là où ça fait mal. Derrière ce contrepied, il y a une volonté d’amener une réaction. Une trottinette accidentée qui devient une œuvre d’art exposée dans la propriété, proposée comme une compression du sculpteur César, cela provoque quelque chose… Ce joueur, qui gagne en misant sur l’erreur des gens, se plaint même que certains soient plus prudents que d’autres, ce qui n’est pas bon pour ses finances. Là encore, réaction. »
Pourquoi ça ne marcherait pas en France : « Le film repose sur un mécanisme d’humour noir assez clivant. Cela implique que les spectateurs partagent ce sens de l’humour. Cela peut proposer l’adhésion ou le rejet. L’employer coupe d’une certaine catégorie de gens. La France n’a pas vraiment la culture de l’humour noir à quelques exceptions près. Peut-être que l’annonceur ne se risquerait pas à une levée de boucliers. »
États-Unis
Le choix de… Nicolas Skouras, directeur du planning stratégique de McCann Paris
Le film : Un bel éphèbe fait la pub d’un gel douche en interpelant les spectatrices et en leur expliquant que, bien que leurs hommes ne soient pas lui, ils peuvent au moins « sentir comme lui » : « The Man your man could smell like » est le nom de ce spot sorti en 2010 pour la marque de produits de beauté masculins Old Spice. Pendant 30 secondes, cet homme beau et musclé joue un par un sur les clichés de l’homme parfait, offrant pléthore de cadeaux et finissant sur un cheval blanc.
Pourquoi c’est drôle : « Wieden + Kennedy [l'agence derrière le spot] a magnifié un type d’humour qui consiste à se moquer de la publicité. Par ailleurs, le spot, jusqu’au-boutiste dans son voyage dans l’imaginaire publicitaire masculin, parodie la culture publicitaire. C’est un concentré de 30 ans d’idéal masculin américain. À noter que lors du Super Bowl 2021 a été diffusé un spot rappelant celui-ci. Dans « You’re not a dish », la marque Dr Squatch livre ce qui apparaît donc comme une parodie de la parodie… Le talent en moins. »
Pourquoi ça ne marcherait pas en France : « On n’aime pas la pub en France. Elle dérange, provoque du rejet. Or apprécier ce film requiert ce contrat de base. Sur un autre plan, le rythme très rapide, presque une litanie, n’est pas l'humour qui fonctionne, au profit de comédies populaires, émotionnelles voire gaguesques. Enfin, le film tend vers une forme de connivence, sur l’idée que "c’est ça, être un homme", qui ne plairait probablement pas, dans un pays qui a une vision différente de la masculinité. »
Japon
Le choix de… Julien Doucet et Lilian Moine, directeurs de création de Buzzman
Le film : L'histoire se passe sur le toit d’une maison, dont les tuiles sont en fait des humains qui, comme elles, subissent des désagréments : fiente d’oiseau, incendie, neige... Ce qui les mène à bout émotionnellement. La morale de cette histoire, réalisée par l’agence Asatsu-DK pour la marque Tsuruya, et sortie en 2016 : « Standing stronger together ». Les tuiles humaines se tiennent la main pour résister aux assauts.
Pourquoi c’est drôle : « Cette personnification est une façon de montrer les performances du produit. C’est aussi une pub qui ne se prend pas la tête et s’attache à faire rire sur un objet en soi pas du tout drôle. La dimension parodique est également présente avec une reprise des codes du cinéma et cette image d’une armée de tuiles luttant contre les éléments. »
Pourquoi ça ne marcherait pas en France : « En France, le client n’aurait pas livré un brief pour vendre une spécificité produit. La valeur se crée avec un insight, un planning stratégique. Dans certains pays, il est possible de réaliser des pubs hilarantes autour de démonstration produit. C’est le cas aussi en Argentine, comme l’illustre une pub de 2012 pour la marque de bière Andes, où un homme va vivre une histoire d’amour, parodie de comédie romantique. Sa particularité : tel un Edward aux mains d’argent, il a les mains coincées dans le goulot des bouteilles… Jusqu’à ce que la marque fasse évoluer le produit. »
Allemagne
Le choix de… Mélanie Pennec, directrice de création de DDB Paris
Le film : Un grand-père raconte sa jeunesse étudiante bousculée à 22 ans alors qu’un « danger invisible » guette et que le « destin du pays » pourrait bien basculer. Le public comprend finalement que l’homme n’a en fait pas vécu la guerre mais que c’est le coronavirus qu’il a dû combattre… en restant sur son canapé. Ce film du gouvernement allemand, diffusé sur les réseaux sociaux fin 2020, visait à inciter à rester chez soi pour combattre la pandémie.
Pourquoi c’est drôle : « Il est possible d’interpeller par l’humour même quand le message est sérieux. C’est l’idée que l’humour n’a pas de limite. Le film fait appel à une forme d’humour d’anticipation, ce qu’on ne comprend qu’en cours de route. Pour ce qui est de la fin, la musique joue pour beaucoup dans sa réussite. Il y a une montée dramatique, un discours autour de l’héroïsme, pour finalement montrer des gens qui ne font rien. On ne s’attend pas à cette chute. Ce n’est pas drôle dès le début mais cela le devient. »
Pourquoi ça ne marcherait pas en France : « Les messages de prévention gouvernementaux font davantage appel à la pédagogie, au dramatique, à l’émotion. Les Français sont un peuple polémique. Peut-être que certains auraient crié au scandale, peut-être que la communauté scientifique n’aurait pas apprécié que l’on fasse de l’humour sur la mort des gens. Les héros sont plutôt les soignants, les personnels des magasins. À un moment où les masques étaient mal approvisionnés, on se serait demandé si l’énergie était mise au bon endroit. Il faut être irréprochable pour faire rire. »
Belgique
Le choix de… Alexis Benoit, directeur de création d’Ogilvy Paris
Le film : Lion d’Or à Cannes cette année, le spot raconte l’histoire d’une femme qui reste enceinte tout au long de sa vie et perd les eaux de façon continue au bureau, à l’arrêt de bus, alors qu’elle a grimpé les échelons dans son entreprise… Pour finalement accoucher, une fois à la retraite, d’un petit vieux à lunettes. Réalisé par Mortierbrigade pour Equal Pay Day, la journée de l’égalité salariale, il met en scène la difficulté pour une femme de cumuler carrière et maternité.
Pourquoi c’est drôle : « "Eternal Pregnancy" est un film drôle, totalement absurde, avec un casting, une direction d’acteurs, une réalisation qui subliment l’idée initiale. Selon Woody Allen, "une comédie est un drame qui a mal tourné". Au départ, l’idée n’est pas drôle, l’exécution est limite car la femme perd les eaux au bureau et pendant 20 ans. C’est la tristesse et l’horreur si étirées que ç’en est drôle. »
Pourquoi ça ne marcherait pas en France : « Ça pourrait marcher. Tout le monde comprend ce que c’est que d’être enceinte ou quand quelqu’un est promu à ta place. Ce qui est réalisé dans ce film est reproductible. Le fait de parler d’une cause grave par le prisme de l’humour permet de mieux faire accepter le message. »
États-Unis
Le choix de… Sébastien Zanini, directeur de la création et directeur général de Gyro:Paris
Le film : Conçu pour le Super Bowl 2020 par l’agence Goodby Silverstein & Partners, le film vise à vendre de nouveaux pop-corn de la marque Cheetos. Sur fond du titre « U Can't touch this » de MC Hammer, le spot met en scène un mangeur de pop-corn qui, ayant les doigts teintés du colorant de sa friandise, se voit dans l’impossibilité de faire ce qu’on lui demande : traiter un dossier professionnel, aider à un déménagement, prendre un bébé en pleurs dans ses bras... En parallèle, la tête du chanteur MC Hammer apparaît dans des endroits insolites comme un tapis, un tuyau d’arrosage ou le fameux paquet de pop-corn.
Pourquoi c’est drôle : « Cela parle du produit et de la preuve produit, à savoir le fait d’avoir les doigts sales, cela ne nous amène pas ailleurs - pour cela, c’est de la vraie bonne publicité - et surtout, c’est fait dans un esprit de mauvaise foi, avec une douce méchanceté. MC Hammer est présent de manière décalée. Le film va au bout de l’absurdité de l’idée. »
Pourquoi ça ne marcherait pas en France : « L’alchimie va assez loin. C’est compliqué de mettre la tête d’un chanteur sur le corps d’un bébé et compliqué à vendre. Pour cela, il faut en amont avoir bien calé une stratégie avec le client pour pouvoir ensuite aller au bout du délire. Par ailleurs, aux États-Unis, la pop culture et la publicité, tout se mélange. En France, on sépare, on oppose. »