Tournages autorisés durant le troisième confinement, projets au rendez-vous… L’année 2021 a plutôt bien démarré pour les sociétés de production publicitaires. Mais si l’APFP, qui représente les acteurs du secteur, n’a pour le moment pas chiffré l’impact de la crise, celle-ci a laissé des traces. Parmi les entreprises interrogées par Stratégies, certaines ont limité la casse en 2020, d’autres ont vu leur chiffre d’affaires tronqué du tiers voire de moitié. Malgré ces bilans différents, elles se retrouvent sur un point : des méthodes de fonctionnement sont nées de la crise et sont désormais ancrées dans le quotidien, à commencer par les protocoles sanitaires.
Au-delà des mesures classiques (masques, distanciation…), d’autres adaptations ont été nécessaires : choisir des lieux de tournage plus grands, encadrer la restauration (catering), faire appel à des infirmiers ou infirmières... « Le surcoût lié aux contraintes sanitaires a été réduit, passant de 20 % à 30 % au début [de la crise sanitaire] à 6 % à 10 % aujourd’hui », précise Florence Jacob, présidente de l’APFP, à la manœuvre dès le printemps 2020 pour mettre sur pied un protocole strict afin de permettre la reprise des tournages.
Conséquence directe des mesures interdisant les rassemblements : le tournage en remote, c’est-à-dire à distance, s’est banalisé, et ce, pour toutes les étapes de la fabrication des films, post-production comprise. Ainsi, les équipes ont été dispatchées, avec l’agence et le client à distance, voire le réalisateur, absent du plateau et œuvrant par vidéo interposée. Une telle organisation a, par exemple, été mise en place pour un film Tag Heuer produit par Cokau Lab, sorti en novembre 2020. C'était « l’interview d’un designer qui était à Londres, avec le client en Suisse et le réalisateur à Paris, se souvient Thomas Kauffmann, réalisateur et cofondateur de Cokau Lab. Il y avait une production exécutive sur place à Londres, briefée sur chaque caméra, un intervieweur sur place, le client et la production en lien avec lui. »
Tournage retransmis à distance
Dans de telles conditions, la préparation est la clé de la réussite. « Nous avons fait plus de réunions sur des sujets plus précis, avec davantage de documents à se transmettre, et même des répétitions de tournage, comme sur un projet avec Dior », témoigne Elsa Rakotoson, dirigeante fondatrice de Frenzy Paris. Même exigence sur la post-production. Mais le remote n’est pas sans poser d’éventuels problèmes de communication au sein des équipes, de dépendance à la qualité d’une connexion, voire de sécurité quand un groupe se reconstitue dans la salle où le tournage est retransmis. « Le travail à distance peut ralentir certains tournages et il y a parfois des abus. Le côté positif, c'est qu’on demande aux gens de n’avoir qu’un seul avis », reconnaît François Brun, cofondateur et dirigeant de Quad Group.
La pratique s’est tellement développée qu’elle a donné des idées à certains. Ainsi, La Piscine, lieu imaginé par Left Productions et ouvert au premier trimestre 2020 à Paris, propose d’accueillir d’autres maisons de production dans une salle de projection pour suivre leurs tournages à distance. « Dès le début, cela devait être un espace de partage et d’émulation sur l’audiovisuel, avec aussi un espace de coworking. La pandémie a inspiré l’idée autour du remote », détaille Augustin de Belloy, CEO de Left Productions, dont les bureaux se situent au même endroit.
La relocalisation des tournages en France constitue l’autre conséquence majeure de la situation sanitaire. La tendance n’est pas nouvelle mais le Covid a rebattu les cartes. « J’ai tourné 80 % à 90 % des films de la période en France, une totale inversion par rapport à d’habitude, et avec 90 % de réalisateurs français contre 50 % ordinairement », illustre Jérôme Denis, dirigeant de La Pac. Nombre de films sortis ces derniers mois ont été produits sous les latitudes tricolores, à l’image de la dernière campagne Renault Alpine, tournée dans les Pyrénées par Frenzy, avec Havas Paris.
Décors romains
Ce paramètre géographique « imposé » permet toutefois de réagir avec plus de réactivité aux changements de mesures sanitaires et d’optimiser la sécurité des équipes, le tout pour un coût en moyenne plus élevé que pour les tournages à l'étranger, eux-mêmes pas sans risque. Résultat : tout le monde se met à tourner en France, ce qui provoque une certaine pression sur les lieux de tournage.
Reste à savoir si ce mouvement sera durable. « Quelques annonceurs rendent obligatoire le tournage en France, mais c’est une minorité. La plupart sont sensibles à l’argument financier », constate Jean Ozannat, fondateur de Henry. La problématique touche aussi à une question de création plus large, qui obligerait à adapter les histoires à la saisonnalité et au climat français.
En attendant, certaines initiatives voient le jour pour encourager une relocalisation. Epique Studio a ouvert ses portes en début d’année au Puy du Fou. Fruit d’une joint-venture entre le parc et Left Productions, il met à disposition, pour des tournages, le patrimoine du parc (400 hectares de décors de l’époque romaine à aujourd’hui, animaux dressés, costumes...) et ses infrastructures (hôtels…). « Notre but est que tourner en France soit une alternative crédible », expose Augustin de Belloy. Des marques dans la tech et le luxe ont déjà sauté le pas. Au niveau de la filière, l’APFP peaufinait fin avril le dépôt d’un dossier pour obtenir un crédit d’impôt. Cette démarche conjointe entre annonceurs, agences et producteurs doit aboutir en mai.
Au-delà, le Covid conduit à d’autres adaptations, comme de doubler les castings en cas de comédien malade ou de tourner décors et personnages séparément. « Nous avons développé le travail en direct avec les annonceurs sur 30 % de nos projets aujourd’hui », ajoute Stéphane Martin, producteur exécutif et associé de Players Paris. Sans parler de la souplesse dont le virus oblige à faire preuve. Une publicité pour la 5G d’Orange, sortie début 2021 et portée par La Pac et Publicis Conseil, aurait pu tout aussi bien ne jamais voir le jour. « Le tournage était prévu dans un musée en Lettonie : toute l’équipe part là-bas pour le préparer. Au bout d’une semaine, on apprend la fermeture du décor. Il a fallu trouver une alternative, refaire un casting d'enfants, des repérages, raconte Jérôme Denis. Au final, nous avons trouvé un musée à Budapest, où personne n’avait jamais tourné. Cela a fait un meilleur film. »
Script plus léger
Jusque dans l’écriture des films, le Covid imprime sa patte. Si les sujets et les briefs ne changent pas fondamentalement - au risque de ne pas cocher les cases notamment budgétaires pour un tournage en France -, quelques changements sont observés, comme des tentatives de mettre moins de gens ensemble à l’écran ou d’utiliser des moyens techniques pour donner l’impression d’une proximité entre eux. « Nous adaptons la création au contexte avec un côté ‘‘real life’’ assumé dans certains projets », complète Elsa Rakotoson.
La tonalité des projets s’en ressent également, par exemple dans le film anniversaire du Boncoin avec Catherine Deneuve (Boogie Nights et DDB Paris). « Le Covid n’a rien changé sinon que dans le script, nous avons peut-être veillé à être un peu plus léger, à voir le bon côté des choses, développe Julie Haget, directrice de la marque et de la publicité du site d’annonces. C’était inconscient pour l’agence et pour nous. On voulait une pub drôle, une respiration dans la période. »
Le cas américain
Aux États-Unis, les productions ont été soumises à rude épreuve. « Ici, le protocole sanitaire est très strict, très contrôlé, très respecté », avance Boris Labourguigne, associé chez Left Productions à Los Angeles. De quoi peser significativement sur les coûts de tournage et réduire la souplesse sur le plateau, par exemple quand des tests obligatoires toutes les 48 heures rendent plus compliquée la gestion d’imprévu deux jours avant un tournage. « Nous avons eu plus de travail pour organiser des tournages aux États-Unis avec des artistes qui ne pouvaient ou ne voulaient pas voyager », complète David Gitlis, dirigeant de HKCorp à Los Angeles.