Vous avez l'habitude de dire «process kills creativity». Mais aujourd'hui tout est procédure, méthode, même dans la publicité...
John Hegarty. La formule est certainement un peu provocante. Mais, de fait, tout process a toujours été un danger potentiel pour la créativité. Dans notre secteur, nous devons être très vigilants sur ce point, car nous faisons avant tout un métier basé sur des idées. Nous sommes des usines à idées ! Alors évidemment la mise en place d'une méthode est indispensable. Mais le défi est d'en trouver une qui libère la créativité au lieu de la brider.
Aujourd'hui, diriez-vous encore que la télévision est un média incontournable ?
J.H. C'est un grand débat. Il y a cinq ans si vous disiez que la publicité à la TV était incontournable, vous apparaissiez comme un dinosaure déconnecté de la réalité, de l'essor d'Internet, etc... Aujourd'hui, nous assistons, en tout cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, à une formidable renaissance de la TV. Il suffit d'observer le succès des nouveaux programmes qui attirent les meilleurs acteurs et réalisateurs notamment. Il est évident qu'aujourd'hui vous pouvez faire ce qu'il vous plaît. La révolution digitale ouvre de nouveaux et formidables moyens de communiquer. Mais c'est un non-sens de dire que la TV n'est plus un média puissant. Cela reste le média puissant pas excellence. En revanche, nous l'utilisons différemment que par le passé. La TV est désormais un média événementiel. C'est ce qu'on peut appeler l'effet "Super Bowl".
Mais comment expliquez-vous que l'intérêt du public pour les publicités TV ne cessent de baisser ?
J.H. Au début des années 90 en Grande-Bretagne par exemple, 45 à 46% du public appréciaient les films publicitaires à la TV. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'environ 10%. L'explication ? Nous avons perdu la foi dans la pub TV. Nous avons été séduits et distraits par les médias digitaux. Comme à chaque apparition d'un nouveau média, on constate systématiquement un déficit de créativité. Mais aujourd'hui, je pense que nous assistons déjà au retour de la télévision. Il est tout de même ridicule de voir encore au Festival de Cannes une affiche placée au même niveau qu'un spot TV alors que l'une s'adresse à 500 000 personnes et l'autre à vingt millions !
Diriez-vous la même chose à propos d'Internet ?
J.H. Nommez-moi une seule marque qui se soit construite grâce au digital. Je ne dit pas une marque créée sur Internet, mais construite... Il n'y en a pas.
La créativité ne serait-elle pas compatible avec Internet ?
J.H. Bien sûr que si ! Mais il faut d'abord savoir ce que veulent les gens. Je ne suis pas sûr qu'ils souhaitent voir des publicités sur leur moteur de recherche Google, leur réseau social Facebook ou leur compte Twitter.
Vous déclariez récemment : «le monde s'oriente de plus en plus vers l'entertainment». Que cela implique-t-il pour la publicité ?
J.H. En fait, notre métier a toujours fait de l'entertainment. On parle aujourd'hui d'advertainment. Mais ce ne sont que des mots, de la foutaise... Cela fait des années que notre mission est de divertir tout en étant pertinent avec la marque. Une bonne publicité, c'est de l'entertainment.
Si vous deviez créer aujourd'hui une nouvelle agence, à quoi ressemblerait-elle ?
J.H. Elle ressemblerait à un club. De plus en plus, les gens au profil très intéressant ne souhaitent plus faire une seule chose. Ils cherchent à utiliser leurs talents de différentes façons. Mon pari serait de faire en sorte d'utiliser au mieux ses talents. Regardez l'évolution des bureaux depuis ces cinquante dernières années, ils se sont de plus en plus humanisés. Les gens veulent des lieux où ils ont envie de venir tout comme ils ne souhaitent plus se cantonner à une seule tâche. Il faut tenir compte de cela. Mon idée serait donc de créer un club dirigé par un petit groupe regroupant autour de lui des membres qui recevraient un acompte mais seraient rémunérés selon les projets, avec la posssibilité de consacrer une part de leur temps à autre chose (peinture, écriture, études, voyages...). Une autre idée serait de créer une structure associant l'univers du consulting et de la création publicitaire. Un petit groupe de quatre à cinq professionnels de haut niveau serait ainsi mobilisable pour une courte période de temps. Mais comment les payer ? Là est mon idée. Prenons un client qui a un problème à régler. Au lieu de lancer une compétition d'agences, coûteuse en temps et en argent, il contacte ce petit groupe d'experts. Et sans se séparer de son agence atitrée, il leur demande d'apporter de nouvelles idées. Mais ce sera à l'agence de payer cette équipe de choc. Avec l'assurance pour elle de garder le budget... Je peux vous dire qu'elle paiera.
La cession à Publicis Groupe des 51% de parts de BBH encore détenus par les fondateurs ne menace-t-elle pas l'avenir de l'agence et à terme la qualité de son travail créatif ?
J.H. Beaucoup de personnes ont évoqué cette éventualité. Nous avons passé beaucoup de temps avec Publicis avant de conclure cette cession afin de préserver l'intégrité de BBH notamment en matière de créativité. L'accord final est clair : aussi longtemps que BBH réalisera ses objectifs de profits (de bons profits mais pas excessifs), le groupe laissera à l'agence la plus grande autonomie en terme de recrutement, de business, de rachat d'agences...
Si vous aviez 20 ans, que feriez-vous aujourd'hui ?
J.H. Je crois que je referais de la publicité. C'est une profession qui a un avenir fantastique et des possibilités qu'elle n'a jamais eu par le passé.
(encadré)
Dates et chiffres clés
1965. Directeur artistique junior chez Benton & Bowles Londres
1966. Rejoint l'agence John Collings & Partners
1967. Intègre Cramer Saatchi
1973. Co-fonde TBWA Londres en tant que directeur de la création
1982. Création de BBH avec John Bartle et Nigel Bogle
1997. BBH cède 49% de ses parts à Leo Burnett, rachetée en 2002 par Publicis Groupe
2012. Publicis rachète les 49% de parts de l'agence jusqu'alors détenues par les fondateurs
7 bureaux à Londres, New York, Los Angeles, Singapoou, São Paulo, Shanghai et Mumbai. BBH employs more than 900 staff globally.