Un an et demi qu'ils sont chez DDB Paris et les voilà déjà auréolés de quatre Lions cannois pour les campagnes Mini Maps et Honda Moto. A vingt-sept et vingt-quatre ans, il y a de quoi prendre la grosse tête: «Ça a démarré très vite et très fort pour nous, mais ça nous met surtout une grosse pression pour ce qui va suivre», lancent, tout sourire, les jeunes créatifs Alexis Benbehe et Pierre Mathonat.
«Dans les mois qui viennent, ils vont osciller entre la pression et la dépression, devoir bosser sur de grosses compétitions aux budgets rébarbatifs. Ils vont aussi recevoir un coup de téléphone d'Olivier Altmann [directeur de la création de Publicis Conseil] et un mail de Stéphane Xiberras [directeur de la création de BETC]…», leur prédit avec malice Alexandre Hervé, vice-président en charge de la création chez DDB Paris. Plus sérieusement, ce dernier ajoute: «C'est sûr, à présent, ils vont être courtisés et DDB n'a pas les moyens d'une grosse agence pour les convaincre forcément de rester. Nous fonctionnons un peu comme un centre de formation, mais c'est le jeu du marché.» Pour le moment, les deux jeunes talents se disent très motivés – et très surveillés – par le «loup gris», surnom qu'ils donnent à leur directeur de création.
Dix-huit mois, c'est si proche qu'Alexandre Hervé se souvient encore très bien du «book» présenté par ses futures recrues: «Il n'y avait rien de classique dans leurs travaux. On y entrevoyait déjà leur talent et leur humour. Cela détonnait par rapport aux books d'étudiants que je peux voir habituellement, remplis d'exercices scolaires et formatés.»
Décrivant le bureau actuel de ces jeunes créatifs comme «un grand cendrier» ou «un magasin de jouets», le directeur de la création de DDB Paris qualifie Pierre Mathonat et Alexis Benbehe de «nerds» et de «geeks». «Ils ont aussi cette insouciance et cette liberté de ton que l'on trouvait dans la publicité d'il y a encore quelques années», ajoute celui qui inaugurait lui-même en 1999 le prix des jeunes créatifs lancé par Stratégies, avec son compère Samuel Kadz (lire l'encadré).
Croire à une idée jusqu'au bout, aussi hasardeusesoit-elle, et se donner soi-même les moyens de la réaliser, c'est le refrain qui semble animer les deux jeunes créatifs, à la fois concepteur-rédacteur et directeur artistique, avec une forte inclinaison toutefois pour la direction artistique. Tous deux sont issus de la même école de graphisme parisienne, Olivier de Serres. «Cette école nous a donné ce goût de la débrouille et d'oser tout tenter. Même si nous avons un peu décroché de l'enseignement classique la dernière année pour nous consacrer à la production de travaux personnels, nous avons appris beaucoup là-bas», raconte Alexis Benbehe.
Pourquoi avoir choisi la publicité? «En effet, nous aurions pu rester dans le graphisme, mais travailler en agence nous motivait plus. Nous trouvions le principe de création très stimulant», confie Alexis Benbehe.
Le digital, une matière vivante
La genèse de la campagne Mini Maps (sortie en juin 2011) pour la marque Mini France (groupe BMW) leur fait encore briller les yeux: «Au début, nous travaillions sur un autre brief pour un autre modèle de la marque. Dans le même temps, un brief était en cours sur le digital, plus spécifiquement sur la Mini. Quand nous sommes arrivés avec cette idée d'un jeu de course numérique sur les routes du monde entier, tout s'est accéléré. Notre idée a été validée et la grosse machine de production s'est aussitôt mise en marche. Ça nous a fasciné.» Depuis la campagne a été récompensée dans plusieurs festivals à l'international, notamment avec trois Lions (or, argent et bronze) à Cannes et une récompense en or au Club des directeurs artistiques new yorkais. «Mini Maps, c'est d'abord le jeu auquel nous aurions aimé jouer», explique Alexis Benbehe. Et pour cause, les deux jeunes créatifs sont des passionnés de jeux vidéo. Jusqu'à passer ses week-ends et ses vacances à faire de la programmation pour Pierre Mathonat.
Imprégnés de nouvelles technologies, ils incarnent cette génération des «creative technologists». Un profil très en vogue dans les agences de publicité qu'elles soient américaines, françaises ou suédoises. Pour eux, le digital est une matière vivante, mouvante qui les inspire. «Avec ce média, nous avons l'impression de participer à quelque chose qui n'existe pas encore», estime Pierre Mathonat. «En ce moment, il ne faut vraiment pas décevoir le client dans le digital, car c'est un budget que l'agence de publicité peut se voir enlever du jour au lendemain», poursuit le jeune créatif.
Toutefois, s'il faut reprendre ses vieux stylos pour crayonner un print pour Honda Moto ou pour réfléchir à un slogan pour L'Equipe, les deux jeunes créatifs ne sont pas non plus démunis. Dans ce métier dans lequel ils avancent, l'agence Wieden & Kennedy est leur référence. «Parce qu'elle a su construire des marques que l'on a envie d'aimer», estime Alexis Benbehe.
Mais leurs sources d'inspiration profonde sont plus à chercher du côté des ouvrages de science-fiction, des dessins du Français Moebius ou de l'Américain Chris Ware pour ses couvertures du New Yorker. S'entassent aussi des livres-objets de la très originale maison d'édition McSweeney's fondée par Dave Eggers à San Francisco. Comme quoi, il n'y a pas que des joujoux dans leur bureau.