Vendredi 8 juin. Vincent Bolloré, manifestement agacé, réunit les principaux responsables d'Havas. Objet de la réunion: la réorganisation du groupe en France (environ 20% de l'activité). Confiée à Yannick Bolloré et Stéphane Fouks, vice-présidents d'Havas, depuis la démission surprise en avril dernier de Laurent Habib de la direction générale d'Havas France et de la présidence d'Euro RSCG C&O, la réflexion sur le sujet s'éternise. Un peu trop au goût de l'industriel. Au diable donc les réticences des uns et la prudence des autres, le président d'Havas dicte cette fois bien plus que de grandes lignes à suivre mais un projet déjà bien avancé. En voici le contenu.
A première vue, on est loin du «grand soir». Point de bing bang publicitaire ou de rapprochements à marche forcée comme le groupe et tant d'autres dans ce secteur en ont l'habitude. Non, Vincent Bolloré semble plutôt privilégier une organisation de transition. Loin de l'ambition initiale, en tout cas de celle que le marché pouvait lui prêter. Mais l'idée reste la même: construire aux côtés de BETC, l'agence phare du groupe en cours d'autonomisation, une nouvelle enseigne forte sous la marque Havas. Le projet n'est pas nouveau. Nombre de d'hypothèses ont été étudiées ces derniers mois afin d'accroître les synergies entre ses nombreuses agences. C'est d'ailleurs parce qu'il estimait ne pas avoir suffisamment les mains libres pour mener à bien son propre projet en la matière que Laurent Habib a quitté le groupe.
Une opération de plus grande ampleur que prévue
Si Vincent Bolloré a tapé du poing sur la table, il a toutefois fait en sorte de ménager les susceptibilités des uns et des autres, en proposant de constituer une sorte de fédération d'agences qui pourrait prendre le nom d'Havas Village. Le nouvel ensemble regrouperait Euro RSCG 360, Euro RSCG C&O et H, mais aussi – à sa demande express – Havas Media France. Soit quelque 1 700 personnes pour une marge brute de près de 200 millions d'euros. Toutes ces agences seront réunies dans la nouvelle tour Bolloré de Puteaux (Hauts-de-Seine), où viennent d'emmenager les principales enseignes du groupe. Havas Sports & Entertainment, Havas Events et Havas Production, filiales d'Havas Media France, s'installeront quant à elles dans l'immeuble voisin Quai 33. En incluant sa filiale médias, ce qui n'était pas prévu initialement, Vincent Bolloré donne ainsi à l'opération une toute autre ampleur. Cette volonté de réunir médias et création a d'ailleurs déjà été mise en œuvre à l'étranger, à New York mais aussi en Espagne et en Italie.
Pour faire exister ce nouveau mastodonte, un comité de direction composé d'Agathe Bousquet, codirectrice générale d'Euro RSCG C&O, Dominique Delport, président d'Havas Media et Christophe Lafarge, coprésident de l'agence H, animerait un conseil regroupant les vingt principaux managers des différentes sociétés constituant Havas Village. Autant dire que le premier défi de cette nouvelle organisation sera d'éviter les batailles d'ego. C'est sans doute pourquoi Vincent Bolloré a prévu d'assurer en personne la présidence d'Havas Village. Son fils, Yannick, reprenant pour sa part, en plus de ses actuelles fonctions, la direction générale d'Havas France qui chapeaute, en sus d'Havas Village, BETC, W&Cie et Leg.
Reste à faire travailler tout ce beau monde ensemble. Le pari est audacieux. Quid en effet des éventuels conflits d'intérêts et de la répartition des tâches? Sur le premier point, le groupe, qui compte plus que jamais s'appuyer sur la diversité de l'offre de ses nombreuses enseignes, ne s'interdirait pas de constituer des équipes ad hoc. Quant au rôle de chacune des agences, leur positionnement reste inchangé : H demeure l'agence publicitaire «pure-player» avec pour client structurant Citroën; Euro RSCG C&O fournit l'offre intégrée du nouvel ensemble, avec une base historique corporate et pour principaux clients EDF, Banque Populaire et Areva; Euro RSCG 360, qui vient de décrocher deux nouveaux clients, Eram et Bricorama, reste l'agence experte en «retail» et consacrée aux annonceurs de taille moyenne.
Les «Euro» changeront de nom
Sur le papier, voilà une palette de compétences et de services fort alléchante... De fait, quelques grands comptes du groupe, comme EDF, Orange ou LVMH ont déjà recours à cette offre intégrée. Citroën pourrait être tenté. Le constructeur n'a-t-il pas déjà confié à Havas Event le lancement de sa DS4 à Shanghai? Mais pour que le collectif prenne définitivement le pas sur les intérêts particuliers, la création à l'horizon 2013 d'un compte de résultat commun à toutes les entités d'Havas Village ne sera pas un luxe pour réellement donner corps au projet. Quoi qu'il en soit, chaque enseigne de la nouvelle entité gardera son autonomie et son nom. Celui-ci devant toutefois intégrer la marque Havas. C'est pourquoi Euro RSCG C&O et Euro RSCG 360 changeront de nom d'ici septembre.
Mais, pour l'heure, tout cela reste encore à finaliser, indique-t-on chez Havas. Une annonce ne serait d'ailleurs pas attendue avant juillet voire septembre. Car si la parole de Vincent Bolloré est d'or, nul, en interne, ne sous-estime la capacité d'inertie voire de nuisance de telle ou telle baronnie.