Soixante-six millions de procureurs… et peut-être autant d’infectiologues. On n’a jamais autant parlé de santé qu’en 2020, et pour cause. Pour les communicants spécialisés, cette inflation médiatique causée par la crise sanitaire a constitué le cadre quotidien de leurs prises de parole, nécessitant une certaine adaptabilité. « Pour les agences santé, l’année a démarré de façon hétérogène, constate Thierry Kermorvant, président de la délégation Santé de l’AACC. Certaines ont plus souffert que d’autres, selon la proportion de leur activité réalisée dans le domaine de la promotion. » En effet, avant toute action de communication autour des médicaments, une autorisation doit être demandée à l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) mais celle-ci, depuis le printemps 2020, a resserré les modalités de dépôt et réduit le rythme de traitement des demandes, ce qui a ralenti la publicité autour des médicaments. Restait la communication d’environnement, incluant l’information autour des pathologies ou la prévention. Les agences plus actives dans ce domaine ont donc mieux résisté.
Pic d'activité
Après une interruption plus ou moins ressentie en mars 2020, la reprise a été au rendez-vous. Les agences santé interrogées par Stratégies ont été nombreuses à décrire un pic d’activité au dernier trimestre 2020, permettant même, dans certains cas, de rattraper les mois les plus difficiles. « De septembre à décembre, cela a été une folie, avec un nombre de consultations incroyable », illustre Loris Repellin, CEO d'Havas Health & You, réseau d’agences incluant Havas Life, Health4Brands et Fullsix Life, qui enregistre +30 % de marge brute en 2020. Le besoin d’information autour des nouveaux produits ne s’est pas éteint et les campagnes non directement liées au Covid ont continué. « Par rapport au marché de la communication en général, la communication santé a été légèrement impactée mais pas tant que cela car la reprise a été assez rapide », synthétise Thierry Kermorvant.
Tournant digital
Au global, la situation a vivement accéléré la digitalisation du secteur. « La crise a été un accélérateur pour les laboratoires pharmaceutiques notamment en termes d’usages digitaux. La pandémie a créé cette urgence de la digitalisation pour repenser ses modes d’engagement avec les professionnels de santé », dépeint Matthias Moreau, directeur général de Publicis Health France, qui a réalisé un chiffre d’affaires en croissance de 8 % en 2020. Si les laboratoires avaient déjà entamé le processus, ils ont été obligés de s’adapter. À l’hôpital, les visiteurs médicaux ne peuvent plus passer, les médecins sont submergés, les priorités ne portent plus sur les mêmes sujets. Dans ce contexte, le digital devient le canal privilégié pour communiquer avec les professionnels de santé comme avec les patients, dans le cadre de campagnes d’environnement B to C. « Cette crise a été marquée par l’accélération de la prise en compte du rôle sociétal du patient », remarque Philippe Pariente, président de McCann Health France, qui a enregistré +12 % de croissance de marge brute entre 2019 et 2020.
Formats « à la Brut »
Cela passe par différents outils. « Des formats plus interactifs, plus courts, à la Brut », commente le patron de Publicis Health France, avant de citer une campagne du laboratoire GSK tournée en immersion pour éclairer le parcours patient à l’hôpital Foch à Suresnes, près de Paris. En parallèle, les réseaux sociaux sont privilégiés. « Les acteurs de la santé investissent de plus en plus le social media, c’est une tendance de fond, déclare David Réguer, dirigeant fondateur de l’agence digitale spécialisée dans la santé RCA Factory, en légère croissance en 2020. Avec différents enjeux comme proposer des dispositifs de soutien - c’est par exemple ce qu’a fait le laboratoire Lundbeck avec le lancement d’une plateforme sur la dépression déclinée en des communautés sur Facebook et Instagram - ou encore inciter les patients à revenir dans le parcours de soin, comme avec AstraZeneca. »
Éviter l’opportunisme
De leur côté, les agences ont dû faire de la pédagogie auprès de leurs clients, digitaliser les éléments de communication, imaginer de nouveaux formats. Sans même parler du fait de devoir adapter leurs propres méthodes de travail. « Le mode de fonctionnement avec nos clients a été bouleversé. Nous n’avons pas vu certains d’entre eux depuis un an. Mais on les voit bien plus souvent et en équipes plus nombreuses à travers les écrans », raconte Odile Finck, présidente fondatrice de l’agence de communication santé Action d’Éclat, au chiffre d'affaires stable en 2020.
Nombre de projets ont été remaniés pour être adaptés à l’actualité. « Nous avons observé une reprise rapide avec la problématique de réadapter les campagnes prévues, aussi bien dans la tonalité que le contexte », retrace Olivier Martin-Dupray, cofondateur et directeur associé de l’agence digitale Addiction Agency, qui réalise la moitié de son chiffre d’affaires dans le domaine de la santé, un chiffre lui aussi stable en 2020. Dans la tonalité, l’idée était de ne pas parasiter les messages sur le Covid, par exemple sur les gestes barrière, ni sonner faux ou donner l’impression de profiter de la situation. Autant d’obligations à cumuler avec la nécessité de ne pas nourrir un climat déjà anxiogène. « Nous nous sommes posé des questions sur l’interprétation potentielle des campagnes, pour ne pas être taxés de Covid-washing », explique le dirigeant dont l’agence a par exemple, l’été dernier, accompagné une campagne de Merck - MSD France autour du VIH. « Pour cette campagne régulière décalée cette année à l’été, l’idée était de surfer sur la liberté retrouvée pour délivrer des messages de prévention », indique Olivier Martin-Dupray.
Cette marche forcée vers le digital a toutefois ses limites. « Le secteur était en retard, il s’est digitalisé, mais on constate un effet de balancier d’un retard initial à une énorme déperdition de moyens, les médecins n’étant pas toujours derrière leur ordinateur, décrit Frédéric Maillard, président de l’agence Fmad, qui projetait de réaliser en 2020 un chiffre d’affaires stable et un résultat net en hausse. Les laboratoires sont en train de s’en rendre compte, leurs services marketing commencent à voir qu’on est allés trop loin. On pourrait revenir aux mailings papier et aux visiteurs médicaux mais il faut continuer à utiliser le digital, à déployer des plans média complémentaires. »
« Vivons cachés »
Au-delà de la digitalisation, l’autre enjeu porte sur des questions d’image de marque. Les laboratoires n’ont jamais autant été sous les feux des projecteurs, avec une image en demi-teinte, pour ne pas dire franchement mauvaise parfois, certains étant par exemple accusés de ne pas produire assez vite le vaccin contre le Covid. « Travailler sur le corporate prend d’autant plus de sens aujourd’hui », traduit Philippe Pariente. « L’industrie pharmaceutique a longtemps privilégié le "Pour vivre heureux, vivons cachés". Au sein des laboratoires, on s’oriente vers des prises de parole plus claires. C’est une réponse à leur mauvaise image et à leur mise en lumière avec le vaccin. Cela modifie leur perception, plutôt en bien », renchérit Alain Sivan, président de DDB Health Paris et TBWA Adelphi, qui n’ont pas enregistré de croissance en 2020.
« La crise a demandé plus de transparence et de communication, développe Loris Repellin, chez Havas Health & You. Jusqu’à présent, il y avait un peu plus de frilosité à la prise de parole. Depuis, nos clients ont davantage communiqué, par exemple à travers des messages corporate sur leur engagement ou un soutien aux grandes causes comme Octobre Rose, pour la prévention du cancer du sein. » L'enjeu pour les mois à venir : resacraliser la parole scientifique, mise à mal à force d’être exposée sur les plateaux TV, dans un temps médiatique qui n’est pas le sien. Et reprise par 66 millions de commentateurs.