Communication
Les seigneurs de la communication règnent sur 34 des 40 premières cotations de la place de Paris, mais le gâteau se partage désormais à quatre, voire à six. La politique n’est jamais loin, selon une étude exclusive menée par VcomV pour Stratégies.

Menée à partir d’entretiens avec 60 journalistes, 30 dircoms ou directeurs médias du CAC 40 et 15 professionnels en agences, dont leurs patrons, l’étude de Vincent de La Vaissière, fondateur de VcomV, permet de mesurer les forces et faiblesses des agences de conseil stratégique et les évolutions à l’œuvre dans la galaxie des quatre plus influentes : Havas, Image 7, DGM et Publicis Consultants.

Longtemps, on ne comptait que trois faiseurs de rois : Michel Calzaroni (DGM), Anne Méaux (Image 7) et Stéphane Fouks (Havas). Puis, Clément Leonarduzzi a donné un nouveau souffle à Publicis Consultants, avant d’être recruté comme conseiller en communication de Macron. Avec ses dix clients du CAC 40, l’agence désormais présidée par Alexandra Laferrière représente 760 milliards d’euros de capitalisation boursière, contre 732 pour DGM avec 9 clients, 539 pour Havas (8 clients) et 496 pour Image 7 (11 clients). Publicis Consultants, qui ne totalisait que 75 milliards en 2017, a donc multiplié par dix sa sphère d’influence quand les autres se contentaient de doubler leur surface. À elles quatre, les « big four » travaillent pour 34 groupes du CAC 40. Leur chance ? Une année post-Covid qui les a amenées au cœur de batailles boursières : Veolia/Suez, Vivendi/Lagardère, LVMH/Tiffany, Bombardier/Alstom, Carrefour/Couche-Tard, Niel/Unibail…

 

Emprise sur le pouvoir en place

Les agences figurent dans les deals au même titre que les banques d’affaires et les cabinets d’avocats. Avec une particularité française qui laisse peu de place aux firmes étrangères : « Il n’y a jamais eu autant d’emprise de ces agences sur le pouvoir en place », note Vincent de La Vaissière. Outre le spin doctor de Macron, on retrouve Mayada Boulos (ex-Havas), son alter ego à Matignon. Havas a placé à elle seule 15 conseillers en cabinets ministériels (sur 40).

En plus de sa force d’agence intégrée et son réseau international, la maison peut compter sur son esprit de groupe et sa politique d’essaimage. Si Havas était une ruche, Stéphane Fouks en serait la reine. Les grands groupes suivent (Veolia, Lazard, Altice…). Gilles Finchelstein a pris la place de Bernard Sananès et s’impose comme « l’intellectuel », pour ses pensées de fond, notamment avec la Fondation Jean Jaurès, dont il est le directeur général. Les faiblesses de l’agence ? Une armée de juniors après le rendez-vous avec les gourous. 

Clément Léonarduzzi, ex-patron de Publicis Consultants, a profité du retrait de Maurice Lévy pour s’imposer. Mais sevré des reporting financiers récurrents, il ne reviendra sans doute pas, songeant à créer sa propre structure. L’agence peut compter sur Alexandra Laferrière pour tenir la maison. Issue du lobbying plus que de la presse, sa culture internationale et ses connaissances en high tech sont vues comme de sérieux atouts pour la nouvelle génération de patrons, et collent à la stratégie globale de Publicis. Maurice Lévy, Arthur Sadoun et Agathe Bousquet, sont vus comme des apporteurs d’affaires de poids. Cette dernière a d’ailleurs joué son rôle dans la remontée de l’agence.  

 

Carton plein

Chez DGM, Michel Calzaroni reste loué pour sa connaissance du capitalisme, son implication auprès de ses clients – Bernard Arnault et Vincent Bolloré notamment -, sa capacité à montrer les coulisses, à donner une compréhension globale et à gérer des crises majeures. C’est à la fois un fidèle au service de ses suzerains et un sage qui sait nourrir en récits ses obligés. Avec son associé Olivier Labesse, complémentaire car davantage tourné vers le « new business » mais tout aussi fort en relations presse, il a fait « carton plein » sur les grands dossiers de 2020, ce dernier traitant Couche-Tard, LVMH-Tiffany ou Meridiam. Seul hic, la mésentente entre les deux associés, Calzaroni cherchant à vendre ses parts pour s’offrir une retraite dorée.

Quant à Image 7, elle profite de la force de son réseau patronal, notamment dans les groupes familiaux (Bouygues, Pinault, Ricard…). Anne Méaux gère d'ailleurs son agence comme une famille, avec une solidarité d’équipe, un sens aigu des crises (Fillon, Ghosn…) et des relations publiques sur lesquelles elle s’appuie à travers dîners et cocktails. Image 7 rassure les patrons qui savent qu’elle ouvre bien des portes. Mais ses faiblesses sont l’absence de relève, une trop forte personnalisation, un complexe de supériorité, ou un faible ancrage dans le digital.

L’oligopole fait face aujourd’hui à des besoins changeants. Le digital et les réseaux sociaux placent les entreprises dans état de « crise permanente ». De nouveaux sujets émergent qui nécessitent des réponses adaptées sur les questions de santé, scientifiques, de RSE... Les groupes ont besoin d’expertises plus poussées et auxquelles des cabinets dédiés répondent : l’analyse des réseaux sociaux (Lucy), les assemblées générales (Capital Com), la communication judiciaire (Vae Solis), les « situations spéciales », comme le dépôt de bilan ou la fermeture de sites (CorpCom) etc. 

 

Effet générationnel

Pour diversifier les expertises, les annonceurs recourent moins à l’agence unique qui s’occupe de tout. La plupart font désormais appel à deux des « big four ». Autre dynamique : l’effet générationnel. « On assiste à un renouvellement sans précédent des dirigeants », assure Vincent de La Vaissière. Depuis 2019, pas moins de 12 nouveaux patrons du CAC 40. L'Oréal, Renault, Atos, ArcelorMittal, Engie, Bouygues... Leurs dircom se sont rajeunis et leur niveau s’est musclé. « Près d’un tiers des dircom du CAC 40 ont été formés en agence, et quasi exclusivement au sein d’Image 7, Havas, et Publicis Consultants. Donc ils savent comment ça marche. On ne peut pas leur en conter, car ils savent compter ! », pointe-t-il. En outre, dans les entreprises, les dépenses se justifient de plus en plus. La culture de l’oralité - de l’agence comme « assurance vie » et les fameux « contrats dormants » - risque de prendre un coup. Entre un marché qui se fractionne, de nouveaux décideurs, et des honoraires revus à la baisse, tous les ingrédients sont là pour renouveler les acteurs.  

L'agence Plead, tenue par Anton Molina, ancien du Medef, et Yves-Paul Robert, spécialiste des com de crise à Havas, est un bébé de l’école Fouks. L’agence a su intégrer le digital, via un partenariat avec 500 influenceurs corporate. Elle gère le conseil permanent et global de BNP Paribas et n'est pas en reste sur la com de crise avec Cyril Hanouna ou AstraZeneca. Le cabinet Taddeo, quant à lui, vient de récupérer Sciences Po et le Medef. Avec à sa tête, Julien Vaulpré, spécialiste de l’opinion ayant une sensibilité économique et internationale, il incarne aussi la relève car il a également un compte du CAC 40 : Axa (avec DGM). Son fondateur mise sur l’écrit et une relation très « pro » avec ses clients. Il a travaillé avec Jean Castex et Bruno Le Maire sous Sarkozy et présenté à Macron un ancien de la campagne d’Obama. La politique, on y revient !

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