Intéresser les moins de 30 ans avec des sujets aussi complexes et difficiles d’accès que la crise au Liban, le bitcoin ou encore le scandale des Paradise papers : telle est l’ambition de Monkey, petit frère de la société de production d’Emmanuel Chain, Elephant (Sept à huit, Fais pas ci, fais pas ça…), lancé en toute discrétion à la rentrée dernière et qui totalise plus de 2 millions de vidéos vues. Comme avant lui Brut, qui vient de fêter son premier anniversaire, Monkey est un média vidéo diffusé exclusivement sur les réseaux sociaux (Facebook, YouTube, Twitter), qui s’adresse avant tout aux millennials avec des vidéos de 3 minutes sur les grands sujets d’actualité internationale, politique, économique, scientifique et environnementale.
Information LOL
En janvier, ce sera au tour de Loopsider de mettre en ligne ses premières vidéos. « Nous voulons faire venir à l’information des gens qui ne viennent plus, grâce à trois composantes importantes : la vidéo, une distribution sur les plateformes sociales et une façon très engageante de présenter l’information pour donner envie de partager », résume Johan Hufnagel, ancien directeur des éditions de Libération et aujourd’hui responsable éditorial de Loopsider. Autres fondateurs du nouveau pure player, l’ex-directeur général délégué de Dailymotion, Giuseppe de Martino, l’ancien patron du numérique d’Eurosport, Arnaud Maillard, et Bernard Mourad, ancien banquier de Patrick Drahi.
En ligne de mire de ces nouveaux médias, les 15 -35 ans, de plus en plus difficiles à toucher sur les médias traditionnels. Selon la dernière édition du Reuters Institute digital report, 33% des 18-24 ans s’informent aujourd’hui principalement sur les réseaux sociaux, devant la télévision (24%), les journaux papier (5%) et la radio (4%). « C’est une génération qui aime l’information LOL mais qui est aussi curieuse du monde dans lequel elle vit à condition de savoir lui parler », observe Emmanuel Chain, président et fondateur d’Elephant aux côtés de Thierry Bizot.
À regarder les vidéos les plus populaires sur Facebook, on comprend le boulevard dans lequel Monkey et Loopsider entendent bien s’engouffrer. Selon la start-up Vidclust, les éditeurs français qui ont généré le plus de vues sur Facebook en octobre sont Sais-tu que ?, Chefclub, Creapills et MinuteBuzz, des producteurs de vidéos dont le positionnement relève davantage du divertissement que de l’information, en un mot, des pure players du LOL. Seul média d’actualité au classement, Brut, qui se classe dixième, derrière Aufeminin et Topito. En octobre, celui qui a ouvert la voie sur la vidéo sociale d’actualité a totalisé plus de 65 millions de vues.
« Il y a de la place pour plusieurs médias d’information en vidéo sur les réseaux sociaux. Brut se positionne davantage dans l’instantanéité, nous, dans le décryptage », insiste Emmanuel Chain. « Notre principal concurrent à tous, ce sont les producteurs de fake news », renchérit le responsable éditorial de Loopsider, qui sera présent à son lancement sur Facebook, Instagram, YouTube et Twitter, avec des vidéos d’actualité allant de 6 secondes pour les gifs animés, à 6 minutes.
Information incarnée
Points communs de ces nouveaux médias qui s'inspirent de pure players étrangers comme Now This, AJ+ ou encore Playground : un ton très accessible, familier presque, des sous-titres qui permettent à l’utilisateur de regarder la vidéo sans le son et une place importante accordée au graphisme, qui vient en complément des images tournées, le tout, conçu pour une consommation sur smartphone. Dans le cas de Monkey comme de Loopsider, l’information se veut aussi incarnée ; le phénomène des youtubeurs est passé par là. Deux journalistes, Elise Baudouin et Nicolas Roux, servent de fil rouge à l’ensemble des vidéos produites par Monkey (une par jour aujourd’hui, davantage à partir de janvier). Même envie du côté de Loopsider. « Il faut qu’on aide les gens à entrer dans l’information. C’est une erreur de faire des médias numériques froids dans lesquels les journalistes n’apparaissent jamais », tranche Johan Hufnagel. Autre point commun : la gratuité des contenus, cible oblige, et donc un modèle basé sur la publicité, brand content en tête.
Un autre acteur entend bien s’inviter dans le jeu à compter de janvier 2018 : Blackpills. Lancé en mai dernier par Patrick Holzman, fondateur d’Allociné, Daniel Marhely, créateur de Deezer, et financé par le patron de Free, Xavier Niel, Blackpills s’est d’abord positionné sur les séries courtes (une dizaine d’épisodes de 10 minutes par série) avec pour cible les 16-25 ans. Le média, qui revendique plus d’un million d’utilisateurs actifs par mois sur l’ensemble des vingt pays où il est présent, veut désormais s’étendre au « non-scripted » avec des documentaires, des pastilles d’actualité quotidienne et des docu-réalité. Pour l’occasion, il a recruté Myriam Weil (Canal+) et Frédéric Jacquette (Shine Group), avec pour objectif de produire une heure de contenu par jour au démarrage.
Mais contrairement à Brut, Monkey ou Loopsider, ce n’est pas sur les réseaux sociaux mais au sein de sa propre application mobile que Blackpills entend diffuser ses contenus. « Sur Facebook, vous n’avez aucune maîtrise du nombre de personnes que vous touchez. C’est un pari dangereux », estime Daniel Marhely. Les récents tests menés par Facebook dans six pays autour d’un onglet Explorer, qui rassemblerait l’ensemble des publications organiques des marques et des médias, pourraient bien lui donner raison. En cas de généralisation, seul le sponsoring de posts permettrait aux médias d’apparaître dans le fil d’actualité principal des utilisateurs. « Quand vous êtes producteur télé, vous êtes dépendant des diffuseurs », relativise Emmanuel Chain. Et le dirigeant de la société de production Elephant d’ajouter : « je suis convaincu que les dirigeants des grandes plateformes ont compris leur intérêt à valoriser les contenus de qualité ».