Avant même de voter, sans une once d’hésitation, le jury a pris sa décision: «Stop This Movie», campagne de We are social pour la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l'homme) a été donnée gagnante de cette deuxième édition du Grand Prix de la production publicitaire. Et pour cause… Déjà couronnée au Grand Prix Stratégies du marketing digital, le dispositif a obtenu cette fois deux gold et l’excellente moyenne de 9 sur 10 en digital et près de 8 en cross-media. «L’ensemble du jury a très bien noté la campagne, et face à un film comme “L’Aventure d’une vie” de BETC pour Leroy Merlin, qui a coûté beaucoup d’argent pour un résultat moyen, selon moi, voir une énergie de production mise au service d’un tel message est bien plus intéressant. Le fait de sauver des vies faisait qu’il n’y avait pas matière à discussions», explique Olivier Bassuet, membre du jury, dirigeant d'Art Bridge (Quad).
Effet cinématographique
«Stop This Movie» fait suite au rapport de la FIDH montrant l’existence de crimes commis au Burundi sous des directives de l’Etat. Une situation préoccupante, pré-génocidaire même. «La seule contrainte que nous avions au départ, c’est que nous ne pouvions pas parler de génocide [la qualification de génocide fait l’objet d’un encadrement juridique repris dans l’article 6 du Statut de Rome, acte fondateur de la Cour pénale internationale], même si ce sont les mêmes indicateurs», précise Thomas Guilhot, directeur de la création de We are social. Mais afin de rendre compte de cette situation critique, l’agence n'a pas pris en compte cette contrainte et conçu un dispositif s'appuyant sur un trailer inspiré de ceux des films d’épouvante, dont notamment Buried, sorti en 2010. «Comme pour ce genre de trailer, il fallait des images rapides, presque subliminales avec beaucoup d’effets sur les transitions, le but étant d’ouvrir l’imagination.» Sauf que grande cause rimant avec petits moyens, le client n’avait pas suffisamment de budget pour envoyer une équipe sur place. «Il faut être malin pour ce genre de campagne où l'on produit sans argent. Nous avons cherché des images du Burundi – il était important qu'elles aient été tournées là-bas et pas dans un autre pays d’Afrique – mais sans succès. C’est en fouillant sur Vimeo que nous sommes tombé sur les images du réalisateur canadien Ryan Bouman qui correspondaient parfaitement à nos besoins. Nous avons pris contact avec lui pour qu’il nous cède ses images et il a accepté. Ensuite, nous avons simplement retravaillé le montage.»
L’étape suivante a consisté à dénicher une maison de production son qui pourrait amener l’effet cinématographique voulu. C’est The qui a été sélectionnée. «Il a fallu beaucoup d'échanges avec l’agence puisqu’ils devaient construire le film avec très peu d’images. Ce sont le chant de la fillette et le côté “gros son” qui rendent l’ensemble inquiétant», explique Raphaël Fruchard, producteur et cofondateur de The. L’affiche rouge sang qui accompagne ce «presque-film» a tous les codes d’un visuel de cinéma, à une différence près: les noms des acteurs et réalisateur ont été remplacés par des membres du gouvernement, les récompenses ne sont pas des palmes d’or, mais pire scénario, pire réalisateur et pour les critiques presse, «contrairement à ce qu’on pourrait croire, nous ne les avons pas inventé. Nous avons cherché des articles qui parlaient de la situation au Burundi et nous en avons tiré des extraits», précise Thomas Guilhot.
Liberté de création
Autre problème lié au budget: l’absence d’achat médias. «Nous avons joué avec le côté RP de la campagne. Pour la conférence de presse, nous avons placardé des affiches dans tout le quartier pour faire parler du phénomène et mis en place des partenariats avec Twitter, You Tube et Allociné», détaille le directeur de la création. Cette dernière alliance a permis de donner une crédibilité à l’ensemble et d’amener de la visibilité grâce à une page pour le film affichant la bande annonce, avec une nouvelle fois les noms de hauts dirigeants burundais responsables de cette catastrophe en lieu et place de ceux des réalisateurs, acteurs, etc.
Un avantage, donc, de travailler pour une grande cause? «L’aspect financier et marketing disparaît au profit de l’aspect artistique. Nous avons pu travailler directement avec We are social sans que nos rapports ne soient biaisés par l’annonceur», explique Raphaël Fruchard. «Il est vrai que le client nous laisse plus de libertés. Et, de fait, nous en laissons plus à nos prestataires», confirme Thomas Guilhot.
Cette liberté a laissé la possibilité à l’agence de créer une campagne loin des standards habituels des films charity. «Pour alerter, il fallait que le contenu soit puissant, et il l’est. Il fallait aussi que l'ensemble soit assez fin pour que les gens y croient et l'agence a réussi à faire tout ça sans basculer dans le pathos», détaille Olivier Bassuet, du jury. «Nous travaillons souvent pour des films avec de belles images, en particulier à l’approche de Cannes, mais elles sont larmoyantes et pourraient s’adapter à n’importe quelle cause. Là, ce n’est pas culpabilisant pour le spectateur, l’approche est moderne. Le film dit simplement, sans déballage de moyens, qu’il est possible d’éviter un drame», décrit Raphaël Fruchard, de The. La campagne n’est donc ni larmoyante ni même violente, mais joue sur la subtilité. «Il est très difficile de toucher les gens parce qu’il s’agit d’une cause lointaine dans un pays de petite taille que beaucoup ne sauraient même pas pointer sur une carte. Trop de films de ce type utilisent la violence, c’était un moyen de nous démarquer que de ne pas en mettre», précise Thomas Guilhot, de We are social.
Pari audacieux
Reste tout de même un grand absent: une société de production. «Il y avait d’abord une question de délais, qui nous obligeait à agir rapidement. Ensuite, l’idée était tellement simple qu'il n’y aurait eu aucune différence si nous avions tourné les images nous-mêmes», explique le directeur de la création. Qu'en pense le jury? «Peu importe, au final, la mise en œuvre est exceptionnelle et met à profit tout le social media au service d’une grande cause, c’est un pari audacieux qu’il fallait récompenser», tranche Olivier Bassuet. Voilà qui laisse peu de place à la discussion.