La fin de l'exception française?

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La fin de l'exception française? En bouclant son OPA sur GGT-BDDP pour la somme de 1,4milliard de francs, Omnicom, le numéro un mondial de la publicité, n'a pas seulement creusé son écart sur la scène internationale avec ses rivaux Interpublic et WPP. Aujourd'hui, sur notre territoire, le puissant groupe coté à Wall Street fait jeu égal avec Havas Advertising et double Publicis. Les marges brutes cumulées des agences d'Omnicom, dont celle d'Hintzy Heymann&Associés, récemment rachetée par DDB, totalisent près de 2 milliards de francs, soit légèrement plus que la marge brute d'Havas Advertising en France. L'américain se taille donc la plus grosse part du gâteau. À l'heure où se précipite l'échéance d'un rapprochement entre le numéro un français et un groupe publicitaire américain, le paysage de la communication en bleu-blanc-rouge bascule un peu plus sous la bannière anglo-américaine. L'année 1997 aura été celle de tous les tumultes pour les piliers nationaux, qui rêvaient il n'y a encore pas si longtemps de conquérir le monde. En février 1997, lors de la conférence de presse annonçant la prise de contrôle d'Havas par la Compagnie générale des eaux, Alain de Pouzilhac, assis au premier rang, ignore la surprise qui le guette. Le méridional patron d'Havas Advertising manque tomber de son fauteuil lorsque Pierre Dauzier, son actionnaire désormais sous la tutelle de la Compagnie générale des eaux, émet publiquement l'idée de vendre l'activité publicitaire. Encaissant ce coup de massue, Alain de Pouzilhac obtient seulement un sursis. Il est prié de nouer une alliance internationale d'ici à la fin de cette année. À l'occasion de la dernière réunion d'information financière, le 8avril, il affirme:«Il n'y a pas d'obsession à rester français si on a l'opportunité de devenir le numéro cinq mondial.»En vue de son futur mariage, Havas Advertising, classée douzième aux États-Unis sous l'enseigne Euro RSCG, accélère le toilettage de sa dette (714millions de francs en 1997). Le remboursement anticipé de deux emprunts obligataires, en espèces et convertis en actions, devrait lui fournir pour la première fois une trésorerie nette. De quoi rendre le groupe attractif, tout en renouant avec une politique d'acquisitions «stratégique et ciblée», selon les termes du directeur financier, Jacques Hérail, qui évoque le renforcement dans les métiers «below the line» aux États-Unis. Une page de l'histoire du porte-drapeau français de la publicité sera bientôt tournée. Elle se voit archiver au profit de la télévision et du multimédia, nouvelles priorités de Jean-Marie Messier, le très médiatique patron de la Compagnie générale des eaux, rebaptisée Vivendi. Havas Advertising, qui devrait aussi changer de nom, est pourtant l'un des rares groupes français à s'être implanté de façon significative sur le marché américain, où se réalisent 46% des investissements publicitaires mondiaux. Pour la première fois en 1997, sa marge brute y est supérieure à son activité française. L'obsession internationale des groupes français est légitime. Leur marché national poids plume (3,5% de la publicité mondiale) et la prépondérance des entreprises américaines parmi les annonceurs multinationaux (75%) les y obligent. Mais le parcours est semé d'embûches. BDDP, l'un des fleurons français, s'y est cassé les dents. À New York, Wells Rich Green, rachetée à prix d'or en 1990, a fermé ses portes. Cette coûteuse acquisition fut notamment à l'origine de la cession du groupe français à l'anglais GGT, il y a deux ans. En perdant son client Procter, la défaillance de Wells BDDP a également favorisé l'OPA amicale d'Omnicom sur GGT-BDDP, finalisée en ce début d'année. L'aventure de BDDP aura duré moins de quinze ans. Les initiales des quatre fondateurs seront-elles gommées à la faveur d'un futur rapprochement avec TBWA (lire l'entretien Fred J. Meyer) ou d'un autre réseau d'Omnicom?Devenir un place créative forteLe groupe Publicis, dont l'activité en France reste encore prépondérante, avec 32% de son chiffre d'affaires, a-t-il les moyens de s'imposer dans la cour des grands? Le groupe (4,35milliards de francs de marge brute dans le monde en 1997) vient tout juste de régler un conflit d'actionnaires qui a opposé tout au long de l'année dernière les deux filles de feu le fondateur, Michèle Bleustein-Blanchet et Élisabeth Badinter. Au terme de l'accord conclu début avril, cette dernière, appelée à présider le conseil d'administration, voit son contrôle renforcé. Le groupe préserve son actionnariat familial tout en s'ouvrant à ses collaborateurs et dirigeants ainsi qu'à une poignée d'investisseurs financiers. Une épine de moins pour Maurice Lévy, qui va en profiter pour entrer officiellement dans le tour du table du groupe. Le patron de Publicis sera plus serein pour mener ses expéditions au quatre coins du monde. Il a déjà multiplié les acquisitions en Australie, au Canada, en Afrique du Sud, en Asie, en Nouvelle-Zélande ou en Amérique latine. À l'issue de son divorce avec l'américain True North, il y a un an, Publicis a certes récupéré en totalité le réseau européen de l'ancien joint venture Publicis-FCB Europe. Mais en faisant cavalier seul, il découvrait ses faiblesses aux États-Unis, en Amérique latine et en Asie. À l'automne 1997, le pugnace patron de Publicis se lance à l'assaut de True North, son ancien partenaire dont il a conservé des actions et qui projette un mariage avec l'américain Bozell, le quatorzième réseau mondial. David contre Goliath? L'OPA inamicale du Français échoue, laissant un goût d'amertume. Maurice Lévy croyait tenir sa chance de propulser Publicis au troisième rang mondial. Sa conquête de l'Amérique reste à faire.«Les agences moyennes disparaîtront,pronostique depuis Madison Avenue Fred J. Meyer, directeur financier et numéro deux d'Omnicom.En publicité, il y aura d'un côté des hot shops, propices à la germination de talents et d'idées, de l'autre une douzaine de grands réseaux.»La logique de la concentration s'est accélérée avec la mondialisation des clients et la multiplication des disciplines de la communication. Désormais, le métier est largement dominé par les Anglo-Saxons, qui ont réussi à imposer une logique financière. Les performances boursières décevantes de Cordiant ont entre autres conduit l'an passé ses dirigeants à inaugurer le premier split-off (démantèlement) de l'histoire de la publicité. Pour satisfaire ses actionnaires et notamment les fonds de pension, le cinquième groupe publicitaire mon- dial s'est scindé en trois sociétés: Bates, Saatchi&Saatchi et Zenith. Est-ce la mort de cette publicité latine dont les Français défendaient avec vigueur les couleurs dans les années80?«Dans l'Hexagone, nous ne sommes pas encore sortis du syndrome Séguéla,analyse Étienne Boisrond, le président-directeur général de Young&Rubicam France.Nous sommes obsédés par l'idée d'ajouter du rêve ou du désir à la marque, alors que notre mission consiste à faire de la croissance de marques. Ce n'est pas seulement une différence de sémantique mais de perspective: on ne fait pas de la publicité pour se faire plaisir mais pour faire vendre. Et cela ne tue pas la créativité.»La force des grands groupes réside justement dans leur capacité à faire émerger de la créativité sur toutes les places où ils sont implantés.«On ne peut pas imposer une seule et unique campagne américaine pour le monde entier»,rappelait en début d'année John Wren, patron d'Omnicom. Ainsi, la tête de pont parisienne de BBDO ne cache pas son ambition de développer depuis l'île Saint-Germain des campagnes internationales. L'agence de Christophe Lambert vient d'ailleurs de réaliser l'un des nouveaux films Pepsi diffusés sur l'ensemble de ses marchés. Petit à petit, la majorité des agences implantées sur notre sol se rallient à cette idée: devenir une place créative forte en valorisant la «french touch». À Boulogne, l'objectif de Young&Rubicam tient en quelques mots que martèle Christian Liabastre, le nouveau directeur général:«Être exportateur net de campagnes.»À Levallois, McCann possède un bon tiers de clients internationaux. Ce qui n'empêche pas l'agence de signer 93% des campagnes qui sortent de chez elle. Une façon pour les publicitaires tricolores de prouver qu'ils ont encore des idées.