Le marché de seconde main porté par les plateformes de revente en ligne est en pleine explosion, n’épargnant aucun secteur. Quelles sont les opportunités pour les marques ? Quelles sont les motivations pour les consommateurs ? Et que dit ce phénomène en matière de cercle vertueux ?
Le marché de seconde main, qui est ni plus ni moins celui de l’occasion, se concentrait essentiellement sur les dépôts-ventes, les vide-greniers, les friperies, les boutiques vintage avant de prendre une nouvelle dimension ces dernières années. Il est devenu un phénomène économique sans précédent, estimé à plus d’un milliard d’euros uniquement en France et porté par le boom des plateformes de revente en ligne [lire encadré]. Plus aucun secteur (ou presque) n’échappe à la seconde main, des vêtements au mobilier en passant par le high-tech. Même le luxe y est présent via des sites spécialisés comme Collector Square et Vestiaire Collective.
De plus, les canaux d’achat de seconde main se sont multipliés offrant de multiples opportunités aux marques, des plateformes (Zalando avec Zircle ou La Redoute avec La Reboucle…) aux diverses enseignes (Aigle avec Second Souffle, Decathlon avec Seconde vie, Galeries Lafayette, Petit Bateau…) qui proposent leur propre boutique dédiée (on et offline). « Le produit d’occasion est un marché porteur. Les enseignes doivent s’engager dans une stratégie de conquête pour ne pas perdre des parts de marché au profit de la concurrence. Sur certains secteurs comme la téléphonie, leur valeur ajoutée est la force de leur service après-vente (SAV) qui offre aux clients une garantie par l’expertise, explique Philippe de Mareilhac, président de Market Value agence de design et d’architecture qui accompagne Fnac Darty dans le déploiement de son offre « seconde vie » (off et online).
Ce marché devient incontournable pour les marques, l’enjeu étant de répondre aux nouvelles habitudes d’achat et dynamiser les ventes. Pour ce faire, l’application The Second Life aide les marques et les commerçants à développer leur activité de collecte d’articles de seconde main. Le principe : le client dépose son vêtement et reçoit immédiatement un bon d’achat (avec une valeur estimée selon un argus) valable dans le magasin. Les articles sont ensuite revendus via des plateformes partenaires, dans un corner dédié dans la boutique ou sur l’e-commerce du commerçant via une page dédiée "seconde main" créée par The Second Life. « Ce dispositif permet aux commerçants d’augmenter leur trafic en magasin, profiter de la valeur du marché de la seconde main et s’inscrire dans l’économie circulaire. Nous avons réalisé un premier test très concluant au centre commercial Westfield des Halles à Paris avec un corner dédié (fin 2021). 12 000 pièces ont été déposées en deux mois », explique Arthur de Soultrait, fondateur de Thunderstone et concepteur de The Second Life qui devrait déployer prochainement son dispositif dans une dizaine de centres commerciaux.
Comment expliquer cette explosion pour l’occasion ? En premier lieu, c’est une motivation économique. La pandémie contraignant les consommateurs à ne pas se rendre en magasin a accentué le phénomène. « La baisse du pouvoir d’achat conduit les gens d’une part à vouloir acheter moins cher et d’autre part pour les revendeurs à obtenir un revenu complémentaire », analyse Anne Vaal, enseignante-chercheuse en sciences de gestion à PPA Business School qui parle également d’une motivation ludique : « le côté chasse au trésor, trouver la bonne affaire ». Dénicher la pièce rare fait aussi partie des intentions. « Dans la maroquinerie ou l’horlogerie de luxe, les gens achètent un produit en seconde main pour le payer moins cher, mais aussi pour sa rareté. Certaines pièces coûtent même plus chères que les neuves car elles sont en édition limitée », précise Sandrine Poupon, directrice de l’École internationale de marketing et management du luxe (EIML).
Enfin, à l’heure des discours écoresponsables, la notion d’économie circulaire prend sens chez les consommateurs. « Il y a une posture engagée pour avoir une consommation plus responsable et sortir des circuits conventionnels. Mais, derrière la promesse écologique, le marché de la seconde main ne rompt pas la logique consumériste, au contraire elle peut même favoriser une consommation effrénée », explique Anne Vaal. En effet, si certaines marques se positionnent en maillon de l’économie circulaire et en font un argument pour leur image, il ne faut pas s’y tromper. Le dépôt d’un article en boutique en échange d’un bon d’achat entretient le cycle de vente du neuf. Quant aux plateformes de mode, elles facilitent l’achat impulsif, ce qui ne réduit pas la consommation de vêtements.
Néanmoins, reste des acteurs historiques de l’économie sociale et solidaire comme Emmaüs qui effectue la récupération et le réemploi de produits en proposant des contrats aux personnes en situation d’exclusion. Dans l’idée de faire se rencontrer le monde de l’insertion et celui du design, son studio Les Résilientes d’Emmaüs Alternatives a noué une collaboration avec la marque de décoration Made.com France pour créer Encore, une première collection éthique et solidaire (15 pièces) vendue aux enchères.
Dans ce paysage commencent également à émerger des concepts plus globaux qui s’inscrivent dans une logique vertueuse. À l’instar du projet Ïkos dédié au réemploi qui réunit neuf acteurs de l’économie sociale et solidaire. « Nous souhaitons proposer un mode de consommation préservant notre environnement et une société plus solidaire et inclusive », présente Marion Besse, directrice de l’association Ïkos qui avait ouvert un magasin test fin 2021 pour sensibiliser le public. Inspiré du centre commercial 100 % seconde main ReTuna en Suède, le village de 15 000 m2 ouvrira en 2024 à Bordeaux Nord, avec zone de tri, galerie marchande et espaces partagés. Où chacun pourra y déposer, réparer, récupérer, acheter des objets de tous les jours.
Selon l’étude ReCommerce 2022 (WPP), 80 % des consommateurs de biens de seconde main achètent en ligne, 68 % utilisent LeBonCoin ou eBay, 52 % Vinted, Selency ou encore Back Market, 27 % les plateformes de réseaux sociaux (WhatsApp et Facebook). Quant à la vente physique, elle est utilisée par 60 % des consommateurs, 49 % chinent dans les brocantes, friperies ou vide-greniers.