Pour ne pas vieillir avec leur audience, les marques cherchent à se mettre au diapason de la génération Z, qui regroupe les jeunes âgés de 12 à 25 ans. Encore faut-il qu’elles cernent les attentes de cette jeunesse et ses contradictions.
Ils sont nés entre 1997 et 2010, et sont étiquetés Gen Z. « Disclaimer » comme disent les jeunes : le Z ne fait pas référence au célèbre justicier masqué… Quoique cette génération dit aspirer à plus de justice sociale. Ils sont notamment perçus comme intransigeants sur les questions d’égalité homme/femme et d’inclusion. Les Z sont aujourd’hui observés de près car, comme le souligne Sacha Lacroix, directeur général de Rosa Paris, « ils commencent à avoir du pouvoir d’achat et à choisir leurs marques. Ce sont aussi de grands leaders d’opinion ». D'ailleurs, les Z représenteront près d’un tiers de la population active française d’ici à 2030, selon une étude d’Oxford Economics et Snapchat de mars 2021. Les revenus de cette génération devraient s’envoler au cours des dix prochaines années et leurs dépenses de consommation s’en trouveraient multipliées par huit pour atteindre les 185 milliards d’euros en 2030. Pour les marques, il est primordial de comprendre cette jeunesse pour espérer la fidéliser. Un enjeu d’autant plus vrai dans le secteur du luxe où « la Gen Z représentera plus de la moitié des consommateurs d’ici à deux ans au niveau mondial », d’après Adrien Moret, head of creative strategy de Helmut, une agence de communication spécialisée sur cette cible, qui a accompagné des marques comme Yves Saint Laurent, Viktor & Rolf et Dior.
Influenceurs et influencés
Première génération « digital native », la Gen Z n’a aucun souvenir du monde avant les smartphones. « Les jeunes de cette génération n’ont pas eu à adopter la technologie, ils sont nés dedans, c’est un acquis », dit Fanny Camus-Tournier, chief strategy officer d’Ogilvy Paris. Ils baignent dans les réseaux sociaux et, comme l’énonce une étude du cabinet OC&C de 2019, « nous entrons avec ces derniers dans l’ère des influenceurs et des influencés ». Un levier efficace pour la conversion, comme l’a montré la rupture de stock de mochis [pâtisserie japonaise] chez Picard après qu’ils ont été recommandés spontanément par des utilisateurs de TikTok. « Ils se disent moins influençables que leurs parents mais, dans les faits, ils cèdent tout autant aux sirènes du branding », s’amuse Félix Mathieu, directeur du planning stratégique de Lonsdale.
Autre fait marquant : sur les différentes plateformes sociales, la Gen Z se divise en tribus. « Le challenge pour les marques est de réussir à capter des individus aux attentes volatiles qui appartiennent à des communautés multiples », expose Corentin Fabregue, consultant en stratégie digitale chez Castor & Pollux. Le cabinet OC&C remarque que les Z auraient même tendance à posséder plusieurs profils utilisateurs sur Instagram. Il distingue ainsi les « finstas », des comptes Instagram fermés et réservés aux amis proches et à la famille, et les « rinstas » ouverts en public et « soigneusement étudiés ». Une mécanique de comptes public et privé qu’a adopté Don’t Call Me Jennyfer. La marque de prêt-à-porter a créé un compte fermé « Don’t Call Me Gang » (plus de 20 000 abonnés), en parallèle de son compte ouvert aux 1,4 million d’abonnés. « Une prouesse de ce repositionnement de marque qui joue sur l’idée de communauté en délivrant des exclus à ses abonné(e)s », observe Lucas Duquenne, planneur stratégique de l’agence 1969.
Rapport de conversation
Si les autres générations attendent des marques des conseils produits, la Gen Z est plus dans un rapport de conversation avec elles. « Pour un Z, la marque, c’est mon pote avec lequel je rigole. C’est ce qu’ont compris Les produits laitiers, qui mènent une stratégie de sponsorisation de contenus, ou Netflix avec son community management sur Twitter », commente Corentin Fabregue. L’humour et la créativité sont des ressorts efficaces pour parler à cette génération, à l’instar de Lidl, qui a créé une collection de vêtements, ou de Crayola, une ligne de maquillage.
Il en va de même du côté du luxe où les marques qui descendent de leur piédestal captent cette génération. Par exemple, en fin d'année 2021, Balenciaga a créé un épisode inédit des Simpson pour présenter sa nouvelle collection. De son côté, Heaven a misé sur le marketing conversationnel pour la boisson lactée Actimel de Danone. « On est parti du constat qu'il y avait des gamers qui buvaient de l’Actimel avant de faire un boss dans un jeu vidéo », explique Arthur Kannas, le président de l’agence de communication digitale. De cette pratique est née l’idée de connecter Actimel avec les gamers en mobilisant des streamers sur un challenge baptisé « Stay Strong » et visant à les faire s’affronter sur le « jeu le plus difficile du monde », à savoir Boxman’s Struggle. En une soirée, le 26 mai 2020, Actimel a réalisé 600 000 vues en trois heures, et plusieurs millions de vues en replay sur YouTube.
« La Gen Z ne veut plus de publicité intrusive, top down. Pour s’adresser à elle, il faut faire valoir l’expérience », conseille Bruno Laporte, head of social d’Isobar. « Les jeunes attendent des marques qu’elles utilisent leurs codes sans les usurper. Ne pas être là par pur opportunisme », ajoute Jenny Monteiro, directrice associée de Dentsu X. Pour Mentos, dont l’image était restée bloquée dans les années 80, les deux agences ont réalisé la campagne « Fresh Talk » en janvier 2021 avec les rappeurs Keyzane et PMC, en partenariat avec Skyrock. Un mouvement de fraîcheur, ancré dans la culture urbaine, qui venait s’opposer au concept de « trash talk » en débitant non pas des attaques mais des compliments.
Il y a un revers au digital et à l’influence : cette génération s’informe en regardant notamment des vidéos sur YouTube. « Quand on est une marque, il y a un discours autour de nos produits qui peut nous échapper. Il y a donc une nécessité d’être pertinente et juste, de ne pas raconter quelque chose qu’on n’est pas ou qu'on ne fait pas », met en garde Fanny Camus-Tournier. « Cette génération est celle du fact-checking. Elle laisse encore moins passer les incohérences de marques que les autres et s’insurge contre le bullshit », prévient Lucas Duquenne. Il est communément admis que cette jeunesse attend des marques qu’elles contribuent vertueusement à la société. « Les Z sont beaucoup plus radicaux que les générations précédentes à boycotter ou, au contraire, suivre une marque », assure Sacha Lacroix.
« 63 % des Z disent qu’ils n’achèteront que des marques qui soutiennent des questions qui comptent à leurs yeux. Il y a un véritable effet générationnel puisque l’on descend à 48 % pour la population en général », avance Sébastien Hueber, managing director d’Edelman France, qui cite une récente étude de l’agence sur le sujet. Selon cette dernière, 70 % de Z disent prendre en considération la volonté d’une marque à redistribuer à ceux qui sont dans le besoin. Et pour 80 % d’entre eux, le traitement de l’entreprise à l’égard de ses employés est un facteur décisif dans l’acte d’achat. Cette génération encouragerait donc l’action positive ? Pour la jeunesse, « l’entreprise représente à la fois la "puissance" capable de changer les choses et le lieu de changement nécessaire, surtout sur le plan environnemental », écrit Frédéric Dabi, directeur général opinion de l’Ifop dans La Fracture, une enquête sur les 18-30 ans.
Soft activism
Pour autant, si le phénomène médiatique emmené par Greta Thunberg donne à voir une jeunesse impliquée dans la lutte contre le climat, la réalité est bien plus complexe et se situe plutôt du côté du soft activism. « Ce sont des responsible natives, ils ont été éduqués avec ça, c’est intégré dans leur logiciel, mais pour autant, ça ne veut pas dire qu’ils sont plus militants que les générations précédentes, avec le couteau entre les dents », argumente Félix Mathieu. « Si elle est consciente des enjeux climatiques, cette génération est aussi consumériste et matérialiste », dit Corentin Fabregue. « On voit des paradoxes de consommation : c’est une génération très éveillée et pourtant, c’est une génération qui fait émerger une marque de fast-fashion comme Shein », s’étonne Lucas Duquenne.
Cette génération semble aussi prise dans les filets de consommation que les précédentes avec, par exemple, le succès du hashtag #outfitoftheday, qui incite à ne jamais porter la même tenue. Une particularité cependant : elle serait plus encline à s’acheter des expériences que des produits, selon OC&C, à l’instar du phénomène « bucket list » (liste de choses à avoir fait avant de mourir), dont la star des réseaux sociaux Léna Situations est adepte, et qui implique parfois des voyages qui nécessitent de prendre l’avion. « C’est une génération en quête d’expérience alors même que le covid les en a privés. D’autant que ces moments de vie sont valorisables sur les réseaux sociaux », remarque Corentin Fabregue. Wilfried Klucsar, cofondateur de l’agence Dix Sept Paris, nuance cependant l’ensemble des traits de cette génération : « c’est réducteur de décrire une génération comme un bloc monolithique, de la définir avec des stéréotypes ». Il est rejoint par une étude de Wunderman Thompson qui révèle que 77% des jeunes « ne veulent pas être mis dans une boîte ».
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