Marques

Alors que vient de s'ouvrir la Coupe du monde de football 2022, l’heure n’est pas à l'ostentation, tant au niveau des ONG que des supporters et des annonceurs sponsors. En cause, de nombreuses polémiques liées à la tenue de cette compétition au Qatar.

Ce qui devait être une grande fête internationale prend des allures de boycott. À quelques jours du coup d’envoi de la Coupe du monde 2022, l’engouement semble mi-figue mi-raisin. En cause, la tenue de cet événement au Qatar. Depuis quelques mois, les polémiques autour de l’organisation s’accumulent et choquent l’opinion publique, notamment du fait des conditions de travail indignes des ouvriers sur les chantiers. Plusieurs morts sont venus noircir le tableau. Les lois prônées par le pays dont ceux relatifs aux droits LGBTQ+ ne font pas l’unanimité. Sans oublier les associations écologistes qui alertent sur une facture carbone possiblement élevée.

Le malaise s’est installé, au point que certaines villes françaises (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Reims et Lille) ont pris le parti de ne pas retransmettre les matchs sur écran géant. Du côté des médias, un seul en France a également décidé de boycotter cette compétition : Le Quotidien de la Réunion. Le malaise est tel que même les populations s’en détournent. Selon une étude d’Episto, les chiffres sont assez parlants : moins d’un Français sur quatre suivront l’événement et seulement 1 % compte se rendre sur place pour assister à l’événement. En comparaison avec 2018 où 45 % des Français ont suivi la Coupe du monde en Russie. L’étude retranscrit globalement une image négative de l’événement.

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Mais qu’en est-il des marques ? Elles sont les premières à soutenir ce type d’événement tant en termes d’image que d’opportunité financière. En 2010, « The winner is […] Qatar », cette annonce faite par Sepp Blatter, alors président de la Fifa, avait déjà créé quelques remous. Ce qui n’a pourtant pas effrayé la trentaine de marques à devenir partenaires de la Fifa ainsi qu’une douzaine de sponsors de l’équipe de France. « Les partenaires de l’équipe française signent en général pour 3-4 ans. Quand ils ont renouvelé leur contrat, ils savaient que cela se passerait au Qatar. Ils ont dû soupeser le pour et le contre », avance Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de l’organisation interprofessionnelle Sporsora. À savoir qu’un partenariat rapporterait entre 5 et 8 millions par an.

Et les revenus générés par le sponsoring de la Fifa ont augmenté entre les périodes 2015-2018 avec 6,42 milliards de dollars et ceux de 2019-2022 avec 6,44 milliards de recettes. Concernant la Fédération française de football, les recettes générées par le sponsoring restent quasiment les mêmes d’une année à l’autre : 104 millions d'euros en 2020 et 2021. « La Coupe du monde de football reste l’événement le plus regardé, c’est tout bénef pour les marques », lance Magali Tézenas du Montcel.

Pour l’heure, seules quelques marques ont déjà activé leur dispositif de communication à l’image de la chaîne BeIn Sports qui dispose des droits de retransmission de la compétition en France. À côté de cela, des annonceurs ont pris le risque de déclarer leur opposition et affirmer leurs valeurs, comme la marque de bière Brewdog avec cette signature assez explicite : « Fier anti-sponsor de la p***** de Coupe du monde ». L’association Stop Homophobie et la marque Pantone le déclarent, moins frontalement, dans un film publicitaire réalisé par l’agence TBWA Paris. Quant à la plateforme AuNomdelaTerre.tv, accompagnée de l’agence Change, elle propose aux internautes de boycotter le mondial au profit de leurs programmes RSE.

« Depuis quinze ans, les marques se distancient de ce type d’événements, à cause d'une image en baisse et des trop nombreuses polémiques qu'ils génèrent. En effet, l’heure est aux engagements moraux, les marques doivent montrer ce qu’elles prétendent être. Aujourd’hui, un sponsor est d’abord un garant moral de l’événement sportif, il est une caution, une sorte de validation éthique. Même si elles restent discrètes, en restant sponsors, elles cautionnent de fait cet événement. C’est le reflet de leur schizophrénie », observe Florian Silnicki, fondateur et président de LaFrenchCom.

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Plutôt que de tirer leur révérence avec dignité, soit les marques détournent leur communication, soit elles attendent de tâter l’engouement pour dégainer leur plan de communication. Un constat observé par l’IAS France, une solution de visibilité des campagnes digitales. Parmi ses clients, plusieurs sont des sponsors de la Coupe du monde et de l’équipe de France et ont demandé à revoir leur stratégie.

« Il y a des secteurs plus précautionneux que d’autres, comme le luxe et la banque et finance, contrairement aux secteurs de l’auto et de l’alimentaire. En amont du Mondial, des clients ont annulé leur communication mais la majorité a préféré garder une présence sur l’événement tout en évitant les axes polémiques, en pariant principalement sur les performances de l’équipe de France. Ainsi grâce à notre solution qui scanne les pages web, nous faisons le tri entre une actualité qui congratule les footballeurs français et celle qui traite de sujets sociétaux sensibles au Qatar. Les marques ont besoin d’être présentes sur ces moments, ce sont leurs temps forts, qui plus est avec l’approche de Noël. Elles veulent naviguer parmi la complexité de cette coupe », informe Clément Bascoulergue, country manager d’IAS France.

Une stratégie de détournement déjà adoptée par les sponsors de la Fédération française de football. « Il va y avoir une communication des partenaires essentiellement axée sur l’équipe de France, comme Intersport et KFC l’ont déjà fait, c’est une manière de détourner le sujet. Pour cela, ils attendaient l’annonce de la composition officielle. Et si la France a un bon parcours, le sport va reprendre le dessus », prédit Magali Tézenas du Montcel. L’opinion publique ne semble pas de cet avis. Le sondage Episto souligne que 86% des Français pensent que les marques devraient éviter toute opération de communication liée à la Coupe du monde au Qatar, quand 65% des fans de football pensent que les marques devraient la boycotter.

L’euphorie générale a fait place à un silence de plomb. Silence également essuyé à de multiples reprises par la rédaction de Stratégies à la suite de demandes d’interview sur le sujet auprès de diverses parties. « Habituellement, les annonceurs communiquent en amont de la compétition, mais là, avec les polémiques, ils préfèrent attendre et jouent la carte de la prudence. Lors des JO de Pékin, les polémiques étaient également nombreuses mais au moment où la compétition a commencé, le sport a pris le dessus. Contrairement aux villes qui sont par définition politiques, l’enjeu est commercial pour les marques. Très peu d’annonceurs diront qu’ils sont contre les droits de l’Homme, ils sont plus dans l’accompagnement d’un moment festif », avance Vincent Chaudel, président de l’Observatoire du sport business.

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La coupe serait pleine ? « Il ne faut pas non plus tout diaboliser et ne pas oublier que le sport est un véhicule pour nourrir sa stratégie RSE. Être partenaire de l’équipe de France, c’est aussi l’être pour le foot amateur. La Coupe du monde ne représente qu’un pan des engagements de sponsors », rappelle à juste titre la directrice générale de Sporsora. Reste à savoir si cet événement aura des conséquences sur leur image de marque. La réponse au prochain communiqué de presse « Marque engagée » ?

«Nous ne voulons pas que les effets de l’Euro se répètent»

L'Autorité nationale des jeux, à l'origine d'une campagne de prévention à l’égard des paris sportifs, fait partie des acteurs qui n'ont pas gardé le silence en amont de la Coupe du monde. Une communication principalement pensée à destination des jeunes, cible la plus touchée par les risques liés aux jeux d’argent. Entretien avec la présidente de l’ANJ, Isabelle Falque-Pierrotin.

Pourquoi l’ANJ lance-t-elle une campagne de prévention « T’as vu, t’as perdu » en amont de la Coupe du monde 2022 ?

Isabelle Falque-Pierrotin. Pendant l’Euro 2021, il n’y a pas eu de prévention, ce qui a créé une surpression publicitaire à destination des jeunes et des publics vulnérables. Cet événement a généré 435 millions d’euros de mises en ligne, quand la Coupe du monde 2018 en avait enregistré 366 millions. Étant donné les croissances enregistrées ces derniers mois sur le segment des paris sportifs, un montant des mises très supérieur est à prévoir. De façon générale, la prévention est très peu comprise par les joueurs, c’est pourquoi nous avons décidé de lancer une campagne de prévention en complément de celle faite par Santé Publique France. Nous avons sciemment choisi de prendre un ton très différent, plus cash en empruntant un langage qui parle aux jeunes. Elle prend la forme d’un rap, dans l’ère du temps. Nous avons été aidés de l’agence Rosbeef qui a réalisé cette campagne à destination des réseaux sociaux, notamment TikTok. On espère toucher majoritairement les 18-25 ans. Notre objectif n’est pas de diaboliser le pari mais de montrer les risques liés. Il faut qu’il reste une activité récréative et non une addiction. Nous ne voulions pas que les effets de l’Euro se répètent.

Allez-vous surveiller la prise de parole de ces opérateurs ?

Pendant le mondial, nous mettrons en place un dispositif ad hoc avec une équipe de six personnes en interne pour surveiller la pression publicitaire et les contenus des gros opérateurs, avec le gros du travail sur le digital. Nous avons remarqué depuis la création de notre charte en 2022 qu’en terme des contenus publicitaires, le ton est descendu et que le ciblage des jeunes et de la banlieue a quasiment disparu. Leurs prises de parole se sont modérées. Même s’il reste un travail à faire dans leur message sur l’émotion procuré par le pari.

Avez-vous des craintes quant à cette Coupe du monde ?

Nous avons observé une sous-consommation des budgets au 1er semestre 2022, nous nous attendons donc à un déplacement de ce budget pour la fin 2022. En effet, ils ont réservé leur première partie de l’année car il n’y avait pas de grande compétition. La Coupe du monde est évidemment un rendez-vous majeur pour les opérateurs mais cela ne doit pas conduire à une pression publicitaire. Il y a beaucoup d’éléments d’incertitude. Ils ont sous le pied suffisamment d’investissements médias, surtout pour préparer la période de Noël.

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