Avec « Survifood », Greenpeace et Jellyfish détournent les codes des plateformes de livraison de nourriture pour dénoncer les difficultés des étudiants à se nourrir correctement. Une opération qui remporte le Grand Prix Stratégies de la communication santé.
Depuis dix ans, le nombre de Français ayant recours à l’aide alimentaire n’a cessé d’augmenter, atteignant aujourd’hui 7 millions de personnes. Parmi eux, de plus en plus d’étudiants touchés par la précarité. Une situation préoccupante que Greenpeace a voulu mettre en lumière en pleine campagne présidentielle, car pour l’ONG, le droit à l’alimentation, reconnu par le droit international, doit être garanti par l’État. Une lutte qui s’inscrit pleinement dans le combat de Greenpeace. « On sait aujourd’hui que les choix alimentaires des ménages ont un impact écologique, explique Clara Jamart, responsable des campagnes forêts, agriculture et alimentation de l’ONG en France. Il est urgent de manger plus sainement, pour notre santé et pour la santé de la planète. »
L’absurdité pour créer de la conversation
C’est donc pour mettre ce sujet essentiel au cœur des conversations que Jellyfish a imaginé la campagne « Survifood ». Survifood, c’est une fausse start-up de livraison de repas qui propose exclusivement des plats abjects, qui ne sont ni beaux, ni bons, ni équilibrés. « Nous avons vraiment insisté sur le côté absurde, raconte Michael Edery, VP brand strategy de l’agence, car ce problème d’accès à l’alimentation, au-delà d’être inacceptable, est une absurdité totale. Il est aberrant de voir des étudiants faire la queue pour recevoir des paniers de nourriture dans un pays célébré à travers le monde pour sa gastronomie. »
Pour s’adresser aux premiers concernés, la campagne a pris la forme d’une activation sociale d’influence sur Instagram et TikTok. « Nous avons commencé avec la diffusion d’un film faisant la promotion de cette fausse start-up, détaille Carlotta Barbanti, account director chez Jellyfish. Et nous avons amplifié le message avec le relais de huit influenceurs, qui ont fait de l’unboxing avec les repas que nous leur avons fait livrer et qui contenaient de la nourriture immonde, des choses qu’on peut retrouver sur la table d’un étudiant précaire, faites avec des fonds de tiroir. »
Des réponses concrètes
Une vidéo avec le témoignage d’étudiants a aussi été tournée à Lyon, afin de connaître à la fois leur ressenti devant les plats de Survifood et leur réalité alimentaire au quotidien. « Dans la suite de la campagne, quand le sujet a émergé, on a lancé une phase de communication un peu plus pédagogique avec des posts et des vidéos sur les solutions », poursuit Carlotta Barbanti. Car l’objectif était aussi de mettre en avant des réponses concrètes, à l’image de la création d’une Sécurité sociale de l’alimentation et des repas à 1 euro dans les restaurants universitaires. En parallèle, des activations physiques ont été mises en place, avec de l’affichage dans les zones fréquentées par les étudiants, des distributions de flyers et des débats organisés avec les associations du collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation et des associations étudiantes.
Une pétition pour l’adoption des mesures d’aide à une alimentation digne a également été lancée. La campagne s’est terminée avec un live Instagram porté par Greenpeace afin de répondre à toutes les questions et de prendre la parole de façon un peu plus directe sur le sujet. « C’était l’un des défis de cette campagne que de passer de la partie absurde, qui met en lumière le problème, à la partie solutions où on débat et on essaie de faire émerger le sujet, notamment au moment des présidentielles », indique Aurélien Carrodano, coordinateur du projet droit à l'alimentation de Greenpeace France.
Et si les candidats à l’élection présidentielle n’ont pas fait de cette question un thème central de leur programme, la campagne a néanmoins fait parler. « Nous avons eu 2 millions d’impressions avec zéro euro d’investissement média, plus de 150 000 interactions et likes avec les différents contenus et énormément de retours positifs », se réjouit Carlotta Barbanti. Et surtout, conclut Clara Jamart, « ce lien entre problématique sociale et problématique environnementale, qui n’est pas évident, a été bien compris : les étudiants se sont retrouvés dans ce qu’on racontait ».
Clara Jamart, responsable des campagnes forêts, agriculture et alimentation de Greenpeace France
« C’est un véritable enjeu stratégique pour Greenpeace de s’adresser aux jeunes, un public dont on sait qu’il est extrêmement sensible à la cause climatique et environnementale. Nous avons du mal à toucher cette population, soit parce que nous ne sommes pas suffisamment présents sur les bons canaux, soit parce que le ton utilisé traditionnellement par Greenpeace ne leur parle pas suffisamment. Avec cette campagne décalée, nous avons réussi à atteindre énormément de gens auxquels Greenpeace n’aurait pas pu parler autrement. »