Passer du « Stop Pub » au « Oui Pub » pourrait changer beaucoup de choses dans le monde des imprimés sans adresse. Née dans le sillage de la Convention citoyenne sur le climat, l’initiative « Oui Pub » a été intégrée à la loi Climat et Résilience, promulguée le 22 août 2021. À terme, seules les boîtes aux lettres affichant un macaron « Oui Pub » pourront recevoir des imprimés publicitaires. Une première phase d'expérimentation sur une durée de trois ans, entre 2022 et 2024, va se déployer dans quinze collectivités locales volontaires, qui abritent au maximum 10 % de la population. Six mois avant la fin de cette période, un rapport parlementaire devra dresser un bilan et indiquer si la généralisation du dispositif est souhaitable.
Le ministère de la Transition écologique justifie la démarche par la nécessité d’économiser les ressources. « L'Ademe a estimé en 2019 que les imprimés publicitaires représentent un volume de 900 000 tonnes, dont 50 % sont jetés sans être lus, indique Sophie Garrigou, conseillère spéciale auprès du Commissaire général au développement durable, au sein du ministère de la Transition écologique. Toute la matière première, l'impression et la distribution se font donc en pure perte. »
Un effet « catastrophique »
Encore à l’état embryonnaire, le projet suscite déjà une forte appréhension chez les professionnels du secteur. « Oui Pub va arrêter l'activité de la distribution des imprimés. Quel pourcentage de gens vont mettre l'autocollant Oui Pub ? Et comment on saura où sont ces boîtes ? Comment les gens vont-ils récupérer ces autocollants ? Il n'est pas sûr que ceux qui veulent recevoir de la publicité mettent le macaron sur leur boîte aux lettres, en particulier dans les villes à majorité écologiste », estime Nathalie Asmussen, présidente de Champar, société de 8 salariés, spécialisée dans la distribution de prospectus. Même appréhension chez Nathalie Phan Place, secrétaire générale de l’association Direct Marketing Association France : « Il est clair qu'une généralisation de Oui Pub aura un effet catastrophique sur l'écosystème de l'imprimé publicitaire. Nous sommes convaincus qu’il a sa place dans l'écosystème de communication des entreprises. »
Pour autant, les grands donneurs d’ordre ne partagent pas tous ce point de vue. Selon Sophie Garrigou, « les annonceurs que nous avons rencontrés ne semblent pas très inquiets car ils pourront toujours utiliser des prospectus avec les personnes qui souhaitent recevoir des imprimés publicitaires. S'agissant des acteurs économiques des secteurs de l'impression et de la distribution, je rappelle qu'il y a des exemptions pour le matériel électoral, la presse, la culture et le matériel municipal. »
Approche ciblée
Du côté d'Intermarché, qui a beaucoup recours aux prospectus, comme toute la grande distribution, Oui Pub a été largement anticipé. Le groupe dit travailler « depuis déjà plus de deux ans sur de nombreuses solutions pour compenser la baisse des prospectus papier ». Cet investissement a permis « d’identifier le meilleur mix média/CRM à date, sachant que de nouvelles solutions émergent régulièrement ». Globalement, l’enseigne indique se diriger « vers une approche ciblée et géolocalisée versus une approche mass market pour une meilleure efficacité », compte tenu d’une situation où « le consommateur est bombardé d’informations et de stimuli commerciaux. »
Pour Claude Charpin, directeur général de Dékuple Ingénierie Marketing (ex-ADL Performance), la démarche est logique. « Le grand enjeu pour la grande distribution est de constituer des bases de données clients internes pour éviter de racheter régulièrement les données de ses propres clients et mettre en place des programmes d'animation relationnels efficaces en digital », explique-t-il. Un scénario dont la réalité reste limité aux très grandes enseignes, objecte cependant Nathalie Phan Place. « Certaines sont très avancées dans l'utilisation optimisée des données en mode multicanal mais la majorité des annonceurs n'a pas accès à tous ces leviers, rappelle la secrétaire générale de Direct Marketing Association France. Beaucoup mettent en œuvre une stratégie basée sur la communication directe avec du courrier adressé s'ils ont une base clients ou peuvent accéder à des bases de prospection externes. Ceux qui n'en ont pas ou qui souhaitent aller au-delà de leur base clients ont recours à l'imprimé publicitaire. »
Un message plus qualitatif
L’éclipse du prospectus pourrait ainsi signer le retour du courrier adressé pour communiquer avec les meilleurs clients. « Le rendement du papier est encore au moins dix fois supérieur à celui de l'e-mail », rappelle Claude Charpin. Cette efficacité a toutes les chances de se maintenir, voire de progresser, avec la quasi-disparition du courrier classique : « Les gens ont tendance à ouvrir ou à lire plus ce qui leur est adressé. Les marques haut de gamme vont garder le papier pour faire passer un message plus qualitatif », ajoute le directeur général de Dekuple Ingénierie Marketing.
La mise en place du Oui Pub pourrait également encourager le recours à des dispositifs mixtes, associant du print et du digital. « Les magasins sont équipés pour lire les codes barres liés aux produits mais pas ceux des coupons drive-to-store, tempère Claude Charpin. Les grandes enseignes commencent mais, chez les franchisés, chacun peut avoir un système différent. Si Oui Pub est généralisé, cela va favoriser l'essor de ce type de dispositif mais cela prendra du temps. »
Selon le spécialiste du marketing, l’ère de l’assemblage entre papier et digital vient de commencer. Et les difficultés ne manquent pas. Pour les grandes enseignes, « l’enjeu sera de bien calculer le coût d'acquisition », estime Claude Charpin. Pour les plus petites structures, Nathalie Phan Place soulève une question inattendue : « Elles vont devoir se constituer un fichier client mais pour la plupart, elles ignorent les obligations liées au RGPD. Qui va les accompagner dans cette démarche ? » L'éventuelle généralisation du Oui Pub demandera du temps.