Quand deux géants dans leurs secteurs respectifs s’allient, cela fait forcément des étincelles. Annoncé en septembre 2019, un partenariat entre Louis Vuitton et Riot Games, l’éditeur de League of Legends (LoL), avait en tout cas largement fait parler de lui. En sponsorisant les Mondiaux de LoL, dont la finale s’est déroulée à Paris moins de trois mois plus tard, la marque de luxe a bénéficié d’une audience mondiale. Concrètement, Vuitton a créé des « skins » (en résumé, des vêtements pour les personnages du jeu) ainsi que la malle transportant le trophée de la finale. Celle-ci alliait textile et haute technologie. Un cas d’école.
À l’instar de Louis Vuitton, de plus en plus de marques comprennent ce qu’elles ont à gagner à être présentes dans cet univers de l'e-sport, qui devait générer plus d’un milliard de dollars de revenus en 2020, selon une estimation de la société d’analyse spécialisée Newzoo. La France compte 7,3 millions d'adeptes, d’après le baromètre France Esports 2019, réalisé avec Médiamétrie. « 2018, c’était les clapotis avant la vague. Quelques marques s’y étaient mises. En 2020, le rouleau de la vague est là », expose Bertrand Perrin, directeur de Level 256, plateforme mondiale d’innovation dédiée à l’e-sport, basée à Paris. Cette vague ne manque d’ailleurs pas de s’accélérer avec la crise sanitaire. « C’est un médium de communication énorme. Les marques commencent à s’investir sur des petits tickets mais le potentiel est immense », complète l’expert.
Montres, pizzas et voitures
« Le Covid a été une période presque positive pour l’e-sport », reprend Arnaud Moulet, patron du club esport GameWard et de l’agence Sigma Esports, qui aide les entreprises et les marques à se développer sur ce marché. Pendant que beaucoup d’événements physiques étaient annulés, les joueurs se sont pressés devant leur écran.
Dans les faits, les marques qui s’engagent dans le secteur sont variées, tant en termes de taille que de secteur d’activité. Les exemples sont nombreux. Gucci a noué en 2020 un partenariat avec le club anglais Fnatic, ayant débouché sur la sortie d’une montre, conçue en collaboration. Domino’s Pizza est devenu l’été dernier partenaire de la ligue française de LoL, la LFL, ce qui s’est traduit entre autres par des contenus sur les réseaux sociaux et un partenariat autour d’une émission thématique sur Twitch. Renault se rapprochait, dès 2018, de la structure française Vitality, ce qui a donné naissance à la Renault Sport Team Vitality. Mastercard, quant à elle, s’enorgueillit d’avoir été le premier sponsor mondial de LoL, la même année.
Invitation en coulisse
À l’époque, la première activation, déjà autour de ce championnat du monde, avait reposé sur plusieurs volets : visionnage de la répétition de la cérémonie d’ouverture et visite des coulisses, possibilité de regarder un match avec un joueur professionnel et test des PC utilisés lors de la finale.
La motivation de ces marques est généralement de toucher un public jeune. « Les modes de consommation ont évolué, les nouvelles générations se tournent moins vers les médias traditionnels, l’e-sport présente la particularité d’adresser une cible large (12-35 ans) avec un cœur de cible à 18-25 ans », observe Arnaud Moulet. « Chaque jeu a sa communauté, des profils, une démographie. Cela permet un ciblage très important », précise Nathan Reznik, cofondateur de Bold House, agence de conseil et d'événementiel spécialisée dans le gaming et l'e-sport, qui place même la cible à 10-35 ans. Cette audience présente la particularité d'être très engagée. L’autre gain potentiel se situe au niveau de la notoriété. « Selon une étude Nielsen de 2019, 90 % [des personnes qui regardent des contenus e-sport sur Twitch] sont capables de citer une marque non endémique, rappelle Bertrand Perrin. Le taux de pénétration est énorme. »
Pouvoir d’attraction
« C’est encore un phénomène. S’investir sérieusement est déjà un événement », dépeint Nathan Reznik. On se souvient du succès remporté par Burger King en 2018. La marque de restauration rapide avait sponsorisé dans Fifa une équipe anglaise de quatrième division. L’engouement avait été massif, le challenge lancé, extrêmement suivi, les ventes du maillot de l’équipe s’étaient envolées.
Toutefois, au-delà de cet usage en communication, les entreprises peuvent aussi utiliser l’e-sport comme un outil RH, pour attirer puis fidéliser de jeunes collaborateurs en organisant des compétitions, ou comme instrument de team building. C’est l’objectif de la ligue e-sport lancée en octobre 2019 par l’agence événementielle Auditoire, qui orchestrera entre février et juin 2021 une compétition interentreprises autour de trois jeux vidéo afin d’aider les sociétés participantes à créer de la cohésion d’équipe.
Quelles que soient les ambitions, se développer dans l’e-sport ne va pas de soi. Les marques qui le font doivent relever plusieurs défis. « L’erreur la plus commune, c’est lorsqu’une marque arrive dans l’e-sport sans avoir fait l’effort de comprendre l’univers », pointe Arnaud Moulet. « Il y a autant d’e-sports que de jeux vidéo », complète le spécialiste. Jeux de course, de tir, de simulation sportive ou encore de combat, les enjeux diffèrent.
Erreur de vocabulaire
La marque de motos Ducati en a fait les frais. Dans le cadre d’une activation e-sport, courant octobre, elle a fait une erreur - qui peut paraître anodine mais a pourtant coûté cher - de vocabulaire : « ils ont parlé de ''e-gamers'' au lieu de sportifs. La communauté a fortement réagi en raillant cette activation », raconte Bertrand Perrin.
Enfin, les marques doivent se garder d’un message trop commercial. « La communauté n’aime pas le côté ''je viens vendre des choses''», prévient le directeur de Level 256. Avec une audience aussi engagée, les marques sont d’autant plus exposées aux déconvenues si elles franchissent certaines limites. Quant aux tickets d’entrée, ils démarrent à 10 000 euros et peuvent ensuite monter très haut, à plusieurs millions.