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Céline Jolly, vice-présidente de Lévénement, pointe la situation complexe dans laquelle se trouvent les agences, où la reprise tant attendue est bien là, mais ravive les vieilles tensions, en crée de nouvelles et met en relief les carences du secteur.

Après deux années compliquées, les agences attendaient beaucoup de 2022. L’année est-elle à la hauteur de vos espérances ?

Céline Jolly. 2022 sera une bonne année en termes de business. Nous vivons une reprise effrénée dont on ne peut que se réjouir, mais nous nous retrouvons dans une situation complexe avec beaucoup de business mais pas assez de ressources pour y répondre. Le marché du travail s’est appauvri, avec beaucoup de reconversions et de changements de voie. Les clients se décident au dernier moment (on les comprend), ils ciblent tous la même période, demandent la même chose au même moment, au même endroit… C’est la guerre des lieux, des talents, des matériels, des transports etc., ce qui génère des surtensions sur les lieux, les talents, les transports etc. mais aussi beaucoup de frustrations. Dans les relations internes comme dans les relations commerciales avec les clients et les fournisseurs : ayant moins de temps et moins d’équipes, nous allons moins vite, pas comme on le voudrait…

L’autre motif d’inquiétude, c’est 2023. On n’a pas de récurrence, pas de visibilité, peu de perspectives. La crise énergétique forte, la crise écologique, le conflit en Ukraine ou encore la menace d’une nouvelle vague Covid génèrent beaucoup d’incertitude et va avoir un impact sur la santé financière et le moral de nos annonceurs. Ça génère beaucoup d’inquiétude.

Il y a un an, agences et annonceurs s’accordaient à dire que la pandémie avait changé positivement la donne. Aujourd’hui vos confrères confirment des changements… mais en pire !

Quand le business s’est arrêté, nous en avons profité pour nous poser, réfléchir, passer des certifications, nous ouvrir aux événements digitaux, élargir notre palette de compétences… Mais l’intensité de la reprise a été si forte et si peu anticipée que nous n’avons pas eu le temps de nous organiser, de nous adapter. Or certaines pénuries commencent à poser problème : quand un transporteur n’a pas de chauffeur, quand un traiteur n’a pas d’extra, quand un décorateur n’a pas de matériaux… il ne peut rien faire et nous non plus. Heureusement, les acteurs de la filière font preuve d’une belle solidarité pour trouver ensemble des solutions. C’est inconfortable pour tout le monde, les relations sont tendues, mais pas dégradées.

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Comment expliquer la reprise de mauvaises pratiques d’annonceurs que semblent dénoncer les agences…

Tout ceci n’est pas nouveau mais la situation a changé. Ce qui était difficilement supportable hier est simplement devenu inacceptable à l’heure où tout le monde parle de RSE. Nous avons tous une responsabilité économique et sociale envers les gens que nous sollicitons. Il n’est plus possible de travailler autant gratuitement, d’imposer deux ou trois semaines de délais de réponse, de mobiliser plus de trois agences sur un appel d’offre etc. Ces comportements génèrent du mal-être social. Ils sont irresponsables. Pour éviter ces pratiques, il nous faut encore faire de la pédagogie, valoriser auprès de nos clients le temps passé et l’argent dépensé en appel d’offre, ne pas avoir honte de demander un dédommagement… Nous avons également mis en place le dispositif « Alerte compétition » : Si ides agences travaillent sur un appel d’offre mal ficelé, sans budget, si elles sont trop nombreuses sur une même compétition… dès qu’une pratique douteuse nous est remontée, nous envoyons un courrier à l’annonceur et sollicitons un rendez-vous. Nous ne le faisons pas de gaité de cœur, mais il est de notre responsabilité de le faire.

Je suis davantage préoccupée par l’explosion des contraintes administratives la paperasserie qu’on nous demande, par rapport à avant sur les questions juridiques, RGPD, cyber sécurité, RSE etc. Ces aspects sont très chronophages pour les agences dont la plupart sont des TPE qui n’ont pas les ressources et les compétences en interne.

Plus largement, comment gérer la pénurie de compétences qui semble impacter fortement le secteur ?

Nous subissons la combinaison de plusieurs effets : l’emballement lié à la reprise, qui crée temporairement de la tension et le surmenage de nos collaborateurs, puis la perte et le non remplacement des talents du fait de dix-huit mois sans événement qui ont privé les jeunes d'une partie de leur formation. S’y ajoute la concurrence de Paris 2024, qui commence à recruter sur notre marché, et un problème plus large d’attractivité. Nos métiers souffrent encore de stéréotypes sur la pénibilité et le temps passé ou les niveaux de rémunération… Les gens sont persuadés d’être mal payés, ce qui est faux. Un junior peut commencer à 2500 euros par mois et voir son salaire évoluer rapidement.

Sur le temps passé, il faut accepter le fait qu’un chef de projet vit au rythme de l’événement. Les horaires sont variables, parfois très chargés et concentrés sur quelques jours. Mais ces séquences intenses doivent être compensées par d’autres pour récupérer, reprendre un rythme normal. Mais pour limiter le surmenage, il faut aussi plus de talents. Pour les attirer, nous devons communiquer sur la réalité de notre métier en termes de rémunération, être plus visibles, plus présents auprès des jeunes, notamment en mettant en place plus de collaborations avec plus d’écoles.

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Les agences ne peuvent-elles pas s’appuyer sur les freelances ?

Elles le font depuis toujours. Avoir moins de collaborateurs et plus de freelances, ça rend agile, mais ça coûte beaucoup plus cher ! Plus encore ces derniers temps avec la pénurie de talents qui touche aussi les freelances et fait augmenter leur tarif. Nous avons besoin de ces derniers, mais dans une proportion raisonnable pour ne pas trop impacter la marge des agences.

Que vous inspire la polémique autour de la certification ISO 20121 de la Coupe du monde de football au Qatar ?

Je la perçois de manière intolérable. C’est dur car cette norme est bien fondée, aboutie et appliquée à notre secteur. Elle valide un système de management responsable des activités événementielles. Ce qui est insupportable, c’est qu’un organisme donne cette norme à l’organisation d’un événement qui est une hérésie environnementale et humaine. Tout le monde doit être vent debout. C’est du pur greenwashing.

 

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