La forte reprise de l’activité dans le secteur de l’événement est contrariée par une succession de crises – inflation, phénomènes météo, pénuries de main-d’œuvre et de matériaux – et la résurgence de vieux maux. Mais du chaos en cours pourraient émerger quelques opportunités pour assainir le marché. Charge aux intéressés de saisir leur chance.
Exceptionnelle, hystérique, monstrueuse, record… Les superlatifs pleuvent pour qualifier l’année en cours. Personne ne doutait de l’imminence de la reprise, après deux ans d’interdiction, mais force est de constater que rares sont ceux qui en avaient anticipé l’intensité. « Dans l’univers des salons, l’activité a repris dès septembre 2021, avant de s’interrompre en fin d’année du fait de la reprise épidémique, puis de reprendre dans tous les secteurs (salon, corporate event…) en février, malgré l’incertitude, souligne Renaud Hamaide, président de Comexposium et co-président d’Unimev. Et si le nombre d’exposants est inférieur à ce qu’il était en pré-Covid – 60% de la jauge 2019 pour les événements internationaux et 70% pour les nationaux – tous ont reconnus que la qualité des visiteurs était meilleure, leur permettant de concrétiser beaucoup de business. » Mais c’est sur les événements corporate que l’engouement est le plus visible. Tous les acteurs confirment la reprise massive des appels d’offres : « Les appels d’annonceurs sont incessants pour nous mettre sur des compétitions. En plus des demandes de nos clients réguliers, on n’a jamais eu autant d’opportunités sur de nouvelles marques », se réjouit Christophe Pinguet, cofondateur de Shortcut Events.
« Tout le monde veut communiquer en même temps et rapidement pour profiter de la dynamique, ajoute Nicolas Dudkowski, Associé fondateur de Double 2 et The Banner. Les compétitions ont commencé en mars, le mois de juin a été monstrueux. Nous avons dû refuser beaucoup d’appels d’offre par manque de temps et de ressources. » Sur la période mai/juin, Auditoire annonce même avoir battu son record, avec 40 événements délivrés en France pour 30 M€ : « Notre marge brute devrait y avoisiner les 22 M€, se félicite Cyril Giorgini, président de l’agence. À l’international aussi, nous réalisons une grosse performance au Moyen Orient, notamment grâce au luxe à la Tech et au lifestyle. Seule la Chine pose encore problème. Globalement, on assiste à un retour des grands événements –convention, forum… - qui sont des drivers de business. » L’écho est le même partout. LDR annonce avoir réalisé en un trimestre le chiffre d’affaires qu’elle réalise normalement en un semestre ! Le groupe S’cape annonce avoir organisé soixante manifestations sur le seul mois de juin… « Depuis le mois de mars, nous sommes sur les chapeaux de roues, confirme Peggy Boitel, directrice associée d’Événement d’Elles. Nous sommes inondés de briefs et recevons un appel d’offre par jour. La grande question reste « Pour combien de temps ? », car nous n’avons pas de visibilité au-delà de trois mois. » Raison pour laquelle les agences ne se risquent pas à commenter l’année 2023.
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Après deux ans de disette événementielle les agences se retrouvent donc confrontées à des problèmes de riches. « Elles profitent du « revenge event » : on se lâche pour recréer du lien, ce que seul l’événement physique est capable de faire, résume Lionel Malard, consultant fondateur d’Arthémuse. Mais cela ne permet pas pour autant d’en déduire que le secteur se porte bien. Plus aucun baromètre ne permet d’évaluer la santé de l’événement. » Quelques indicateurs subsistent toutefois : malgré la très forte supériorité de la demande sur l’offre, les professionnels expriment leur inquiétude quant à la situation, actuelle et à venir.
D’abord pour des raisons contextuelles. Au-delà de l’ombre du Covid qui plane encore sur le monde, et avec lui la menace de nouvelles interdictions, la guerre en Ukraine, l’inflation, l’intensification des phénomènes météo (orages, pluies, canicule) ou encore la crainte d’une crise sociale sont dans les esprits. Avec d’un côté, ceux pour qui ces crises auront immanquablement un impact baissier sur les budgets de communication des entreprises. « Les clients ont encore du mal à entendre et accepter les hausses de prix des matières premières, observe Benoit Rastier, directeur de l’agence Poisson d’Avril. Une bonne partie des événements d’entreprises d’avant l’été concernait des reports de 2020/2021, avec des jauges limitées. Beaucoup d’annonceurs gardent leurs habitudes digitales. »
Un avis que ne partagent pas les optimistes, à l’image de Stéphane Abitbol, Président du groupe S’cape : « Les entreprises ont de l’argent. Rien qu’en arrêtant leurs frais de déplacement, certaines ont réalisé pendant le confinement de très grosses économies en frais de déplacement, jusqu’à 700M€ par an pour certaines ! Malgré la reprise, la plupart n’ont pas réengagé les mêmes montants. Elles ont les budgets, veulent fédérer et garder leurs équipes… Elles vont multiplier les rencontres. »
« Il faut relativiser les menaces et ne pas oublier que nous évoluons dans un univers de prestation de services où l’incertitude est un paramètre avec lequel il nous faut composer, rappelle Olivier Ferraton, CEO de GL events. Dans certaines régions du globe où nous sommes implantés, comme le Chili, le Brésil, ou la Turquie, une inflation de 5 ou 10 % fait sourire. Mais il est évident que nous devons être dans l’anticipation permanente, notamment sur la question des ressources avec lesquelles nous travaillons et des risques de pénuries. »
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Ces quatre derniers mois ont parfaitement mis en lumière cette nécessité. Durant la période, un grand nombre d’organisateurs d’événements, à commencer par les festivals, ont multiplié les couacs du fait de pénuries. Pénurie de matériaux (bois aluminium…) et de composants freinant, voire empêchant la construction de structures, de décors ou le renouvellement de parcs de matériels. Pénurie de main d’œuvre aussi, obligeant les organisateurs à revoir leurs ambitions à la baisse, parfois jusqu’à annuler une partie de l’événement, à l’image du concert de Louane à la Fête de la musique, le prestataire n’ayant pas pu installer la scène faute de matériel… et de personnel !
Car depuis le Covid, entre 10 et 15% des effectifs de la filière événementielle auraient quittés le secteur. Des ingénieurs du son aux hôtesses d’accueil en passant par les maîtres d’hôtels, les monteurs de structure ou les agents de sécurité, pas un métier n’a été épargné.
Sur l’ensemble de la chaîne, c’est un peu la catastrophe, reconnaît Christophe Cousin, président de WinWin : Avant, aucune agence ne se demandait si elle allait trouver le prestataire pour faire le job. Aujourd’hui, les prestataires techniques, malgré toute leur bonne volonté, ne sont plus au niveau. On a vu sur certaines opérations des choses qu’on n’avait pas vues depuis des années : une console son qui ne va pas avec les enceintes etc. » En attendant, agences et prestataires font causes communes pour trouver des solutions, s’entraider, innover.
Dans les même temps, les agences ont, elles aussi, enregistré une baisse de leur effectif. « Des salariés ont quitté leur agence pour devenir freelance, explique Muriel Blayac, directrice générale de LDR. Ils trouvent du boulot partout, choisissent leurs clients, leurs projets, se ménagent pendant les périodes d’été etc. Ils gagnent un peu plus qu’en CDI… Nous devons faire des pas de côté, aller chercher des talents hors du sérail événementiel - dans les métiers du digital, du social média, du journalisme etc. – et les former. » En attendant, la pénurie de talents provoque une inflation logique mais aussi problématique dans des agences où les marges se sont déjà nettement réduites (-10% de la marge aurait été perdue en moyenne depuis la reprise).
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S’ajoute à cela la reprise de pratiques indélicates et parfois même douteuses dans le cadre d’appels d’offre. Une attitude surprenante après des mois durant lesquels ces acteurs ont multiplié les signes de respect mutuel et de solidarité, et dont la causes varient selon les avis, du manque d’anticipation à l’hystérie communicationnelle des entreprises en passant par la reprise des bons vieux réflexes d’avant Covid : Enchères inversées dans les secteurs de l’automobile et le la santé, appels d’offre incomplets, sans budget, mobilisant parfois six agences ou plus, délais intenables… « Le redémarrage est hystérique, très violent et bien souvent sans aucune vision », résume Stéphane Abitbol. Certains appels d’offres commencent à fatiguer leurs participants! Et pas des moindres à en croire Christophe Pinguet : « Ceux de Paris 2024 sont une totale incompréhension, tant sur les cérémonies que sur les lots « moyens humains » dont on ne nous dit ni pourquoi, ni à qui ils vont servir ! On nous demande un directeur technique, un directeur logistique… On ne nous achète pas une agence mais une compétence, dont personne ne peut dire qu’elle sera encore dans l’entreprise au moment où ils en auront besoin ! Il serait plus simple référencer les agences en leur donnant un projet de A à Z, sans la créa s’ils veulent la garder. » Les demandes d’éclaircissement ont été adressées au comité d’organisation… et les réponses toujours attendues. « Des équipes entières travaillent depuis deux ans sans rémunération, sans garantie de résultats. On à la limite de l’éthique », ajoute un poids lourd du marché
Pourtant, en 2022, l’espoir est plus que jamais permis. A la différence de l’avant Covid, l’incapacité matérielle de répondre à la demande pressante des clients a rétabli l’équilibre entre annonceurs et agences. Habituées à ne jamais refuser une demande de leur client, par peur de le perdre, elles y ont été obligées ces derniers mois par la force des choses… et se sont aperçues que leurs clients, réputés intransigeants, étaient capables d’écoute et de souplesse : « Quand on leur rappelle que nous ne demandons rien d’autre que de pouvoir appliquer chez nous les règles de comportement qu’ils trouvent normal d’appliquer dans leur entreprise, ils comprennent parfaitement », confirme Benoit Rastier. Mieux, bon nombre de refus argumentés seraient même suivis d’une nouvelle proposition du client ! « La quasi-totalité des clients auxquels nous avons refusé de répondre nous rappellent après, parce qu’ils ont compris que ça n’allait pas, observe Nicolas Dudkowski. Il faut expliquer pourquoi on refuse. » Ou quand les communicants découvrent les vertus de la communication ! « Ces pénuries sont plutôt saines, avance Cyril Giorgini. Elles peuvent inciter nos clients à planifier davantage leurs actions et, de fait, à privilégier des relations plus durables, avec leurs partenaires. La stratégie du one shot perpétuel est intenable pour les agences et contre-productive pour tout le monde. » Reste à voir si les parties prenantes saisiront cette occasion historique pour régler ce volet sensible et responsable de l’essentiel des tensions qui polluent la relation entre agences et annonceurs sur le marché de l’événement…
Trois questions à Pierre-Louis Roucaries, co-président d’Unimev
Que vous inspirent ces derniers mois ?
Pierre-Louis Roucaries : Après quinze mois d’arrêt complet, on pouvait craindre que nos clients se soient définitivement tournés vers d’autres moyens de communication, notamment digitaux. Il n’en est rien ! Le retour à la rencontre et au présentiel a été rapide, faisant de 2022 une bonne année. L’activité événementielle représente 85% de celle de 2019 du fait de l’absence de la clientèle asiatique et d’une baisse générale de 15 à 20 % du nombre d’exposants et de visiteurs dans les salons et congrès, compensé par une plus grande efficience.
Le digital s’est-il malgré tout durablement imposé dans les événements ?
Le Covid a accéléré la transformation digitale de notre secteur. Le phygital est devenu la nouvelle norme mais la route est encore longue. La digitalisation se limite encore beaucoup à une caméra en fond d’auditorium. L’arrivée du métaverse devrait nous aider si les investissements sont à la hauteur des ambitions. Ces univers doivent proposer une esthétique comparable à celle des jeux vidéo.
Après les incidents de la finale de la Ligue des Champions, la France est-elle toujours prête à accueillir les grands événements ?
Pour les deux prochains défis que sont la Coupe du Monde de rugby en 2023 et les JO de Paris 2024, nous sommes plutôt bien partis ! L’événement a toujours eu cette capacité à s’adapter, à trouver de nouvelles façons de travailler pour surmonter les obstacles.