Dans un contexte plus contraignant, les agences doivent se montrer minutieuses et inventives pour s’approprier le nouveau cadre législatif en matière de communication responsable.
À Toulouse le 9 février succédera Montpellier le 6 avril, puis Marseille le 1er juin… Julien Roset, président de l’Union des conseils en communication (UCC) Grand Sud, associé au sein de l’agence Just Happiness, sillonne la France méridionale. Il a entamé une tournée d’information ouverte aux agences, membres ou pas, aux freelances et aux annonceurs de sa région. Le libellé du rendez-vous ? « Comment les enjeux climat bouleversent la communication. »
Les lois antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) du 10 février 2020 et Climat et Résilience du 22 août 2021 commencent à définir les contours d’un nouveau contexte à même de perturber les pratiques anciennes. Sans compter les 30 recommandations de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), encore appelées droit souple, ou le développement des labels – Agences actives pour l’AACC, ouvert maintenant aux agences de relations publics. Résultat, pas loin de 100 professionnels étaient présents au premier événement mis en place par l’UCC, motivés par « la peur de sauter le pas, la peur de tomber sur du greenwhashing », explique Julien Roset, dont l’organisation regroupe 60 agences, et pas moins de 600 salariés. À raison.
« L’environnement va être de plus en plus judiciarisé, souligne Thomas Parouty, fondateur de l’agence Mieux, spécialisée sur les problématiques de responsabilité sociétale. Les lois vont tout faire pour éviter le carbone washing. Cela commence à porter ses fruits. Des entreprises se font retoquer. Selon l’article L121-2, la pratique commerciale trompeuse engage pénalement le dirigeant. »
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De grandes marques ont été récemment épinglées. Zero Waste France, association qui milite pour la réduction des déchets et une meilleure gestion des ressources, a porté plainte contre Adidas et New Balance à l’été 2022, pour leur communication mensongère. « 100 % recyclé », « solutions contre les déchets plastiques »… La loi est depuis le 1er janvier 2023 tatillonne en matière de neutralité carbone. « Il n’y a pas d’interdiction de communiquer, analyse Gildas Bonnel, président de la commission RSE de l’AACC, par ailleurs président et fondateur de Sidièse, agence exclusivement dédiée à la transition écologique des marques. Mais si on le fait, alors il faut être en mesure de donner une traçabilité. Avoir à portée de main les données qui ont contribué à calculer [l’empreinte carbone]. »
L’exercice passe tout à la loupe. Pas d’avion, recours à la voiture limité, transports en commun privilégiés, impression de brochures réalisées par un Établissement et service d’aide par le travail (ESAT) sur du papier recyclé, avec de l’encre végétale… Des réflexes pour Thomas Parouty. « On ne marge pas sur l’impression des brochures, note-t-il, mais tout le monde est heureux de le faire. Il y a assez peu de clients qui la refusent… » D’autres exemples : « Utiliser plus longtemps les campagnes, illustre Mercedes Erra, fondatrice et présidente du groupe BETC. Et moins d’assets pour la production. Dix assets, 500 assets, je ne suis pas sûre que l’on ait besoin de tout ça. » Ou bien encore recycler des décors, réduire le kilométrage entre le domicile et le bureau pour les collaborateurs…
Campagne après campagne, poste par poste, tout doit être décortiqué. « Vous avez déjà vu le questionnaire de bilan carbone ? interroge Marie Gabrié, directrice déléguée à l’AACC. Qui doit fournir les éléments de preuve ? Des annonceurs le demandent aux agences. Ce n’est pas de nature à manger la marge, mais c’est un surcoût, car chronophage. Les agences ne se posent pas la question de le faire, mais c’est une couche supplémentaire à gérer. Et en l’absence d’un spécialiste en interne, les RH ou le responsable développement se retrouvent à devoir l’assumer. » Un enjeu de taille qui agite le Landernau de la communication.
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« Si on fait notre part en matière de sobriété, l’écoconception n’est pas le problème majeur, estime Mercedes Erra. Le poids des agences ne compte pas, mais la filière communication a un rôle d’influenceur, elle peut modifier les comportements. » Exit le meilleur café, la voiture en solo, les dressings avec 100 paires de chaussures comme expression du bonheur. « Déconstruire l’imaginaire collectif développé ces dernières années revient par exemple à ne pas utiliser systématiquement la viande pour illustrer un repas convivial, détaille Julien Roset. Non pas pour pousser tous les consommateurs à devenir végétariens, mais en raison de la forte incidence environnementale de la production de viande. Comme tout apprentissage, un calage est requis. Au début, on est un peu moins efficace. »
Mais des grincements de dents se font entendre. « Il y a un sentiment de ne plus pouvoir faire ce que l’on veut, rapporte Mathieu Jahnich, consultant et chercheur en transition écologique et communication. Comment réussir à proposer une campagne attractive ? Mon métier a-t-il une place dans une société de plus en plus sobre ? Mais de toute façon, la loi est très en deçà de ce que la convention citoyenne avait proposé », tient-il à ajouter.
Pour rassurer, éviter de voir la loi aller plus loin et conserver le principe de l’autorégulation, attirer à elle de jeunes talents, faire taire le très français bashing habituel contre le secteur, la profession se mobilise, avec l’annonce en février de la création de l’Observatoire de la communication à impact positif, rebaptisé « accélérateur d’action » par Jean-Charles Caboche, vice-président de BETC. « Au premier trimestre 2024, annonce Romain Mouton, président de RM Conseil et du Cercle de Giverny, laboratoire d’idées en faveur de la RSE et berceau de l’Observatoire, un rapport sera publié et la meilleure campagne désignée, selon des critères qui ne doivent pas être une usine à gaz. Ce serait contre-productif. Mais un bon créatif a encore toute sa liberté de création. Les contraintes pèsent davantage sur les annonceurs. »