Les agences de communication en régions ont connu un début d’année 2022 très dynamique tant au niveau de leurs activités que du recrutement. Mais les mois à venir s’annoncent plus compliqués. Du nord au sud, de l’est à l’ouest, on regarde déjà dans le rétroviseur.
Pas de vacances durant l’été 2022 pour Tanguy Hugues. Rien en septembre. Rien en octobre. Peut-être en décembre. « Que juillet soit sportif, cela n’a rien d’étonnant, commente le directeur général de Nocta, agence à Nice. Mais, recevoir des sollicitations, avoir des compétitions même la semaine du 15 août, est pour le moins peu habituel. C’est un marqueur fort ! » Résultat : seules les équipes de l’agence nouvellement installée dans le quartier d’affaires Arénas sont parties en congés, pas le patron. Autre région, même bilan. « Business : agences et annonceurs sabrent le champagne », peut-on lire sur la couverture de la dernière édition de l’Observatoire de la communication et du marketing en Hauts-de-France, réalisé par Place de la communication, réseau de professionnels de la communication du marketing et du digital des Hauts-de-France (450 membres). « Le constat est unanime, explique Etienne Demouy, dirigeant de JBL Com, président de Place de la communication. Le milieu s’est très bien sorti de la crise du covid. 67 % des prestataires annoncent un chiffre d’affaires en hausse. » De hausse aussi, il est question à Lyon, avec une progression de la marge brute de l’agence TBWA de 26 %, après 11 % en 2021.
« Le marché a montré une extraordinaire capacité de rebond, note Christine Robert, directrice déléguée de l’Institut de recherches et d’études publicitaires (Irep). Les chiffres de recettes globales des cinq médias (presse, radio, télévision, cinéma, publicité extérieure), digital et communication adressable du premier semestre 2022 sont en progression de 13,2 % par rapport à 2021. » Autres données pour parfaire le tableau : + 12 % aussi pour les dépenses des annonceurs au premier semestre, et 7 % probablement au second semestre.
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Paris et le désert français ? Une image qui n’a pas ou plus lieu d’être en 2022. « Cela a souvent été un phénomène de balancier, analyse Xavier Guillon, directeur général de France Pub, entre décentralisation et recentralisation. Avec des avantages et des inconvénients pour les deux approches. Mais, il n’y a pas un produit qui soit vendu au même prix dans tout le pays, pas le même réseau de distribution non plus. Et, c’est sans compter la relocation ou les circuits courts… des thématiques qui profitent aujourd’hui pleinement aux marchés locaux. » Une tendance de fond. « Très longtemps, regrette ce directeur en poste de plus de 11 ans maintenant, l’analyse du marché de la communication s’effectuait au regard de l’activité nationale. Pourtant, le marché en région est loin d’être une paille. On parle quand même de 10 milliards d’euros. Un tiers du marché global se joue là. »
L’ancrage local est au cœur des réflexions. On parle aussi de recherche d’authenticité. Pour preuve, la naissance en 2022 du mouvement baptisé « Les Relocalisateurs ». « Rééquilibrer est important, note Dorothée Caulier, à l’origine de ce collectif, avec JC Decaux, France TV publicité, Adot et 366. Il y a d’excellents médias locaux, avec la TV segmentée, par exemple, sans passer par Facebook ou Google dont personne ne connait les algorithmes. A défaut, le risque est grand de tuer des titres, des régies, et donc des emplois… »
La bonne santé du premier semestre 2022 repose en partie sur l’explosion de la communication interne. « Avec la fermeture des entreprises pendant le covid, les dirigeants ont vite compris qu’ils n’avaient pas forcément les outils pour maintenir le lien », dixit Etienne Demouy. C’est corporate à tous les étages. Concept cher à Didier Pitelet, fondateur d’Henoch consulting et de Moon Press, pour qui la « marque employeur » alimente le marché. Comment mobiliser les collaborateurs ? Comment susciter leur engagement ? Des questions plus que jamais d’actualité en période de « quiet quitting » ! Le digital aussi a le vent en poupe : « La distinction qui voudrait voir le digital à Paris et la com’ traditionnelle en province est totalement erronée », martèle Mathieu Vicard, dirigeant d’Adrénaline.
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« Je ne suis pas certain que 100 % des sollicitations aboutissent, s’inquiète toutefois Tanguy Hugues. On n’a pas repris tous nos contrats. Et nos comptables nous poussent à ne pas laisser en souffrance des factures impayées. Avant 2020, le chiffre d’affaires pouvait être nourri avec quatre ou cinq gros contrats et quelques petits clients. En cette fin d’année 2022, les gros budgets appuient sur le bouton pause. Le marché est supporté grâce aux nombreuses sollicitations des petites et moyennes entreprises (PME). »
« La rentrée a du mal à… rentrer, résume Etienne Demouy. On revient sur une visibilité assez court-termiste. » D’après le Club des annonceurs, des coupes dans les budgets se font jour, même sur des opérations déjà dans les tuyaux. L’augmentation du coût du papier a un impact non négligeable sur l’impression des catalogues, par exemple. « RSE versus économie, quand on coupe les catalogues, premier vecteur de communication, détaille Dorothée Caulier, directrice générale de CoSpirit media, on taille aussi dans les emplois. » La pagination baisse. Peu à peu, la prudence s’installe. « L’indice de confiance communiqué par la filière Communication est en recul de cinq points, rappelle Frédéric Cronenberger, président de l’agence Novembre Creative Business Partner et de l’Union des conseils en communication (UCC) Grand Est. Pour la première fois, le marché est confronté à une crise multifactorielle. »
Le plan sobriété présenté début octobre par Elisabeth Borne pourrait dégrader un peu plus le baromètre. « Ce ne sont que des recommandations, sauf un décret-loi qui porte sur l’affichage extérieur, s’énerve Etienne Demouy. Un mauvais signal est envoyé. La communication passe pour le mauvais élève de l’écologie. Notre secteur est stigmatisé. Aux fabricants, aux annonceurs, aux entreprises d’évènementiel… on est en train de couper les bons de commande. Et ce, du jour pour le lendemain. » C’est peut-être oublier un peu vite l’arrêté du 27 décembre 2018 (applicable depuis le 1er janvier 2019) relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses.
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De plus, la pénurie de main-d’œuvre fait rage, dans la communication comme partout ailleurs. Et en régions aussi. Selon l’Observatoire des Hauts-de-France, 43 % des annonceurs et 79 % des agences recrutent en ce moment ou prévoient de recruter d’ici la fin de l’année. Un exemple ? Le campus 5.9 de Publicis installé à Wasquehal en novembre 2021 n’a pas fini de recruter. 200 embauches étaient prévues. 50 ont été réalisées. Pour mieux répondre aux attentes des acteurs du marché, l’idée de développer un campus dédié dans les Hauts-de-France fait son chemin.
« On fait des paris sur les juniors, commente Tanguy Hugues. C’est notre salut. On s’adapte. » L’opération séduction pour ce Niçois passe par la création d’un bureau à Londres. Sur le papier, ça claque ! Une technique d’affichage. Un directeur créa, un autre en conseil… pas moins de 10 recrutements chez TBWA. « Je me vois contraint de sélectionner les sollicitations sur lesquelles l’agence se positionne, commente Philippe Goure. Il me faut de la bande passante. Il me faut des ressources disponibles. »
Le marché de la communication et de la publicité est en panne d’attractivité. Ce n’est pas le seul, certes. « Une relation de confiance entre agences et annonceurs doit être restaurée, précise Julien Roset, directeur associé chez Just Happiness et président de l’UUC grand Sud. On n’a pas besoin de ce rapport de force, de ces annonceurs qui ont pris l’habitude de demander des coups de bourre, des charrettes. Il faut en terminer avec la maltraitance sur les appels d’offres ! C’est un vieux sujet, mais le moment est arrivé d’en sortir ! »
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En septembre 2020, Aude Renoud a plié bagage pour s’installer en indépendante. Bye bye l’Ile-de-France, bonjour Bourg-en-Bresse. « Beaucoup de très petites entreprises (TPE) ne savent pas comment s’y prendre, témoigne-t-elle. Or, après le covid, elles ressentent le besoin d’exister, d’être visibles. Si elles ne se digitalisent pas, elles passent à côté d’un marché. Elles en prennent conscience. La greffe prend bien. » Au point même pour Aude Renoud de réfléchir à s’adjoindre des compétences supplémentaires dans les mois à venir. Les transfuges de Paris vers la province sont légion. Ils ont fait les gros titres de la presse. Cette mobilité fait aussi les affaires des agences en région. Ainsi, les directeurs de la création et du conseil récemment recrutés à Lyon sont des Franciliens.
Mais l’inverse est vrai aussi. « On a beau dire ce que l’on veut, mais l’écosystème de la publicité en région n’est pas le même qu’à Paris, commente Diane Loth, actuelle directrice clientèle relations publiques au sein de l’agence Rumeur publique. On ne fait pas le même métier. » Elle a quitté Toulouse il y a quelques semaines. « Le rapport au temps n’est pas identique, poursuit-elle. Je ne me reconnais pas dans la tendance à revendiquer un équilibre vie personnelle versus vie professionnelle. Je trouve mon épanouissement dans mon travail. En région, il n’y a pas de réflexion stratégique aussi pointue. » Diane Loth, un cas isolé ? Peut-être l’amorce d’un mouvement à confirmer ou infirmer en 2023.