Lancé fin 2017, le Digital Ad Trust [ou DAT] est un label qui vise à sécuriser les investissements en ligne des annonceurs sur la base de cinq critères : brand safety, visibilité, protection contre la fraude, expérience utilisateur et respect des données personnelles. Le SRI (Syndicat des régies internet), l'un des maîtres d’œuvre de cette initiative, dresse un bilan d’étape : « Nous en sommes à 136 sites labellisés pour 30 millions de visiteurs uniques par jour, soit 65 % de la population française connectée, détaille Sylvia Tassan Toffola, sa présidente. Certains adhérents ne sont pas membres du SRI comme Webedia, Reworld, Infopro, et après un an, nous avons 100 % de renouvellement de candidatures, ce qui montre l’adoption du label. Autres signes encourageants, Médiamétrie a inclus les sites labellisés dans ses mesures d’audience et 15 grands annonceurs(1) se sont engagés à investir sur ces sites. »
Se priver de formats intrusifs
La démarche est vitale pour les éditeurs puisqu’il s’agit de sauvegarder leur économie, alors que le social et le search dominent toujours largement la publicité digitale (77 % des recettes, selon le dernier bilan de l’Observatoire de l’e-pub). Elle leur demande toutefois un sacrifice car ils doivent accepter de se priver de formats intrusifs. « Nous expliquons depuis des années aux annonceurs l’importance d’un contexte éditorial de qualité. Le label nous permettra de l’exprimer au niveau commercial, explique Pierre Coquard, directeur général de Planet Media, qui édite les sites d’information santé Medisite et E-santé. Cela suppose d’accepter de perdre des revenus publicitaires pendant un certain temps, en renonçant aux formats pop-up. Actuellement, sur Medisite, nous avons 70 % de publicité en programmatique et 30 % en opérations spéciales. Nous avons la volonté de développer les formats natifs. » « Proposer des formats non intrusifs face à la montée en puissance des adblockers est une demande essentielle pour les annonceurs, appuie Estelle Reale, directrice marketing de Sublime, spécialiste des solutions publicitaires qualitatives. Un autre critère est la lutte contre la fraude : on a mesuré qu’avec les nouveaux algorithmes sécurisés, elle tombe à 1 ou 2 % contre 3 ou 4 % pour la moyenne du marché. »
Pour accompagner le mouvement, les offres commerciales labellisées DAT se multiplient, chez Publicis Media, Havas Group, Teads, FreeWheel, AppNexus… GroupM a créé TrustedPlace, une place de marché sécurisée qui représente 40 % des investissements de l’agence en programmatique « avec des taux de visibilité et des durées de visionnage supérieurs à la moyenne du marché », assure Laurence Milhau, directrice générale de GroupM Digital. L’efficacité de ces investissements est le nerf de la guerre pour la réussite de ce label, les annonceurs ayant besoin de concilier qualité et performance. « Il est encore un peu tôt pour mesurer l’efficacité marketing de ces offres, estime Damien Mora, directeur des opérations de Gamned, expert programmatique du groupe TF1, qui a créé l’offre Qualified. Avec 140 sites, on arrive à un seuil critique qui a du poids. On sait que lorsque l’on cible les audiences de Marmiton, Doctissimo et Aufeminin, on est dans un environnement de qualité qui rassure les annonceurs. Mais est-ce que cet environnement favorise les achats dans le domaine de la cuisine ou de la puériculture ? On n’a pas assez de recul. »
Le manque de précision des critères d’adhésion est un des reproches adressés au label. « Je regrette qu’il mette en avant une analyse des sites à l’instant T sans garantie sur le long terme, note Benoît Coucke, directeur trading de Tradelab, data company du groupe Webedia. Il faudrait une mise à jour tous les mois ou tous les trois mois de la qualité de l’inventaire. Il existe un effet de saisonnalité : l’audience d’un site à l’instant T n’est pas la même deux semaines plus tard. Demain, le label risque d’être décrié si les régies ou les sites ne sont pas assez vigilants. »
Surcoût pour les annonceurs
ZBO Media, plateforme programmatique du groupe Figaro, a fait le choix de ne pas créer d’offre spécifique DAT. Barbara Stenzel, directrice du trading, s’en explique : « On crée des white lists spécifiques mais on ne veut pas se couper de certains sites. Des éditeurs non labellisés, comme Condé Nast, apportent beaucoup de sécurité et répondent à la demande des annonceurs. Pour nous, la qualité des sites sur lesquels nous diffusons est un prérequis, nous sommes réservés face à des offres commerciales qui peuvent laisser penser que ces acteurs ne maîtrisaient pas leur cadre de diffusion avant. » Plutôt que d’utiliser le label comme un support de communication, la société préfère s’engager à diffuser les publicités sur des sites qualitatifs et sécurisés, dans un contexte en adéquation avec l’univers des annonceurs, ce que ne permet pas forcément les sites DAT. Pierre Calmard, président de l’agence iProspect (Dentsu Aegis), pointe une autre limite : « Le surcoût pour les annonceurs est important et probablement trop élevé par rapport au bénéfice induit. Tous les tests que l’on a menés chez Dentsu montrent un coût multiplié par deux ou trois, non compensé par l’amélioration de la qualité de diffusion. »
Malgré ces reproches, le DAT est largement considéré comme une initiative positive qui répond aux attentes du marché. « Dommage qu’il arrive si tard, regrette Olivier Mazeron, ex-GroupM et PDG du cabinet de conseil Sutter Mills. Les publicitaires qui poussent aujourd’hui des cris d’orfraie contre les Gafa auraient dû réagir il y a déjà cinq ans. » Pour Sylvia Tassan Toffola, la présidente du SRI, il en va de « la biodiversité du marché et du rééquilibrage des investissements face aux plateformes. N’oublions pas que les éditeurs vivent de la publicité et que sans diversité éditoriale, il n’y a pas de liberté d’expression. » Janvier 2020 sera la date critique pour savoir si ces initiateurs ont gagné leur pari, tant en termes du nombre d’adhésions que des études d’impact. Mais comme dans la biodiversité du vivant, les espèces menacées sont lancées dans une course contre la montre.