Dans l'atelier en duplex baigné de lumière du Xe arrondissement, des tournevis traînent, çà et là. L'installation n'est pas encore tout à fait terminée, mais les équipes de The Good Company sont déjà à pied d'œuvre. Sur le mur, une affiche encadrée, imprimée de cette phrase : « Work hard and be nice to people » [Travaillez dur et soyez gentil avec les gens]. L'on sent chez les premières recrues (une petite douzaine, voir encadré) une excitation palpable, une fébrilité heureuse, alors que les premiers échos de la création de cette nouvelle agence par Luc Wise - qui a quitté ses fonctions de chief strategic transformation officer de Publicis en novembre dernier - viennent de filtrer dans la presse. « C’est une belle aventure qui commence », se réjouit Céline Picoré Skrzynski (ex-CFO-COO d'Interbrand). Xavier Real del Sarte, ancien président de Young et Rubicam France, arbore un franc sourire : l’ex-cofondateur de l’agence V - dont Luc Wise était managing director et patron du planning - est l'un des investisseurs de la nouvelle structure, agence de conseil et de création.
Des inspirations multiples
« Cela faisait quatre ou cinq ans que je me posais la question de ma responsabilité sociale dans le métier que j'exerce, celui de publicitaire », explique Luc Wise, 44 ans. L'on aperçoit, sur les étagères, l'ouvrage Goodvertising – la publicité créative responsable, du publicitaire danois Thomas Kolster. L'ouvrage fait partie des inspirations qui ont mené à la création de The Good Company. Tout comme le livre Grow, de Jim Stengel, ancien CMO de Procter&Gamble : « Ses travaux m'ont beaucoup inspiré, souligne Luc Wise. Stengel montre qu'il est faux d'opposer la communication ROIste et la communication responsable ». L'exemple d'Alex Bogusky, publicitaire nommé « Créatif de la décennie » en 2009 par Adweek, a également interpellé Luc Wise : « Bogusky est le plus grand talent publicitaire de ces 20 dernières années avec David Droga, il aurait pu être COO de n'importe quel réseau, et il a préféré partir à Boulder, dans le Colorado, pendant dix ans, quitter une voie toute tracée pour faire un choix pas carriériste mais citoyen, en lançant plusieurs initiatives pour aider les marques à développer des produits, des services et des communications plus responsables. »
Ce qui est très exactement l’ambition de Luc Wise et de The Good Company… « Aujourd'hui, ce sont les marques - qu'on le veuille ou non - qui ont la puissance imaginaire et la puissance économique de changer le monde. Les associations, seules, ne peuvent pas y arriver. Elles ont besoin des grandes entreprises. Et nous conseillons les grandes entreprises… »
Un capitalisme responsable
Le Franco-Britannique rappelle « la phrase de Margaret Thatcher - que je détestais, enfant - mais dont le “There is no alternative” [TINA – Il n'y a pas d'alternative] reste d'actualité [...] Aujourd'hui, il n'existe pas d'alternative crédible au capitalisme. Alors, quel capitalisme souhaite-t-on ? Selon moi, cela doit être un capitalisme plus responsable, plus transparent, et qui œuvre pour ce que l'on appelle le “business for good”. Avec l'idée, difficilement traduisible en français, que “business for good is good for business”. ».
Luc Wise, ses équipes et ses investisseurs [voir encadré] en sont convaincus : les marques n’ont, de toutes les façons, plus le choix. « Certaines marques vont se faire disrupter sociétalement et éthiquement, parce qu'elles n'auront pas pris en compte et anticipé les nouvelles attentes des consommateurs. Dans les années 80, c'est le statut qui était aspirationnel. Aujourd'hui, c’est l'activisme. » Une marque comme Patagonia est à ce titre exemplaire, selon le publicitaire : « C’est une marque vocationnelle, dont la responsabilité s'exprime de la supply chain aux RH, où le RSE est présent à chaque échelon de l'entreprise : elle a même nommé un chief philosophy officer ». Unilever intéresse également Luc Wise, « pour tout le travail effectué par Paul Polman, notamment sur Dove. Si Unilever le fait, c’est bien parce qu’il existe une corrélation entre responsabilité et business. »
Pas de « course à la taille »
Une responsabilité qui sera la préoccupation de tous les instants du patron de « The Good Company », « dont le nom est une promesse ». Une charte éthique, qui liste engagement social, environnemental et économique est en cours de rédaction, avec l'objectif d'obtenir, d'ici trois ans, trois étoiles au label RSE de l’AACC. Pour l'heure, Luc Wise a décidé de donner une partie des clés à ses salariés : ceux-ci, qu'ils soient « standardiste, chef de pub ou DG »détiennent 20 % de la société (51 % pour Luc Wise, 29 % pour les investisseurs extérieurs). Chez The Good Company, le bien-être en entreprise ne devrait pas être un vain mot : « J’ai été très marqué par la une de Stratégies sur le burn-out en agences avec Vincent Leclabart [Burn-out : mobilisons-nous ! dans le n° 1870 du 08/09/2016]. À quoi bon faire du profit si c’est pour engendrer des dégâts humains ? Les performances sociales sont d'ailleurs inscrites dans notre K-bis [document officiel attestant de l'existence juridique d'une entreprise]. »
L'agence compte d'ores et déjà six clients, pour l'heure confidentiels, et qui « n'ont pas été pris aux anciens employeurs ». D'ici à cinq ans, The Good Company entend compter 50 personnes pour 5 millions de marge brute. « Je ne suis pas dans un ego trip de course à la taille », précise Luc Wise. Le nouveau patron de The Good Company préfère citer cette phrase de Paul Valéry, extraite du Cimetière marin, qui illustre, selon lui, ce nouveau voyage entrepreneurial. « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ».
Un collectif et des investisseurs
The Good Company réunit un collectif comprenant notamment Leïla Touiti-Rose (précédemment directrice de la communication de Rosbeef et Marcel), Céline Picoré Skrzynski (ex-CFO-COO d'Interbrand), Nina Kurose (ex-planneuse stratégique chez Publicis Conseil), les créatifs Jacques Denain et Philippe Lesesvre (ex-Herezie et We Are Social) ainsi que Neil Tamzali (ex-planneur stratégique chez Mc Cann et Be Reel). Par ailleurs, Luc Wise est accompagné de plusieurs investisseurs, dont notamment Eric de Filippo, président de la production digitale de Big Boss Holding, Jerome Ruskin président-fondateur d'Usbek et Rica, Xavier Real del Sarte, ancien président de Young et Rubicam France et Julien Quidor-dit-Pasquet, précédemment directeur conseil au sein de l'agence Rosapark.