La semaine du luxe responsable organisée en ligne par Stratégies a permis de cerner les nouveaux enjeux du secteur, sur fond de crise sanitaire.
Trois matinées pour comprendre le luxe actuel face aux enjeux sociaux et environnementaux : Stratégies organisait les 17, 18 et 19 novembre des tables rondes en ligne avec des dirigeants de marques et des experts. La première session, autour du virage RSE (responsabilité sociétale des entreprises), accueillait en grand témoin Hélène Valade, directrice du développement durable de LVMH. Celle-ci l’a rappelé, « la crise sanitaire a été un révélateur sur les questions RSE. Les groupes de luxe ont montré leur implication en fabriquant du gel hydroalcoolique et des masques. » Mais l’engagement était déjà là : au sein de LVMH, toutes les maisons travaillent autour de quatre axes, la biodiversité, le climat, l’économie circulaire et l’upcycling. Le groupe s’intéresse aussi à des alternatives comme le cuir à base de cactus de Desserto. « C’est une démarche de progrès, a défendu Hélène Valade. La mode est pointée du doigt pour sa pollution mais le luxe n’est pas la mode. LVMH ne représente que 0,4% de l’empreinte totale de l’industrie textile. »
« On incrimine beaucoup le luxe, considéré comme superflu, mais c’est injuste, a renchéri Brune Buonomano, présidente de l’agence BETC Étoile Rouge. Il ne vient pas de découvrir la RSE, il est dans un progrès continu. Il a la capacité à produire de la culture et à transformer son époque. » Démonstration avec Yves Saint Laurent Beauté, client de BETC Étoile Rouge, qui a présenté la campagne « Aimer sans abuser » sur les violences conjugales. « C’est un projet de long terme qui va engager tous nos pays, a expliqué Stephan Bezy, directeur général international de la marque. À travers nos réseaux sociaux, nos sites e-commerce, nous allons servir de caisse de résonance à des actions d’éducation avec des ONG. » « Le luxe a un impact positif pour valoriser des initiatives, a souligné Corinne Mrejen, directrice générale du groupe Les Échos Le Parisien. Par exemple Rolex est partenaire de notre magazine digital Les Échos Planète qui informe sur l’urgence écologique. » Et de défendre un « luxe tranquille », qui s’exprime dans des codes de communication plus sobres et transparents.
Le lendemain, Isabelle Capron, vice-présidente d’Icicle, a présenté cette marque chinoise qui incarne justement un luxe sobre ancré dans la nature. Créée en 1997, elle utilise des matériaux nobles, laine, soie, cachemire, très peu de coton, sans teinture ou seulement végétales. Contrairement aux idées reçues, les consommateurs chinois sont très sensibles à cette démarche « ecofashion ». « C’est une marque qui fait la synthèse entre les talents chinois et les savoir-faire français, avec un centre de design à Paris », a rappelé Isabelle Capron. Son intervention a servi de prélude à une discussion autour d’un des aspects de la mode durable, la seconde main. Maëlle Gasc, chief growth officer du site Vestiaire Collective, a rappelé quelques chiffres issus d’une étude réalisée avec BCG : l’occasion représente 30 à 40 milliards de dollars, soit 2% du marché global du luxe. Sa croissance est forte, de l’ordre de 15 à 20% sur les cinq prochaines années. Damien Pellé, directeur du développement durable des Galeries Lafayette, a expliqué comment le grand magasin lui fait une place dans ses rayons : « La mode responsable représente 13% du chiffre d'affaires mode des Galeries Lafayette et 40% du chiffre d'affaires de notre marque propre, avec l’objectif de 25% d’offre responsable au global en 2024 et 100% sur nos marques propres. » Le magasin du boulevard Haussmann a ainsi accueilli un corner Weston Vintage, dédié à la marque de souliers haut de gamme. « Weston Vintage rachète d’anciens modèles aux clients, les répare dans notre atelier de Limoges et les revend à des prix inférieurs au neuf. Nous ne gagnons pas d’argent, l’objectif est d’abord de mettre en avant le savoir-faire de nos artisans », a précisé Jean-Marc Laborde, vice-président et directeur commercial de J.M. Weston. La seconde main peut donc être une opération de communication, mais aussi de recrutement, en faisant venir des consommateurs plus jeunes grâce à des prix plus bas. Maëlle Gasc a d’ailleurs souligné que l’achat de seconde main pouvait être une porte d’entrée vers le luxe neuf. « Mais la seconde main n’est pas l’alpha et l’omega du luxe durable, a insisté Damien Pellé. Je crois surtout à la mode circulaire. Actuellement moins de 1% des vêtements qui sont jetés redeviennent des vêtements. »
Et les jeunes, les fameux Y et Z, que pensent-ils de ces évolutions? C’était le thème de la troisième matinée. Éric Briones, co-fondateur de la Paris School of Luxury et auteur de « Luxe et Résilience » à paraître en janvier chez Dunod, a présenté une étude sur cette génération prise entre passion et indignation, à l’instar de ses icônes Greta Thunberg et Alexandria Ocasio-Cortez. « Dans cette génération, je m’indigne donc j’influence. Les marques se trouvent en communication de crise permanente. » Cela vaut aussi pour la Chine où les moins de 30 ans représentent 47% des achats de luxe et où le risque de boycott est constant. Il était temps de donner la parole à de jeunes marques de luxe nées dans cette prise de conscience. Ancien de L’Oréal, Nicolas Gerlier a créé La Bouche Rouge, maquillage sans plastique, des formules aux packagings. « Je n’ai pas créé cette maison pour toucher une cible en particulier. Je voulais parler aux habitants du XXIe siècle qui sont conscients de l’impact de la pollution au plastique. C’est ce qu’on appelle la blue beauty, à la fois bonne pour vous et pour la planète. » Steeven Kodjia a présenté sa griffe de prêt-à-porter masculine French Deal, ancrée dans ses racines ivoiriennes : « J’ai voulu exprimer ce que je suis, faire découvrir la culture noire au plus grand nombre sans chercher à plaire à tout le monde. Je ne pense pas en terme de cible mais de communauté avec laquelle on va pouvoir dialoguer et se comprendre. Cela passe par la culture, la musique qu’on écoute, les vêtements que l’on porte. » « Le luxe apporte une vision du monde, a conclu Claire Gallon, directrice conseil d’Ogilvy Paris, encore plus avec le confinement qui a renforcé la valeur d’investissement dans le luxe. Au-delà d’un objet, on adhère à une culture, à un créateur. »
Pascale Caussat