Les régies reprennent leurs études

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Les régies se sont professionnalisées dans leurs outils, leurs discours et leurs comportements commerciaux. Telle est l'une des principales conclusions de La nouvelle donne du marché publicitaire (1). De fait, depuis plusieurs années, les principales régies, tous supports confondus, ont investi massivement dans l'expertise, en cofinançant les principales études en multisouscription comme en développant des outils spécifiques (lire pages 46 et 47). Pour la plupart d'entre elles, les études constituent d'ailleurs le premier poste de dépenses, hors masse salariale. Depuis le rachat, en 1994, des Editions mondiales, le groupe Emap veut ainsi clairement faire du marketing publicitaire un fer de lance de sa politique commerciale.«Nous investissons chaque année une dizaine de millions de francs dans les études,affirme Pierre Conte, le directeur commercial du groupe britannique en France.Cette année, nous allons recruter trois nouveaux chargés d'études, ce qui portera notre effectif à quinze personnes.»A Manchette Publicité, la création d'un service marketing remonte à la fin des années 80.«Depuis, nous avons développé un certain nombre d'outils pour imposer notre marque, notamment sur la cible des hommes,explique son vice-président, Louis Gillet.Nous lancerons d'ailleurs prochainement un observatoire sur la consommation des hommes.»Ce constat se vérifie également dans les médias audiovisuels: la télévision et la radio se sont lancées massivement, depuis deux à trois ans, dans la souscription, voire la création, d'études quantitatives et qualitatives. C'est le cas notamment de TF1 Publicité avec l'étude Aude. De la même manière, France Espace a développé avec le CCA une vaste recherche sur les sociostyles appliqués à la télévision. Ce territoire de l'expertise est même parfois devenu un véritable champ de concurrence entre les régies. On prête par exemple à Europe Régies, qui investit entre 8 et 10millions de francs par an dans les études radio et affichage, la volonté de reprendre le leadership occupé jusqu'ici par IP en radio.«Dans le passé, toutes les régies n'avaient pas le même niveau d'expertise,reconnaît Gianni Guindani, directeur du marketing de Publiprint, la régie publicitaire du groupe Hersant.Aujourd'hui, ce n'est plus vraiment le cas.»Ce qui n'est pas sans poser des problèmes aux deux précurseurs qu'étaient IP et Interdeco.«J'ai clairement l'intention de retrouver un leadership en matière d'études,indique Olivier Chapuis, le nouveau président de la régie d'Hachette Filipacchi Médias, qui y investit plus de 15millions de francs par an.Être premier ne suffit pas, il faut passer à un rôle de leader.»Interdeco lance d'ailleurs en 1998«deux nouvelles études de référence»,l'une sur la fonction médias, l'autre sur l'évolution du marché publicitaire.Les bienfaits de la criseCette mutation des régies s'est opérée sous la pression d'un marché difficile, après la crise du début des années 90, renforcée par l'adoption de la loi Sapin en janvier 1993. Si cette dernière n'est pas à l'origine directe de ce changement, elle a incontestablement servi d'accélérateur, reconnaissent l'ensemble des opérateurs.«Faire des relations publiques ne suffit plus, les régies ne peuvent plus se contenter d'être des vendeurs d'espace»,rappelle Marie-Paule Laval, directrice commerciale du groupe Marie Claire, qui a conçu en juin 1994 sa cellule marketing comme une aide à la vente pour les différentes équipes commerciales du groupe.«Le marketing publicitaire intervient en amont et en aval des prospections,poursuit-elle.Il contribue à élaborer les stratégies commerciales, définir les études publicitaires et construire les argumentaires de vente.»L'idéal serait de disposer d'un chargé d'études pour chaque commercial, comme c'est le cas auWall Street Journal,rêve Pierre Conte, d'autant qu'obtenir des rendez-vous avec les annonceurs, dont le niveau d'exigence est de plus en plus élevé, devient très difficile.«Un commer- cial d'aujourd'hui n'est plus uniquement compétent sur son média, mais sur l'ensemble des médias,insiste Renaud Vieljeux, directeur général d'IP.Il est donc logique que l'expertise occupe une place essentielle, mais pas prédominante, pour exercer notre métier de vente.»D'autant que les annonceurs semblent réclamer toujours plus de finesse et de précision.«En période de crise, ils ont besoin de maîtriser au mieux leurs dépenses publicitaires, sans s'enfermer dans le seul coût du GRP»,confirme Michel Cacouault, Pdg d'Europe Régies et de Giraudy. C'est pourquoi les régies des radios ont décidé, au cours de l'année 1997, d'initier de concert un certain nombre de nouvelles études sur leur média.«Il nous faut développer l'intérêt des annonceurs pour la radio», martèle Roger Coste, directeur général de GEM et président du SIRRP. En télévision, les trois principales régies du marché (TF1 Pub, France Espace et M6 Pub) ont également cherché, en 1997, à promouvoir l'efficacité de leur média à travers le Groupement de recherche sur la publicité à la télévision (GRP).«Dans un marché sophistiqué et transparent comme le nôtre, nous sommes obligés d'utiliser le maximum d'outils»,explique Patrick Ballarin, directeur du marketing de la régie de France2 et France3. Et, pour éviter toute critique, les régies s'adjoignent toujours les services de gros instituts d'études, reconnus pour leur professionnalisme et leur impartialité.Bien, peut mieux faireSi les annonceurs reconnaissent, dans La nouvelle donne du marché publicitaire, que les«régies ont indéniablement amélioré leurs prestations»avec des commerciaux mieux formés et des discours plus riches, mieux argumentés, ils considèrent néanmoins que leur présence commerciale reste souvent opportuniste, avec un langage trop technico-commercial.«J'attends d'eux qu'ils m'apportent des données nouvelles, pas des chiffres Médiamétrie que je connais déjà»,note l'un d'eux.«Chacun vient à la queue leu leu avec les mêmes études presse»,souligne un autre. En fait, ils demandent aux régies des informations complémentaires de celles fournies par les centrales. Il n'est d'ailleurs pas rare que les plus grosses études finissent par être cofinancées.«Depuis la loi Sapin, les centrales ne peuvent avoir qu'une force de proposition en matière d'études: c'est aux médias d'être opérationnels»,analyse Jean-Bernard Ichac, directeur de la stratégie et du développement de TF1 Publicité. La montée en puissance des régies en matière d'expertise n'enlève rien aux compétences des agences et des centrales, souligne Gianni Guindani.«L'intermédiaire a un rôle capital, il fait la part des choses, apporte une expertise propre et fait le lien entre le support et l'annonceur. Vouloir opposer régies et intermédiaires est artificiel. L'un comme l'autre ont le droit d'être intelligents!»Un point de vue partagé par René Saal, mais le directeur général de Carat Expert insiste sur les limites de l'expertise en régie.«On ne peut pas être à la fois juge et partie, ce n'est pas crédible. Les régies ne peuvent ainsi pas préconiser un choix de médias ou de supports.»Il n'en reste pas moins que certaines régies, en particulier dans les médias audiovisuels, déplorent de plus en plus le manque d'investissement des centrales dans les services études. D'autres ne cachent pas qu'elles réalisent directement pour les annonceurs ou certaines agences peu équipées des plans médias.«Nous en faisons très souvent,avoue Louis Gillet,y compris des plans qui n'intègrent pasL'Equipeet des plans TV.»Ce service s'est tellement développé chez Manchette Publicité, jusqu'à trois plans par jour, que la régie du groupe Amaury envisage de le facturer au prix coûtant! (1) Réalisée en 1996 par Ipsos Medias auprès d'une cinquantaine d'annonceurs, cette étude qualitative confidentielle avait pour objectifs de cerner les priorités et les préoccupations des annonceurs à l'égard du marché publicitaire et de connaître leurs attentes, notamment face aux régies.