Les créatifs jugent les producteurs

Description

Gilbert Scher, Euro RSCG Scher Lafarge : Ce sont des joueursGrand consommateur de producteurs grâce aux films nombreux qu'il conçoit pour Citroën, Gilbert Scher se dit tout à fait heureux de la relation qu'il entretien avec ses partenaires, et estime que chaque tournage est une aventure. Il affirme ne pas avoir de relations privilégiées avec certaines maisons de production, mais notre juré français pour le film à Cannes a cependant des relations suivies avec Hamster, La Pac, Telema, Première Heure, Les Producers, Planète, 1/33 et Wanda Productions. «Ce sont avant tout les réalisateurs que je sélectionne, et pas tant les producteurs, tranche-t-il.Finalement, je n'ai jamais été déçu par une maison de production. La seule contrariété viendrait plutôt du fantasme que peut provoquer en moi une idée, et du résultat final, parfois décevant. En effet, il y a parfois un tel décalage que l'on se sent trahi. Mais en aucun cas, vous ne pouvez mettre cette déception sur le compte de la maison de production. A mon sens, les producteurs sont des aventuriers, des parieurs. Je ne sais pas pourquoi mais je les imagine bien autour d'une table de poker, la cigarette aux lèvres, les cartes à jouer dans les mains sous les pales d'un ventilateur et une ampoule glauque. Ce sont de vrais joueurs qui parient sur des idées. Les nôtres.»Antoine Barthuel, Grey : Vive la nouvelle vague«LorsqueStratégiesm'a demandé de juger la production française, j'ai commencé par me dire: effectivement, ça ne va pas en France, les professionnels sont nuls, le métier de producteur est totalement à revoir. Et puis, en réfléchissant, je me suis aperçu que ce discours était déjà vieux. Depuis trois ans, les cartes du marché ont été redistribuées et tout s'est assaini.»Il y a encore cinq ans, trois sociétés (La Pac, Telema et Franco American) dominaient la production, et le travail des réalisateurs était secondaire. La donne, selon Antoine Barthuel, a totalement changé.«Désormais, c'est le travail du réalisateur qui fait la différence. Or, des metteurs en scène étonnants, on en trouve dans toutes les boîtes. Qu'il s'agisse des petites maisons comme Entropie, Cachemire, ou encore la Fourmi, ou des grosses maisons comme Première Heure, elles sont toutes à la recherche de jeunes talents. De plus, les producteurs qui ne juraient que par les réalisateurs anglo-saxons ou scandinaves se sont calmés. Nous trouvons aujourd'hui de jeunes Français, des bidouilleurs géniaux que l'on a immédiatement envie de mettre sur des campagnes. En résumé, le métier a radicalement changé puisque les termes de jeunes réalisateurs, metteurs en scène français et petites sociétés de production ne sont plus à bannir du vocabulaire publicitaire.»Frank Tapiro, Hémisphère droit : Des associations incompréhensibles«Pour commencer, le mot producteur n'a aucune signification en publicité. Dans le long métrage, un producteur investit son argent, et lorsqu'un film se plante, c'est lui qui se plante. En publicité, c'est le fric de l'annonceur qui est en jeu. C'est lui qui prend des risques»,affirme Frank Tapiro, ajoutant :«Le système est pourri. Les TV producers sont achetées par les maisons de production. Et c'est comme cela que l'on obtient certaines associations incompréhensibles». Autre scandale, selon lui, le coût des spots.«Pour réaliser un bon long métrage, il faut compter 10 à 12millions de francs. C'est le prix qu'a coûté le film Nina Ricci, lancé il y a quelques années par l'agence Opéra. Cette débauche de moyens avait même été cautionnée par l'agence qui trouvait cela très rigolo d'expliquer partout combien le gâchis avait été grand. Résultat, on finit par tout faire soi-même: les onze derniers films pour Virgin Cola, nous les avons conçus en interne avec un budget de 500000 francs.»Gilles Soulier, Saatchi&Saatchi : Par affinité«Il y a des producteurs avec lesquels j'ai des affinités, qui travaillent très bien. Malheureusement, Saatchi était "danonisée" jusqu'en mai dernier. Nous étions donc sous contrat avec la Pac, Telema, Franco American et 1/33. Nous n'avions le droit d'aller voir ailleurs que pour faire des films de moins de 600000francs. C'est dire que cela n'arrivait pas souvent. Bref, c'était une grosse contrainte avec laquelle nous vivions assez mal»,dit Gilles Soulier, qui connaît bien la production pour avoir tâté de la réalisation pendant sept années sous l'aile de Claudie Ossart. Maintenant que Danone a rejoint Young&Rubicam, le créatif pourra choisir ses producteurs en toute liberté. Il est plutôt très fidèle. Ses préférences? Des professionnels tels que Jean-François Catton, aujourd'hui chez Partizan Midi-Minuit, Claudie Ossart et Nelly Cohen, ainsi qu'Eric Surmont, le patron de Players. Le lien entre ces producteurs? Major, la société de production de Claudie Ossart au sein de laquelle chacun a fait un bout de chemin.«Tous ont un regard très affiné, une capacité rare à repérer le bon board.»Pour lui, c'est du côté des petites maisons de production pointues qu'il faut aller chercher son bonheur.Olivier Georgeon, Publicis : La dictature du client«Nous avons tous pris conscience de la nécessité de faire du commerce et non de l'art. Du coup, les données ont changé. Il y a quelques années encore, les caprices du réalisateur avaient un sens. Aujourd'hui, on s'asseoit dessus»,note Olivier Georgeon, responsable du film Perrier, primé dans la catégorie boissons non alcoolisées au Grand Prix Stratégies.«Il y a eu une époque où l'on pensait jouer un rôle très important. Maintenant, on sait que la mission de notre métier est de produire un film tel que le client le souhaite. Du reste, de nombreux films sont achetés sur story-board, et rien n'évolue véritablement par la suite. Preuve que nous ne sommes que des prestataires.»Et d'ajouter:«Il est plutôt agréable de voir naître des petites sociétés de production par-ci, par-là. C'est rassurant pour l'ensemble de notre profession, qui croyait être confrontée aux trois mêmes sociétés ad vitam aeternam. En revanche, certaines données ne changent pas. Les cost-contrôleurs, employés au départ par l'annonceur pour réduire les coûts, provoquent en fait une inflation des coûts de production, puisque les producteurs doivent bien prendre leurs marges quelque part.»Bertrand Suchet, Louis XIV : En progrès«Je pense que les producteurs ont fait beaucoup de progrès.»En matière de production, Bertrand Suchet est du type monomaniaque. Il ne jure que par Première Heure.«La production française est aujourd'hui la meilleure d'Europe. Et nous y sommes parvenus en privilégiant les prestataires et les réalisateurs français. Côté technique, la France est également à son top. Je crois que les abus passés, à savoir vendre 4francs ce qui n'en valait qu'1, ne sont plus d'actualité. Les producteurs gagnaient beaucoup d'argent, ou achetaient mal... Désormais, ils savent que les agences ont moins de moyens, et qu'un film de 6millions de francs conçu il y a trois ans serait aujourd'hui tourné pour seulement 3millions de francs. J'aimerais que cette tendance se répercute chez les photographes et leurs agents, qui, eux, n'ont apparemment pas compris les nouvelles règles du jeu.»Olivier Altmann, BDDP&Fils : Devis sur devisRécemment nommé directeur de la création de BDDP&Fils, Olivier Altmann dit ne pas avoir une vision globale de la profession. Cependant, il regrette cette nouvelle habitude qui consiste à mettre des réalisateurs en compétition. «Nous faisons subir aux maisons de production ce que les annonceurs font subir aux agences, tout ça pour faire plaisir aux annonceurs qui veulent connaître le juste prix», explique-t-il.Parfois j'ai l'impression de faire des devis comme à la maison, ce qui est assez désagréable et mercantile.» Le directeur de création explique qu'il travaille beaucoup avec Première Heure et Wanda. En revanche, il n'est pas souvent confronté à la Pac, Telema, Planète. Son regret? Ne pas penser assez souvent à Hamster, qui a toujours des stars sous contrat. Enfin, il constate que si les Français sont en pleine folie du graphisme, les Anglo-saxons en sont revenus pour faire aujourd'hui «des choses très simples, de la comédie pure, dure et efficace».Gérard Jean, Jean&Montmarin : Fidèle à la Pac«Cela fait vingt ans que je fais ce métier, et je crois que la production se porte aujourd'hui mieux que jamais. J'ai la chance, depuis plusieurs années, de ne pas avoir à traiter avec les cost-contrôleurs. Les annonceurs savent pertinemment que nous ne les apprécions pas.»Comme d'habitude, Gérard Jean ne mâche pas ses mots. Et ne renie pas ses préférences:«Je fonctionne avec la Pac depuis toujours parce que la fidélité permet de travailler plus efficacement et plus rapidement. Sans oublier qu'avec de telles relations, il est possible de faire de beaux coups, c'est à dire des films dont les budget oscillent entre 400 et 500000francs. C'est relativement simple, depuis que nous sommes partenaires, nous n'avons jamais eu de problèmes avec eux, et ils ne nous ont jamais plantés.»Philippe Créhange, Ogilvy&Mather : Il n'y en a qu'un«Je n'ai rien de particulier à dire sur le métier en général. Mon expérience se résume à un partenariat avec Première Heure. Je connais Patrice Haddad depuis toujours, et je suis toujours un adepte. Du coup, lorsque j'ai besoin d'un réalisateur, je commence par aller voir Première Heure, et je sais que je trouve toujours la personne dont j'ai besoin. Cette année, j'ai changé de maison, mais cela n'a réussi à personne. J'avais promis un jour à Patrick Barbier, fidèle suiveur de Patrice Haddad, de le faire travailler. Je l'ai donc branché sur un film Ka, avec pour réalisateur Gil Bawens. Manque de chance, le projet, qui devait se faire en France, a finalement été repris par Ogilvy Londres. Le film, intituléLe Chef d'orchestre, est vraiment mauvais. De plus, il paraît que le tournage, les devis, tout l'aspect technique, ont tourné au vinaigre. A l'heure qu'il est, Patrick Barbier ne doit pas me remercier du cadeau empoisonné que je lui ai fait.»