Chronique

« Tout ce qui est excessif est insignifiant. » On s’en sort souvent comme ça, pas vous ? Une façon comme une autre de dire « chat perché » et de gagner un peu de temps avant de devoir à nouveau affronter le chat ou l’excessif. Une fois de plus, le numérique bat en brèche nos certitudes – et cette habitude – et il nous impose, sur son modèle, des mises à jour. Il faut circonscrire, intégrer, embrasser l’excessif et pour cela trouver son sens.

Mon sujet : Amazon. Je me reproche depuis un moment de vous en parler souvent en insistant uniquement sur la démesure de ses développements, ses chiffres, son emprise sur l’économie mondiale et de ne pas mieux décrire la mécanique de l’entreprise la plus jeune et la plus rapide à dépasser les 1 000 milliards de dollars de valorisation. Alors je me lance pour mettre l’excessif et ses 1 000 milliards en 5 000 signes et imaginer comment nous, les professionnels des technologies, de la publicité, du marketing et de la communication, nous devons (ré)agir.

Les budgets changent de main

La semaine dernière, CNBC publiait un article nourri de sources parmi les dirigeants d’agences de publicité et d’achat média : certains annonceurs réalloueraient plus de la moitié (entre 50 et 60 %) de leurs budgets normalement dédiés à Google search pour les confier à Amazon. Au total, le mouvement représenterait des centaines de millions de dollars. Deux constats fracassants : Amazon est devenue la troisième plateforme de publicité en ligne après Google et Facebook (hors Chine) et 49 % des recherches internet qui concernent des produits démarrent désormais directement sur Amazon… Les marques font aujourd’hui le constat qu’un dollar investi sur Amazon est plus efficace que sur Google, car il est plus immédiatement « activable », sa cible possédant un compte client associé à un moyen de paiement. La logique infaillible du one-click inventée par Amazon, il y a pile – et déjà ! – vingt ans, l’année de la création de Google.

Mais alors là, tout se complique. Trouver un début et une fin à Google n’était pas chose aisée, mais on pouvait en faire un partenaire en se convainquant que son activité était assez éloignée de la nôtre. Un monopole, ce n’est déjà pas mal, pouvait lui suffire. Mais comment travailler avec Amazon, cette hydre à douze têtes dont certaines, pour moi annonceur, ont déjà commencé à manger dans mon assiette ou celle de mes distributeurs ?

Et c’est là qu’on arrive dans une nouvelle dimension, celle de l’excessif et de l’exponentiel. Amazon gère des linéaires infinis quand tous les industriels, leurs distributeurs, sont habitués à mesurer leur visibilité à coup de distribution numérique, de distribution valeur et de mètres linéaires. Du coup, première question existentielle : comment mesurer sa visibilité dans un rayon sans début ni fin ? Quels leviers de négociation avec une plateforme sans limite et qui peut être juge et partie ?

D’ailleurs, la négociation, autre révolution, disparaît. Fini la rapport de force industriel/distributeur. Pour optimiser votre présence, vous avez à disposition, comme pour Google et son SEO, des outils en libre service. Et, in fine, l’algorithme d’Amazon ne prend en compte que la satisfaction du consommateur pour classer les produits et, je ne vous apprends rien, seuls 30 % des utilisateurs iront consulter la deuxième page…

Le trade marketing en ligne de mire

Alors, tirage et grattage, quand l’algorithme ne veut pas de vous, il reste la publicité. En ouvrant sa plateforme et ses données utilisateurs aux annonceurs, en self-service là encore, Amazon estime gagner 8 à 10 milliards de dollars en 2018, des revenus presque quadruplés en seulement une année.

Ce n’est que le début. Après le marketing qui s’est digitalisé au contact du client connecté, c’est le trade marketing qui désormais va violemment se numériser. On estime que 30 à 40 % des budgets marketing sont « digitaux », c’est entre 1 et 3 % pour les budgets trade. En Europe en particulier, les marques de produits de grande consommation sont restées jusqu’ici éloignées de ces nouvelles pratiques.

Le défi qu’Amazon propose à ses partenaires – clients ou fournisseurs, clients et fournisseurs –, c’est tout simplement la réconciliation du commerce et du marketing pour réussir la transformation des relations industriels/distributeurs dictée par un nouveau rapport de force qui voit aux États-Unis 80 % de la croissance de l’e-commerce captés par la plateforme au moment où les linéaires offline n’en prennent que 1 %.

Je doute que nous ayons d’autre choix que de devoir y participer… Au plus tôt et les mieux préparés. Comme l’industrie avait appris à s’adapter à la grande distribution depuis les années 1960, nous allons chercher à trouver nos consommateurs dans les pixels carrés d'Amazon, au moins autant qu’autrefois dans les mètres carrés de la distribution.

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