« OK Google : la révolution vocale est-elle en route ? »
Sébastien Missoffe. La voix n’est pas une révolution mais une évolution. Si l’on regarde l’évolution des transformations numériques sur les 20 dernières années, c’est une succession d’évolutions: la dernière c’est le passage du desktop au mobile depuis 6-7 ans. Aujourd’hui 20 % des requêtes sur l’application de Google aux Etats-Unis se font avec la voix. Nous sommes persuadés que cela va encore se développer. Nous avons lancé notre enceinte à commande vocale Google Home en France fin août et nous venons d’annoncer la commercialisation de la Home mini (plus petite et moins chère). Les résultats des ventes de Google Home en France sont très prometteurs. C’est un des lancements les plus réussis en Europe. Il y a une vraie envie des Français. Il y a une mutation des usages avec les internautes et la voix c’est aussi une occasion pour nous de faire venir de nouveaux utilisateurs comme les personnes âgées.
La publicité et les marques vont-elles s’emparer du vocal selon vous ?
C’est dans l’ADN de la culture de Google d’être avant tout au plus près des usages des utilisateurs, de développer des produits innovants et ensuite de penser au business model. Nous avons lancé notre moteur de recherche en 1998, et nous avons initié notre business model bien après avec Google Adwords et Adsense en 2003. Le mobile nous a obligé à nous réinventer et l’on a créé en mai 2016 les « bumper ads » (formats de 6 secondes destinés aux smartphones) sur YouTube.
Aujourd’hui avec la voix, il n’y a pas de modèle publicitaire mais nous avons la conviction qu’il faut se réinventer. Nous sommes sur un mode d’innovation ouverte en partageant nos outils, en laissant nos partenaires participer, et l’on voit des modes d’utilisation créatifs déjà émerger.
Google France est en pleine mue, vous venez d’annoncer un plan d’embauche important…
D'ici l'année prochaine, nous allons recruter 300 personnes tous profils confondus, et faire passer nos effectifs en France de 700 à 1 000 salariés. Et nous doublons la superficie de nos bureaux : de 10 000 à 20 000 mètres carrés. Il s’agit de saisir l'opportunité de croissance que représente le marché français. La France est encore en retard dans le numérique. Nous ne pointons qu'au 17e rang dans les classements qui font référence en matière de digitalisation des pays. 80 % des Français consomment via Internet, mais seulement 16 % des entreprises se sont lancées dans l'e-commerce. Aujourd’hui il y a 30 départements très différents au sein de Google France : des ingénieurs qui travaillent au sein de Google Arts & Culture, des équipes en charge des partenariats (avec médias et annonceurs), des équipes qui travaillent avec les agences médias et création en France, sur le cloud, mais aussi YouTube et Chrome. Il y a des programmes uniques qui sont nés en France : Google pour les pros (aide aux PME à se lancer sur le web) ou encore le FINP (Fonds pour l’Innovation Numérique de la presse).
Aujourd’hui les internautes recherchent davantage sur leur portable que sur leur ordinateur, qu’est-ce que cela change ?
Nous avons atteint cet été le point de bascule: la majorité des requêtes se font désormais sur téléphone mobile en France. Pour les marketeurs, les agences, quelque chose ne change pas: le fait d’être proche de leurs audiences et utilisateurs. Ce qui évolue, c'est le fait que les audiences sont aujourd’hui à la fois dans des lieux physiques et digitaux. Cela a trois implications : il faut avoir des sites mobiles performants. On encourage les entreprises à tester le temps de chargement de leurs sites mobiles. Il y a 53 % des visites susceptibles d’être abandonnées quand le site met plus de 3 secondes à se charger. Il faut aussi trouver des formats publicitaires adaptés à ces usages mobiles (comme le bumper ads). Les spots traditionnels de 30 secondes subissaient un taux d’abandon énorme sur mobile. Enfin la troisième conséquence c’est l’omnicanalité : cela change le paradigme en termes de parcours clients. Le client recherche l’information sur le mobile, avant d’aller en magasin et il faut savoir le mesurer.
Comment Google travaille avec les agences de publicité en France ?
Le marché publicitaire est devenu très complexe, avec le programmatique, la data, les nouveaux formats… Les marques ont besoin d’être accompagnées par les agences. Notre rôle est de donner des outils aux marques et agences. Nous sommes complémentaires à la valeur ajoutée qu’apportent les agences ce qui s’inscrit dans une logique de partenariat très fort avec les agences média ou de publicité.
Aujourd’hui les GAFA sont accusés de capter la majorité de la croissance publicitaire…
Il faut sortir du mot « GAFA » qui cristallise un certain nombre de réalités mais aussi de nombreux fantasmes. Il est important de voir comment la publicité est mesurée en France. Ces chiffres sont répartis entre trois grandes catégories: télé, presse, internet. Or dans la catégorie internet, il y a par exemple toutes les publicités sur mobile issues des médias traditionnels. Même chose pour la télévision avec la catch-up TV. Donc si l’on regarde les médias en y incluant les usages internet, les chiffres sont différents. Et quand on analyse la catégorie web, nous partageons la majeure partie de nos revenus avec les éditeurs de presse (11 milliards de dollards reversés aux éditeurs de news en 2016) et nos partenaires, comme les créateurs. Il faut remettre internet au coeur des différents médias.
Vous arrivez de Californie où vous avez passé sept années, quel est votre regard sur la France ?
Depuis quelques mois il y a une accélération de la transformation digitale en France. J’ai le sentiment que nous sommes passés de la peur à l’envie. Les entreprises françaises se lancent car elles ont envie et voient des opportunités, cela donne lieu à des alliances comme celle de la Redoute et des Galeries Lafayette pour se digitaliser. Plus généralement d’ici à 2020 il y aura quatre grands piliers pour que les marques restent compétitives: l’intégration des données dans la stratégie, l’omnicanalité (sortir du suivi des parcours clients par silos), l’automatisation pour gagner en efficacité et la réinvention des organisations au regard de ces transformations.
Quelques jours après le Brandcast, qui vient de se tenir à la Grande Halle de la Villette, quelles sont les prochaines étapes pour YouTube ?
Sur YouTube la stratégie est de continuer à promouvoir la diversité des contenus et de travailler de manière étroite avec les créateurs. Aujourd’hui YouTube c’est un écosystème très dynamique: il y a 110 créateurs qui ont plus d’un million d’abonnés. Leur nombre s’est accru de plus de 50% en un an. En France, il y a 37 millions d’utilisateurs tous les mois. Nous allons donner plus de contrôle aux annonceurs, et aux utilisateurs sur les vidéos qu’ils veulent regarder. Nous développerons également de nouveaux outils pour les créateurs, comme nous avons mis à leur disposition des plateformes de communication intégrées dans leur chaîne, afin de favoriser leurs échanges avec leur communauté. Aujourd’hui ils peuvent aussi utiliser l’un de nos neuf YouTube Space dans le monde (s’ils ont plus de 10 000 abonnés). Par ailleurs nous allons favoriser le développement des formats comme le live et le 360°.
Où en êtes-vous en matière de brand safety ?
C’est un sujet que nous prenons très au sérieux. Nous avons travaillé sur trois axes. Renforcer les règles publicitaires: depuis avril on ne met plus de publicités sur des vidéos de créateurs qui ont moins de 10 000 vues sur leur chaîne. Quand un créateur a atteint 10 000 vues, on a suffisamment d’informations pour qualifier le contenu diffusé. Nous avons aussi investi davantage dans l’humain (recrutements) et la technologie en investissant dans le machine learning pour retirer des contenus plus rapidement. Nous sommes en contact permanent avec les annonceurs et les agences pour leur donner davantage de contrôle et de transparence. Nous avons également créé de nouvelles catégories d’exclusions. Sur YouTube, 1 milliard d’heures de vidéos sont regardées chaque jour. Nous avons ainsi une grande responsabilité.
Comment sera organisée demain la direction marketing en entreprise ?
La tendance est à la multiplication des bases de données, qui deviennent de plus en plus complexes et centralisées. Il faut dans le même temps accorder de plus en plus d’autonomie aux gens. L’entreprise a besoin de moins de process et de top-down. Dans le même temps l’utilisation du cloud et des data-scientist se développe. Les bases de données doivent être utilisées de façon simplifiée par les équipes marketing. La rapidité devient stratégique. Par exemple, les entreprises qui avaient repéré sur Google Trends l’explosion des ventes du hand spinner en mars dernier, ont réagi plus vite et ont gagné des parts de marché quand le hand spinner est arrivé massivement en mai.
Google a annoncé le 2 octobre le lancement de nouveaux outils pour aider les éditeurs à gagner des abonnés… est-ce un nouveau chapitre dans vos relations avec les médias ?
Depuis quelques années, nous avons accéléré notre politique de partenariat avec les médias notamment avec la Digital News Initiative. Aujourd’hui nous avons plus d’autonomie pour adapter cette politique à l’écosystème de chaque pays et son industrie. Nous proposons aux médias français de choisir le nombre d’articles qu’ils souhaitent mettre en avant gratuitement (10 recommandés)
Avec le Google Pixel 2, vous lancez une nouvelle offensive sur le smartphone. Quel est votre bilan des ventes du premier Google Pixel et quelles sont vos ambitions ?
Nous sommes très satisfaits du lancement du Pixel. Être présent sur le segment du smartphone est un enjeu stratégique pour Google. Nous pensons que sommes en bonne position pour proposer à nos utilisateurs ce qu’il se fait de mieux, à la jonction entre le hardware, le software et l’intelligence artificielle. Et pour ce faire, nous avons annoncé récemment que plus de 2000 ingénieurs de HTC allaient rejoindre Google pour nous permettre d'accélérer sur ce segment.
Fin septembre, Google a proposé des solutions après les sanctions décidées par la Commission Européenne pour abus de position dominante de Google Shopping…
Une décision a été rendue par la Commission européenne nous demandant des changements dans nos produits. Nous les avons faits pour nous conformer à la décision. Google Shopping se retrouve sur un pied d'égalité avec les autres comparateurs, aux mêmes conditions. Nous restons néanmoins convaincus que le modèle que nous avions était un modèle ouvert qui permettait la concurrence et qui était utile pour les utilisateurs. En parallèle nous avons donc fait appel de cette décision.
Récemment plusieurs pays européens ont proposé une initiative commune en matière de taxation des GAFA, qu’en pensez-vous?
La fiscalité est un sujet complexe. En France, le tribunal administratif a jugé le 12 juillet que nous respections les règles fiscales françaises et les normes internationales. Aujourd’hui un certain nombre de démarches ont lieu pour harmoniser les politiques fiscales des différents pays et nous avons la conviction que ce travail d’harmonisation avec l’Europe et l’OCDE permettra de résoudre ces questions. Les règles fiscales ne sont pas adaptées à une économie dématérialisée. Cette harmonisation fiscale est importante pour nous. Aujourd'hui, Google paye des impôts, nous sommes soumis à un taux moyen global de 20 %. Le débat n'est pas : « est-ce que nous payons ? », mais « où payons-nous ? »
Parcours
Avril 2017. Directeur général de Google France.
2015. Vice-président de YouTube en charge des opérations mondiale et du développement des créateurs de YouTube, dont les YouTube Space.
2013. Directeur des équipes de ventes des solutions publicitaires Google pour les PME pour le marché américain.
2011. Directeur de la stratégie vidéo et mobile pour les PME chez Google au niveau monde.
2009. Directeur des ventes et opération de YouTube pour le marché européen.
2006. Arrivée chez Google.
2005. MBA à l’Insead (Institut européen d’administration des affaires).
1996. Arrivée chez L’Oréal dans la division produits de luxe