Entreprise
La transformation digitale n’est pas qu’un bouleversement technologique, c’est aussi un changement culturel profond dans les entreprises : elle implique de chercher un sens et un rôle nouveaux dans la vie de leurs salariés, de leurs clients et de l’ensemble des parties prenantes.

Nous avons tous été transformés par l’irruption du digital dans nos vies. Nos comportements et nos usages d’abord, puis nos attentes, nos valeurs et finalement notre culture. Les marques n’ignorent plus cela chez leurs clients et c’est pourquoi la plupart d’entre elles l’ont compris : la transformation digitale n’est plus une option. Elle est nécessaire car elle permet d’optimiser les processus et de capter de nouvelles sources de croissance. Pourtant, elle reste anxiogène pour beaucoup d’organisations.

Cloud, algorithmes, big data, objets connectés... Dans les entreprises, la transformation digitale est souvent associée à des évolutions technologiques. Mais ce serait une caricature de la réduire à cela. En réalité, cette mutation est également une histoire humaine. Réussir sa transformation digitale, ce n’est pas seulement implémenter telle ou telle solution, c’est surtout « embarquer » les salariés dans un processus global de changement, qui va toucher l’ensemble de l’entreprise et ses façons de travailler, de la stratégie à la logistique, du merchandising à la communication, et ce, à tous les niveaux de hiérarchie. « Les entreprises doivent désormais envisager le digital non plus comme une forme d’équipement technologique mais comme la source d’une stratégie différenciante », analyse David Autissier (1), directeur de la chaire Essec du changement et de la chaire Essec IMEO (Innovation managériale et excellence opérationnelle). Et c’est bien la difficulté de l’exercice : la transformation digitale des entreprises est aussi une transformation culturelle.

Redistribution de pouvoirs

Pour s’engager dans ce mouvement, les entreprises doivent capitaliser sur leurs salariés, s’adapter à ce qu’ils attendent. Parmi les collaborateurs, il y a ceux qui ont la capacité « native » à provoquer et à accélérer le changement, ces millennials que les entreprises adorent et redoutent à la fois. « Cette génération ne s’engage qu’à condition d’avoir un management et des objectifs correspondant à ses attentes et à ses motivations », décrit Yves Michaud, philosophe et auteur de Mutation numérique (2). À l’instar des « nouveaux consommateurs », ces « nouveaux collaborateurs » ont des exigences particulières et sont avant tout en quête de liberté. L’enjeu : savoir les séduire et/ou les garder. Pourtant, c’est bien la totalité des collaborateurs qui doivent être embarqués dans la transformation digitale, car la pertinence du changement proposé dépendra de la volonté commune à poser un regard neuf sur l’organisation et de la capacité à prendre du recul sur l’activité du quotidien.

Pour engager la communauté des salariés, il faut l’ancrer dans une vision globale, lui dessiner une perspective. « Les entreprises ont une nouvelle responsabilité et doivent être capables de donner du sens au travail de leurs équipes et satisfaire leur exigence de finalité dans leurs actions », souligne Valérie Julien Grésin(2), docteure en philosophie et dirigeante du Cabinet ASM Conseils. Une occasion de travailler sur leurs engagement RSE pour en faire une réalité pour tous, collaborateurs et clients. Il n’y a qu’à regarder le palmarès du dernier festival Cannes Lions pour voir à quel point le « purpose » des entreprises, donc des marques, est devenu un moteur de créativité – et de croissance.

Autre conséquence : la redistribution du pouvoir dans les entreprises. Avec le digital, l’information circule rapidement et « la transparence est quasi inévitable », reconnaît Yves Michaud. « Les dynamiques de co-construction et -l’accès en temps réel à tout ce qui se décide sur un projet, aux quatre coins du monde, favorisent la créativité », explique Valérie Julien Grésin, et mettent aussi en jeu l’équilibre du pouvoir, qui n’est plus détenu par un board tout-puissant, mais partagé par l’ensemble des collaborateurs, informés et engagés. Ici, le rôle du manager est questionné : il n’est plus là pour contrôler les salariés mais « coacher » les équipes.

Enfin, les organisations doivent valoriser les collectifs de travail. « Le télétravail, les flex offices, les fusions, la dispersion des équipes ou le turnover peuvent créer du stress », explique Alexia de Bernardy (3), fondatrice de la WEbox et auteure de Moteurs d’engagement. Il faut donc calmer ce « stress » en prenant soin des collaborateurs et en favorisant la culture d’entreprise. Sur le lieu de travail, tout d’abord, imaginé pour refléter cette culture, mais aussi par la mise en place de rituels (stand-up, demo sprint...) qui vont permettre aux collaborateurs de se l’approprier. La formation est aussi devenue clé dans la relation entre une entreprise et ses collaborateurs : faire grandir les talents pour mieux grandir avec eux. La transformation digitale des entreprises, saut culturel autant que technologique, se fera avec la participation de tous les collaborateurs ou ne se fera pas. C’est pourquoi il est essentiel de réfléchir à ce que l’on fait, mais aussi à comment on le fait. Car c’est de ce nouveau « comment on le fait », engageant les salariés et intégrant de nouvelles approches de travail collaboratives et itératives, que dépendra la réussite du changement.

La Poste Connexion

Lancer une marque bancaire 100 % digitale demande des collaborateurs agiles, animés par un esprit d’équipe.

L’équipée a bien commencé : c’est cet été que Ma French Bank, filiale digitale de La Banque Postale, sera lancée en interne puis commercialisée. «Nous ne sommes pas vraiment une start-up, sourit Héloïse Beldico-Pachot, directrice marketing et communication (photo), puisque nous nous appuyons sur les moyens humains et financiers de La Banque Postale, mais tous ceux qui nous ont rejoints sont venus pour vivre une expérience professionnelle et personnelle unique ». Composée d’un « noyau dur» issu de la maison mère, l’équipe d’«experts recrutés en interne» a travaillé «en mode lean, hors hiérarchie pyramidale : tout se fait en co-contruction et si les échanges sont musclés et francs, ils sont toujours nourris et positifs ». Dans les méthodes de travail, de nombreux drivers viennent du digital, «incontournables quand on travaille de façon “connectée” pour délivrer un service connecté», plaisante Héloïse. «Pas de frein en termes d’usage, place à la réactivité, la transparence et la performance [...] nous ne pouvons être dans des process de validation interminables.» 

Sens du collectif. Dans un tel challenge, la personnalité des participants est primordiale: «le choix des collaborateurs repose sur leurs hard skills (solide expertise métier) mais aussi leurs soft skills (état d’esprit). Les collaborateurs sont animés par un esprit d’équipe, savent exprimer leurs convictions, prendre du recul et changer d’avis pour aller dans le sens du collectif. C’est essentiel pour lancer une marque digitale, analyse Héloïse Beldico-Pachot. C’est le caractère numérique du projet qui attire ces personnes adeptes de challenge, à l’esprit collaboratif. La logique de pré carré n’est pas pour elles.»

 

 

 

Trois questions à… 

Jean-Pierre Bouchez créateur de PlaNet S@voir et directeur de recherche (HDR) au Laboratoire Larequoi de l’université de Paris-Saclay

Quel regard portez-vous sur les outils numériques mobilisés par les entreprises ?

Ces outils ont eu aux yeux des dirigeants un effet quasi magique, alors qu’ils n’ont de sens qu’au regard de leur usage. Tout investissement doit être précédé d’une réflexion stratégique sur les usages recherchés et les bénéfices attendus, tant pour les dirigeants que pour les employés. Les grandes entreprises tendent à privilégier, selon les secteurs, la productivité, l’innovation ou le bien-être au travail.

Quels outils numériques ont bouleversé le fonctionnement des entreprises ?

On pense que l’entreprise a basculé d’une logique verticale à une logique horizontale. En réalité, ces deux logiques cohabitent souvent. Il faut se méfier de certains clichés sur les réseaux sociaux d’entreprise : des études ont montré qu’ils sont faiblement fréquentés au niveau transversal et beaucoup plus au niveau des managers avec leurs équipes, contribuant à renforcer le cloisonnement entre services. Mais ces outils numériques ont apporté des effets bénéfiques dans d’autres domaines (télétravail, bases de données, travail collaboratif...).

Comment peuvent-ils devenir des outils de mieux-être au travail ?

Leur usage est porteur d’un dilemme paradoxal. D’un côté, ces technologies contribuent à favo-riser l’autonomie, mais en termes de contrôle, on est frappé par les possibilités de certaines intrusions techniques, comme l’insertion légale d’une puce de géolocalisation dans un badge d’accès. Les dirigeants résolvent ce dilemme en pratiquant une préemption de confiance a priori et considèrent que si le contrôle est indis-pensable, il doit être raisonnable. Car au-delà d’un seuil abusif, il risque de devenir contre-productif.





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