Comment imaginez-vous le futur du téléphone mobile en 2050 ?
Nicolas Demassieux. Le smartphone, consulté en moyenne 150 fois par jour dans les pays développés, est déjà l’interface la plus utilisée pour accéder au monde numérique. Il va le demeurer, mais il offrira bien plus de services en gagnant en puissance. C’est d’autant plus remarquable qu’un smartphone de dernière génération atteint déjà une performance très élevée, équivalente à celle d’un superordinateur Cray 2, la machine la plus puissante à la fin des années 80. Grâce à leur puissance de calcul accrue, les mobiles pourront supporter davantage de capteurs, par exemple pour mesurer la pollution ambiante. La forme des appareils changera également. Des écrans flexibles se déplieront pour offrir un grand confort de vision et tiendront dans la poche une fois repliés. D’autres modèles s’intégreront à une montre, se glisseront dans les lunettes pour offrir de la réalité augmentée, se dissimuleront dans les vêtements ou dans l’oreille.
Qu’anticipez-vous en ce qui concerne les objets connectés ?
N. D. Aujourd’hui, l’accès à internet passe quasi exclusivement par le téléphone, l’ordinateur ou la tablette. Demain, les voitures, réfrigérateurs, radiateurs, extincteurs, machines à café, montres, interrupteurs, alarmes, tables de travail, pèse-personnes, vêtements seront connectés. Dès 2020, la planète comptera, selon les prévisions, quelque 50 milliards d’objets connectés, et cette mutation correspond à une nouvelle ère d’internet : l’internet 1.0 portait sur des contenus mis en ligne et reliés entre eux par des liens hypertexte. Le 2.0 est celui des personnes avec l’explosion des réseaux sociaux. L’internet 3.0 verra quant à lui la diversification des moyens d’accès au réseau grâce aux objets connectés.
Quel sera l’intérêt de ces objets connectés pour les utilisateurs ?
N. D. Ils fourniront rapidement des informations dans un registre précis. Ils créeront une relation plus fluide entre le monde réel et la sphère digitale. Par exemple, la machine à café permettra de suivre sa consommation pour éviter d’en abuser. Avec des interrupteurs connectés, on disposera d’informations sur sa consommation d’électricité pour chaque équipement, ce qui facilitera les économies. La santé, l’énergie mais aussi la sécurité seront concernées : à l’intérieur des bâtiments, des capteurs dans les extincteurs surveilleront le niveau de pression, géolocaliseront et signaleront les appareils défectueux et alerteront les pompiers si un extincteur est actionné. Ceux-ci pourront alors se brancher sur les webcaméras installées sur le site afin d’établir un diagnostic rapide de la situation et mieux organiser les secours. Dans les cafés, les tables se transformeront en écran à la demande des utilisateurs. Dans les salles de classe, les élèves effectueront des exercices, réviseront leur leçon sur leur table de travail numérique. Les écrans et objets connectés seront partout et il ne sera pas indispensable de transporter un smartphone toujours avec soi pour accéder à internet.
Cet internet 3.0 aura-t-il des conséquences sur la conception et la tarification des services marchands ?
N. D. L’association de l’internet des contenus, des personnes et des objets va effectivement changer la donne en ce domaine. Pour en revenir à la santé, des assureurs pourraient accorder des bonus aux clients qui s’engagent à maîtriser leur poids, le pèse-personne connecté servant à vérifier le respect de ces engagements. La voiture connectée favorisera le développement de contrats en fonction des comportements. Les conducteurs prudents obtiendraient alors une réduction de primes, sur la base des informations transmises par les capteurs sur la vitesse ou la durée de conduite sans arrêt. Mais il faut être prudent dans les prévisions, car le futur réserve souvent des surprises. Pour mémoire, les premières études de marché sur le téléphone mobile n’imaginaient pas que son usage puisse s’étendre au-delà d’une petite élite de cadres dirigeants et intéresser l’ensemble de la population mondiale. Inventé pour permettre aux techniciens des télécoms de communiquer entre eux sans encombrer le réseau, le SMS a finalement conquis tous les clients qui ont inventé les usages que nous connaissons aujourd’hui. Les prévisions sont d’autant plus difficiles que l’innovation est de plus en plus coproduite avec les utilisateurs suite à l’essor de l’open source et du crowd funding.
A quelles conditions l’internet 3.0 pourra-t-il séduire un large public ?
N. D. Les objets connectés devront être « plug and play », sécurisés, capables de se configurer automatiquement et de se raccorder à une plateforme qui proposera des services. Bref, il s’agit d’élaborer un écosystème autour de l’usager. Orange s’y emploie en lançant Datavenue, une plateforme de partage des données entre de grandes entreprises – comme Aleph1, Malakoff Mederic, Mars Petcare, Netatmo, Schneider Electric, Seb, Société générale et Suez Environnement – et de jeunes pousses qui conçoivent des objets connectés.
Comment la réalité augmentée va-t-elle concrètement changer nos vies ?
N. D. Dans le monde de demain, des objets connectés contribueront à augmenter la réalité, pas seulement les lunettes de type Google. D’où une profusion d’informations susceptibles de modifier nos mécanismes cognitifs : accédant instantanément à toutes sortes de connaissances, on aura moins besoin d’apprendre par cœur. La réalité augmentée pose également la question de « l’infobésité ». Chez Orange Labs, nous réfléchissons donc à des dispositifs affichant la bonne information au bon moment afin de l’éviter.
Avec la numérisation du monde et l’essor du big data, comment pourra-t-on préserver demain la vie privée ?
N. D. Il est clair que le big data, le très haut débit et les possibilités de connexion permanente soulèvent des questions éthiques : que se passera-t-il si la reconnaissance faciale permet demain à des porteurs de lunettes connectées de tout savoir instantanément sur des inconnus croisés dans la rue ? Les entreprises ont des philosophies différentes. Orange s’interdit pour sa part de commercialiser les informations personnelles. C’est un moyen de nous différencier des concurrents (souvent issus de la Silicon Valley) qui se soucient moins de protéger les données issues du big data. Et nous travaillons à un projet qui rende les utilisateurs plus conscients des traces numériques qu’ils laissent en surfant.
La 4G est à peine en train d’émerger qu’on parle déjà de la 5G. Quels sont les enjeux ?
N. D. La 4G est une technologie évolutive capable de supporter une forte augmentation des débits, mais elle a aussi ses limites que la 5G tente de dépasser. Il s’agit notamment d’améliorer l’efficacité énergétique – comment maximiser le débit pour chaque joule consommé ? – et la capacité du réseau à traiter des débits fluctuants en garantissant une bonne expérience à l’usager. Enfin, et surtout, la 5G va permettre de transporter efficacement de très petites quantités de données… comme celles générées par les objets connectés. Plus flexible, elle évitera les interruptions d’image et de son.
Comment Orange décline-t-il ces innovations dans son offre commerciale ?
N. D. Lors de l’édition 2014 du « Show Hello », Orange a présenté plusieurs nouveautés ou partenariats. Ainsi, le module Pops permet à des partenaires de relier un objet connecté à un smartphone. En France, Tesla nous a choisis pour équiper ses voitures électriques en très haut débit. Et avec la 4G + – déjà à Paris, elle couvrira début 2015 les plus grandes villes de France –, nous allons doubler la capacité de débit offerte.
Entretien : Frédéric Brillet