Article publié dans le cadre du dossier Musique, l'arme fatale des marques en juillet 2014
Dans le luxueux hôtel parisien Shangri-La, invités, journalistes, blogueurs et heureux gagnants d'un jeu-concours assistent au concert privé de Balthazar, un jeune groupe belge de rock indépendant. Un événement pour «happy few» organisé en juin 2013 par Jack Daniel's. La marque de whiskey qui, pour l'occasion, sert à volonté des cocktails aux noms évocateurs, comme «Elvis». C'est l'une des formes d'événement sur mesure dont raffolent les marques, qui leur permettent de préempter l'univers de la musique. Et en l'occurrence, pour les marques d'alcool, de contourner les rigueurs de la loi Evin. Un exemple parmi d'autres des diverses recettes de marketing musical, entre synchronisation, égérie publicitaire, sponsoring d'événements musicaux et produits cobrandés. Sans oublier le placement de produits dans les clips.
Parmi cette palette d'opportunités associant musique et marques, le choix pour ces dernières n'est pas toujours aisé. Faut-il s'en tenir à une simple «illustration musicale», en glissant un tube dans son spot TV ou se lancer dans un partenariat commercial avec un artiste? «Une marque moderne doit avoir un point de vue sur la musique, qui permet de toucher tout le monde, à commencer par ses futurs consommateurs», résume Fabrice Brovelli, fondateur de BETC Music. Après, comment le faire? A chaque cas, sa solution.
>> Lire notre dossier: La musique, l'arme fatale des marques
Le b.a. ba de la synchronisation. La dernière campagne Lacoste a marqué les esprits, et pour cause: elle est l'exemple parfait d'une bonne synchronisation publicitaire. Une musique qui accompagne et sublime les images, participant ainsi à la magie du spot. «Avant, la musique était la dernière roue du carrosse publicitaire. Aujourd'hui, on est intégré très en amont de la réflexion créative», se félicite Christophe Caurret, directeur de BETC Music.
Preuve que les choses ont bien changé et que les bonnes musiques sont devenues le Graal des annonceurs, la plupart des agences ont leur département idoine, quand elles n'ont pas créé d'entité à part entière. D'autres s'en chargent aussi, comme Universal Music Publishing dont l'activité synchronisation représente environ 15% de son chiffre d'affaires. «Aujourd'hui, tout le monde veut une musique à la Lacoste», selon Christophe Caurret.
Existe-t-il une recette pour trouver une bonne musique? Certainement pas selon les acteurs du secteur, comme Charles-Henri de Pierrefeu, responsable publicité chez Universal Music Publishing France, pour qui «tout dépend de l'annonceur, de sa stratégie et de son budget».
«Certains clients, comme McDonald's, sont sensibles à des artistes complètement inconnus du grand public», avoue Olivier Lefebvre, directeur de la production son de la société Else (TBWA). De fait, les annonceurs jouent de plus en plus la carte de dénicheurs de talent, moins onéreux en termes de droit. Certains même au-delà du «one-shot», et «créent un écosystème entre un artiste qui émerge, une esthétique et un message» qui permet de donner de la puissance à la publicité, ajoute-t-il.
>> Lire : Les agences connaissent aussi la musique
Une démarche nécessaire quand on sait que «prendre un titre trop “mainstream” peut dévaloriser l'image de l'annonceur», selon Charles-Henri de Pierrefeu, qui précise qu'«une bonne musique est une musique vierge» que le consommateur n'attribue donc pas à un autre univers, voire à une autre marque. Sauf en cas de stratégie bien rôdée qui vise à utiliser le tube d'une autre marque plus premium pour tenter d'améliorer son image, telle L'Or Espresso, qui a repris une musique déjà utilisée dans une publicité de Jean Paul Gaultier.
Egéries et après? En mars dernier, l'égérie de La Halle, Jenifer, chanteuse et coach de The Voice, poussait la chansonnette en reprenant l'air de Michel Delpech Comme Marianne était jolie, sur le thème «Comme les Françaises sont jolies», slogan de la chaîne d'habillement. Des spots TV signés par l'agence Hémisphère droit. Un partenariat avec Shazam permettait aux téléspectateurs, à chaque diffusion du spot, de découvrir les vêtements portés par Jenifer. A la manœuvre, U Think, agence d'endorsement d'Universal Music & Brands, qui a fait signer la chanteuse, au catalogue de la maison de disques. «Elle touche différentes cibles, des préadolescents aux adultes fans de The Voice, en passant par la ménagère de moins de 50 ans», explique Thibault Kuhlmann, managing director des départements U Think et Universal Music Merchandising.
L'endorsement (utilisation d'une célébrité pour vanter un produit) a d'autres avantages. «Les artistes sous contrat se mettent en scène pour la marque, au-delà de l'espace publicitaire. Ils assurent les RP, donnent des interviews, facilitent ainsi les retombées presse et publicitaires», estime Thibault Kuhlmann. «Pour certaines marques, il est aussi intéressant de créer des vrais partenariats avec les artistes eux-mêmes, au-delà de l'endorsement, jusqu'au concert», ajoute Ana Vogric-Martinez, directrice générale de The Hours (Havas).
Reste à éviter l'écueil du chanteur porte-marques. Ainsi «l'iguane», alias Iggy Pop, «a détruit sa propre image de marque en tournant trop de publicités, pour SFR, les assurances britanniques Swiftcover, les Galeries Lafayette, Le Bon Coin…», estime un connaisseur du secteur. En l'espèce, Jenifer n'est pas loin non plus d'atteindre le seuil de saturation en ayant déjà joué les égéries aussi bien pour le lancement de la Ford Fiesta que pour l'Unicef ou Pampers en 2013.
«Les marques doivent inscrire la collaboration avec l'artiste dans le temps, avec une vision stratégique», prévient Fabrice Brovelli, de BETC Music. Qui regrette que la collaboration entamée par son agence et Louis Vuitton avec David Bowie n'ait pas duré: «On a sorti une version réadaptée de I'd rather be high, dernier titre de son album The Next Day, mais nous aurions pu prolonger par des concerts privés.»
Du sponsor au label. En cette période estivale, les marques sont omniprésentes lors des festivals de musique. Un classique du genre. Et ce d'autant plus que ces événements «sont maintenant davantage ouverts aux partenaires privés pour couvrir les baisses de subventions publiques», remarque Sarah Ghosn, cofondatrice de L'Agence moderne. Cette dernière joue les intermédiaires entre les marques sponsors et les festivals Les Déferlantes (Argelès-sur-Mer), Musilac (Aix-les-Bains), Pitchfork (Paris)… ou d'autres types de manifestation, comme le Disquaire Day, déclinaison française du Record Store Day, une journée à la mi-avril durant laquelle des disquaires indépendants organisent ventes de disques vinyles inédits et prestations d'artistes. Cette année, l'événement avait pour sponsors Pression Live (Kronenbourg), Converse et Chronodrive.
Les agences The Hours et Les Gaulois, quant à elles, accompagneront fin août leur client Transavia comme sponsor du festival Rock en Seine. «L'objectif est de toucher une cible urbaine et aimant voyager afin de susciter une adhésion plus émotionnelle à la marque», précise Ana Vogric-Martinez, de The Hours.
Le parrainage d'événements musicaux offrent aux marques une large palette d'interventions. Au-delà du traditionnel partenariat officiel, «elles peuvent choisir des activations plus événementielles: boutique éphémère, bus, terrain de volley, laverie, etc. Le tout est de trouver le bon service», explique Sarah Ghosn. La limite de l'exercice étant son côté éphèmère. «Une marque perdure si elle crée une relation dans le temps. Le Crédit mutuel y est parvenu en étant un sponsor historique des Francofolies de La Rochelle», remarque Fabrice Brovelli.
Certains n'hésitent pas à passer du sponsoring à la création d'un label. C'est le cas de la marque de parfum Black XS (Paco Rabanne), qui a lancé avec MTV et My Major Company son label musical, Black XS Records. Une maison de disques couplée à un concours: jusqu'au 13 juin, les internautes pouvaient «poster» leurs prestations vidéos sur un site. A la clé pour les cinq gagnants, la commercialisation via le Web (Deezer…) d'un album de dix titres enregistrés dans les studios bruxellois ICP, et un clip diffusé sur MTV. «Créer un label renouvelle l'exercice autour de la musique. Notre marque est ainsi présente sans être omniprésente, c'est un tremplin plutôt qu'un sponsor», explique Jean Holtzmann, directeur marketing international parfums chez Paco Rabanne.
Le filon des concerts privés. Un événement sur mesure, exclusivement sur invitation, qui apportera au consommateur une expérience inoubliable… le concert privé, non pas seulement sponsorisé mais carrément organisé par une marque, est en vogue. Avec des budgets très variables: de 10 000 euros à plus d'un million, selon la notoriété du groupe, cachet des artistes et location du lieu compris. Tous s'y mettent pour le proposer aux marques: maisons de disque, agences de publicité ou d'événementiel, même des «tourneurs», comme Live Nation, en organisent.
Les plus ambitieux inscrivent généralement un concert privé dans un plan de communication plus global, englobant événementiel et RP. «Cela peut être la suite logique de l'endorsement d'artistes comme égéries», précise Thibault Kuhlmann, d'U Think. Ainsi, dans le cadre d'un partenariat entre Carlsberg et le musicien Sébastien Tellier, ce dernier a assuré des concerts privés et a dessiné la bouteille de bière pour une série limitée.
Particulièrement intéressées, les marques d'alcool y trouvent une manière de contourner la loi Evin leur interdisant d'afficher leur marque ou logo lors de concerts. Kronenbourg a ainsi créé une marque, Pression Live, pour organiser des événements autour de la musique. Autre exemple, les concerts Suite n°7, organisés depuis deux saisons dans des hôtels de luxe par L'Agence moderne, montée par deux anciennes attachées de presse des Inrockuptibles. Leur client: Jack Daniel's, qui propose aux invités de goûter plusieurs cocktails conçus à partir de son whiskey. Pratique, au passage, pour séduire d'autres cibles, notamment féminines.
L'autre avantage du concert privé est de pouvoir produire du contenu. «De plus en plus de marques demandent une captation en live du concert pour le retransmettre sur leur page Facebook, leur site officiel ou diffuser un making of», précise Thibault Kuhlmann. Elles créent ainsi un storytelling autour du concert et se réapproprient opportunément les valeurs incarnées par l'artiste.
Seul bémol, la surenchère des cachets d'artistes. «Iggy Pop a touché 200 000 euros pour assurer une prestation de 15 minutes pour Converse», souffle une connaisseuse de l'événementiel musical.
La star en produit d'appel. L'armoire à trophées de Pharrell Williams s'est enrichie d'une nouvelle distinction. L'artiste multicarte vient en effet de décrocher le Grand Prix de la nouvelle catégorie Product Design du Festival international de la créativité, en juin dernier à Cannes, pour la collection automne-hiver 2014 «G-Star Raw for the oceans». Une gamme de vêtements conçus à partir de déchets plastiques marins recyclés, en partenariat avec la marque de mode G-Star Raw.
Le cobranding associant marques et artistes est une pratique récurrente, notamment dans la mode. En 2006, H&M entame sa première collaboration avec Madonna pour une collection sportswear. Mais les produits sont jugés trop éloignés de l'image glamour et iconique de la chanteuse. L'année suivante, la chaîne suédoise corrige le tir avec M by Madonna, une collection plus provocatrice. Parallèlement, elle signe H&M loves Kylie, une collection capsule de maillots de bains avec la chanteuse pop australienne Kylie Minogue, dont 10% des bénéfices sont reversée à une association.
Autres exemples: les jeans, sweats et tee-shirt de la marque A.P.C. estampillés du nom du rappeur américain Kanye West, la collection RI de la marque britannique River Island avec la star Rihanna, un perfecto et un tee-shirt Surface to Air «conçus» avec Alison Mosshart, chanteuse du groupe The Kills… «Dans ce type d'association, il faut toujours qu'il y ait une marque dominante. C'est pourquoi dans l'univers du luxe, le cobranding avec une star ne fonctionne pas. En revanche, dans la mode, la marque dominante est clairement la star. C'est son pouvoir de rêve que les marques de prêt-à-porter souhaitent s'approprier», analyse Vincent Bastien, professeur à HEC et coauteur de Luxe oblige (éditions Eyrolles).
Quand l'adéquation marque-star fonctionne, le cobranding peut prendre bien des formes, comme en témoigne la collaboration entre Paul Smith et David Bowie. Après avoir créé le tee-shirt officiel du dernier album de Bowie, The Next Day, la marque a même conçu le vinyle de l'album.
Plus fort encore, l'opération menée conjointement par le magasin de prêt-à-porter russe Siamm Siamm et le groupe de rock local Sansara. Les clients du magasin étaient invités à se faire photographier avec des tee-shirts reproduisant des scènes du film d'animation publicitaire de la marque. Tous les clichés ont été ensuite montés pour réaliser le clip de Sansara. «Pobiéda pobiédy» (gagnant-gagnant), comme on dit en Russie.