Article initialement paru en mai 2014, dans le cadre du dossier "Big Data, l'or noir du XXIème siècle".
Les chiffres parlent d'eux-mêmes, et les instituts d'études sont unanimes: le marché du big data ne va pas cesser de croître durant les prochaines années. L'institut ABI Research prédit une croissance annuelle de 29,6%, pour atteindre 82 milliards d'euros en 2018 (contre 22 milliards en 2013). Marques, agences, prestataires ainsi que consommateurs, tout le monde veut sa part du gâteau et souhaite prendre le contrôle de ces innombrables données. Mais quels sont les intérêts concrets pour une marque d'investir dans le traitement de datas?
La première raison d'exploiter ses données clients est d'augmenter son chiffre d'affaires, grâce par exemple à des campagnes plus ciblées qui permettent d'augmenter l'affluence dans les magasins et de multiplier ses ventes.
La preuve avec Criteo, qui a fait de l'analyse de données son fonds de commerce. «Criteo est un élément essentiel de notre stratégie de display. Le nouveau segment des abandons de paniers nous a donné la possibilité d'être en contact avec les internautes de manière plus ciblée. Nous avons ainsi augmenté notre chiffre d'affaires global», indique Daniela Bandion, «senior manager display advertising» dans la société allemande One Advertising AG. Une stratégie payante pour Criteo: 1,5 milliard d'euros de valeur estimée, 444 millions de chiffre d'affaires et une clientèle de plus de 4 000 sociétés d'e-commerce dans 50 pays (Expedia, Les 3 Suisses, Price Minister…). «Criteo est la preuve vivante qu'un “business model” basé sur le big data est possible», commente Mouloud Dey, directeur «business solutions» chez SAS France.
«Pendant les périodes clés, les soldes notamment, Criteo nous a permis d'aller chercher 88% de trafic additionnel et 144% de ventes additionnelles par rapport à l'année précédente. Le retour sur investissement a été multiplié par trois», déclare Faust Tamisier, responsable E-Marketing du site Alinéa.
Optimiser la relation client
Selon Philippe Bonnet, CEO de Wunderman, il faut à la fois réussir l'approche mécanique – les statistiques – et l'analyse stratégique – la déduction, la prise de décision – du big data pour obtenir un bon retour sur investissement. «L'enjeu est d'articuler “reach data” – retargeting, RTB, etc. – et rich data – enrichissement de la connaissance client, prise en compte des données émotionnelles… Or, plus on utilise intelligemment la rich data, plus on obtiendra une reach data efficace», explique-t-il. Entre janvier et mai 2013, Wunderman a ainsi permis à Danone de doubler son ROI (retour sur investissement) grâce à sa campagne print et e-mail ultraciblée.
Autre bénéfice à tirer du traitement des datas: améliorer sa relation client. Chez Orange, le traitement du big data est encore en phase de «test and learn» (gestion de projet) et diffère selon les cas et les pays. Mais l'opérateur est conscient des bénéfices à en tirer. «Le mélange des données consommateurs avec celles qui sont publiques et issues des réseaux sociaux nous permet d'obtenir un ciblage plus précis et de fournir un service davantage personnalisé et en temps réel. Le big data nous permet d'améliorer notre connaissance de chaque consommateur, grâce au stockage plus important de données anonymisées, pour ainsi perfectionner notre relation client», constate Jean-Marie Culpin, directeur marketing et connaissance client d'Orange. Il prend comme exemple un client Orange qui serait fan du club de foot Paris Saint-Germain, à qui l'opérateur proposerait du coup un forfait plus adapté avec une offre promotionnelle personnalisée.
Le big data permet aussi d'optimiser son service client. L'agence Disko, spécialisée en «intelligence sociale», travaille la relation client de plusieurs annonceurs, comme L'Oréal, Nespresso, Speedo, Jaguar France ou encore Planet Sushi. En 2013, elle a conçu un outil de «business intelligence» pour Transilien SNCF, permettant de remonter en simultané l'ensemble des verbatims en temps réel sur une liste de sujets définis. «Nous transformons les données sociales en service grâce à notre outil d'intelligence artificielle. Transilien SNCF peut ainsi réagir en temps réel en fonction des conversations numériques de ses usagers», explique Davy Tessier, CEO de Disko.
Prendre en compte les exigences du public
IBM permet également d'apporter des services aux consommateurs basés sur le traitement de données. L'entreprise est en train de tester son nouvel outil d'intelligence artificielle, baptisé Watson, avec la marque The North Face (équipements pour sports outdoor). Un client pourra ainsi demander virtuellement à la marque quel attirail il aura besoin pour son expédition en Patagonie, par exemple, et obtenir des conseils immédiats. «Finie l'ère déterministe, nous sommes désormais dans une ère cognitive probabiliste», indique Patrice Poiraud, directeur «business analytics & optimisation» chez IBM.
Enfin, l'intégration des données est d'autant plus nécessaire que le grand public a désormais de fortes exigences par rapport à la gestion de ses données personnelles, suite notamment à l'affaire du programme de surveillance américain Prism révélé par Edward Snowden, mais aussi aux nombreux scandales de vol, piratage et ciblage abusif de données (Target, Barclays, Orange, HSBC, Neiman Marcus…). «Le big data comprend deux grands défis aujourd'hui: le nettoyage des datas et le contrôle des individus sur leurs propres données. En effet, il faut tout d'abord savoir distinguer les données propres, celles acquises avec le consentement des consommateurs, des données sales, comme le traçage abusif et intrusif au détriment des individus. Et il faut se préoccuper de la réappropriation des données par les consommateurs», observe Serge Abiteboul, chercheur à l'Inria, professeur à l'ENS Cachan et membre du CNN (Conseil national du numérique).
>> Lire : le dossier intégral «Big Data, l'or noir du XXIème siècle»
Concernant le contrôle des données par les utilisateurs, sept annonceurs (Orange, Axa, La Banque postale, Crédit coopératif, Google, Les Mousquetaires et la Société générale) participent au projet «Mes infos» de la Fing (Fondation pour l'Internet nouvelle génération) qui expérimente le VRM (Vendor Relationship Management). Ce modèle théorique prône l'équilibre retrouvé entre les marques et les consommateurs concernant l'usage et le contrôle des données. Les résultats du projet devraient être dévoilés en juin prochain.
Les multiples possibilités du mobile
Et demain? Pour beaucoup, l'avenir du big data, c'est le mobile. Ce canal prometteur permettra en effet de générer du business tout en perfectionnant sa relation et son service client. Le défi est de récolter le plus de données «opt-in» (autorisées) auprès des consommateurs, pour leur proposer toujours plus de services à haute valeur ajoutée.
Ainsi l'entreprise Weve dispose d'une base de données opt-in de quelque 20 millions de consommateurs du Royaume-Uni.
Ce joint-venture regroupant les trois plus gros opérateurs mobiles (EE, O2 Telefonica et Vodafone) développe des solutions de marketing, m-commerce et de paiement via mobile. En février dernier, Weve a signé un partenariat avec Mastercard pour déployer le paiement mobile en 2015 dans plus de 300 000 points de vente anglais.
Mais pour la start-up, le mobile est plus qu'un portefeuille: c'est un outil intelligent multiservice permettant le paiement, la fidélisation client ou la distribution de tickets de réduction. «Une révolution est en train de se passer dans le monde marketing: les marketeurs ne disposent plus seulement de quelques données, mais désormais de toutes celles qui leur faut pour prendre leurs décisions et investir leur argent», analyse David Sear, CEO de Weve. Et de prédire: «Le mobile pourrait à nouveau sauver le retail, anéanti par le Web il y a dix ans. Si vous n'investissez pas dans le mobile, vous ne serez probablement pas dans les affaires dans les cinq années qui viennent. Il est difficile d'imaginer un business qui n'évoluera pas sans tenir compte des possibilités offertes par les données issues des mobiles.»