«Fait en prenant le temps nécessaire». Lancé le 22 novembre 2012 à l'initiative du Mobilier national et de l'Institut national des métiers d'art, le "slow made" est un mouvement né en Italie qui fédère les acteurs français des métiers d'art et de la création, à travers une signature collective valorisant la maîtrise et le temps du geste au service de la recherche et de l'innovation. Un cahier des charges en résume l'esprit: culture du savoir-faire, attachement au travail humain, au développement durable et au prix juste.
«Le slow made n'est pas celui de la lenteur mais du temps juste», précise Christophe Rioux, directeur du pôle luxe et industries créatives de l'Institut supérieur de commerce de Paris, professeur d'économie à Sciences Po et à la Sorbonne et membre fondateur du "Slow Made". Le club luxe de l'Adetem a consacré sa conférence de juin dernier, à l'impact de ce mouvement dans le marketing et la consommation du luxe, intitulée «Le Slow Made: stratégie créatrice de valeur dans le luxe?».
Pour Stéphane Truchi, président du directoire de l'Ifop et président du Club luxe de l'Adetem, depuis la crise financière de 2008, révélatrice d'un mouvement de fond, on a pu observer un besoin de sens et la montée de valeurs telles que l'humilité, la pérennité, la prise de conscience de l'impact de ses comportements d'aujourd'hui sur la société de demain, et un déclin des valeurs d'«éphémérité», et de gaspillage.
Dans la consommation et le luxe, cela s'est traduit pour les acheteurs par moins de futilité, plus de responsabilité et de sens, moins de laisser-aller dans les impulsions d'achat, et un besoin d'intégrer la notion d'investissement.
«Dès 2009, au travers de nos baromètres d'usages et d'attitudes, nous avons pu noter une évolution des comportements des consommateurs de marques de luxe vers une quête de produits transmissibles, à forte valeur qualitative, à l'usage durable, ayant une histoire, une origine et un ancrage métier, indique Stéphane Truchi. Une tendance qui a remis au gout du jour des collections intemporelles avec la réédition de produits iconiques ou le lancement de produits à fort contenu artistique, l'art devenant un motif noble à la dépense.»
Cette valorisation du geste ancestral s'exprime aussi à travers des événements comme celui d'Hermès et son Festival des métiers lancé en juin 2011 et désormais annuel, LVMH et ses Journées particulières inaugurées quelques mois plus tard, en octobre 2011 et reconduites en juin 2013, ou celui de Chanel qui, pionnier, organise chaque année depuis 2002 un défilé "Métiers d'art" valorisant le savoir-faire de sa filiale Paraffection, qui fédère neuf ateliers d'art dont le plumassier Lemarié, l'orfèvre Goossens, le brodeur Lesage, ou le chapelier Michel.
Invité au Club Luxe de l'Adetem, Christophe Rioux, estime que «le Slow made est un credo pour le luxe, métier de savoir-faire, de tradition et de créativité». Il tient toutefois à en rappeler les fondamentaux que sont la remise à l'honneur du produit dans sa singularité et son unicité «alors qu'il est devenu massifié avec la démocratisation du luxe», note-t-il; la pratique du prix juste; et la valorisation dans les points de vente du savoir-faire métier, à l'instar du Digital Flagship Burberry à Londres sur Regent Street, qui fait l'éloge de l'artisanat d'art à travers la technologie.
Fonts baptismaux des savoir-faire
«Le slow made réinjecte du sens dans un art de vivre et répond aux attentes des consommateurs, poursuit Stéphane Truchi. C'est une modernité inédite, issue du mariage de l'innovation et de la tradition, qui n'a rien de passéiste.» Autre invité à cette conférence, Dominique Barbiery, directeur général de Paraffection, confirme. «Nos ateliers d'art incarnent les vieilles maisons chargées d'histoire et de richesse qui ont pour la plupart disparu, éclipsées par la modernité et restées sans successeurs», dit-il. «Mais pour autant, Paraffection ne cherche ni à s'enfermer dans le passé, ni à faire du mécénat. Nous sommes dans une démarche moderne de "creative business", précise-t-il. Nous aidons aussi nos artisans à innover par eux-mêmes, à s'ouvrir à d'autres marchés, y compris sous leurs propres marques, et à former de nouveaux talents.»
Adeline Lunati, interior design manager du studio design du maître-verrier Lalique, est dans la même démarche. «Nous avons à cœur de renouveler les savoir-faire de notre fondateur René Lalique, en mettant sur fonts baptismaux des projets audacieux et précurseurs, pas de les momifier», dit-elle. Ainsi, le studio conçoit des panneaux d'espace novateurs conçus comme une œuvre d'art, associant le cristal au verre dans des mises en scène architecturales, des jeux de satinage, de transparence et des gravures manuelles, emblématiques du style maison.
Le champagne Piper Heidsieck, créé en 1785, a découvert les bienfaits du «slow made» à la suite de ses difficultés et de sa revente en 2011 au groupe familial EPI (Bonpoint, Winston, Figaret). «La stratégie de coups marketing de l'entreprise s'était essoufflée. La marque s'était perdue et ne valait plus que par le prix, explique Daniel Cabaleiro, son directeur marketing et communication. Depuis 2011, nous avons décidé de revenir à notre ADN, sans passéisme, pour préparer l'avenir en faisant du temps notre allié.»
Le producteur de champagne ne se définit plus comme une marque mais comme une "maison" soucieuse de pérenniser des produits d'excellence, d'où une montée en gamme et la sortie de la grande distribution. Fournisseur officiel du Festival de Cannes depuis vingt ans (pour cet anniversaire, elle a présenté son brut dans un étui enlacé par une pellicule symbolisant le 7e art), Piper Heidsieck affirme également ses liens historiques avec les stars et le cinéma depuis quatre-vingts ans.
Le slow made oppose au modèle de consommation tout jetable un modèle durable visant à produire moins et mieux. En quoi le monde du luxe y serait prêt? «Si le slow made peut s'inscrire dans une stratégie de marque de luxe, il ne peut en aucun cas être un alibi, ce qui supposerait de dépasser la rhétorique de l'artisan très en vogue actuellement dans la communication du luxe, souligne Christophe Rioux. Car ce mouvement qui jette les bases d'une "slow économie" est d'abord une philosophie à partager.»