Supplément Big Data
Le big data présente de belles opportunités pour les entreprises, les Etats et les consommateurs. Mais les défis sont nombreux : pénurie de compétences, respect de la vie privée et concurrence internationale.

Le big data, ou « volumes massifs de données », est le nouveau concept numérique à la mode. Cette expression anglo-saxonne paraît de prime abord bien obscure pour ceux qui ne sont pas nés une souris à la main. Ce sont pourtant les individus lambda qui contribuent le plus à ce phénomène via l'inflation de données sur leurs faits et gestes engrangées par les réseaux sociaux, les applications, les mobiles ou les objets connectés. Eric Schmidt, le président de Google, s'est fendu en son temps d'une citation célèbre pour évoquer l'ampleur du sujet : « Aujourd'hui, l'humanité engendre autant de données en deux jours qu'elle en a créé entre la naissance de la civilisation et 2003. »

Mais que seraient les données sans les outils pour les stocker et les traiter ? « Comme ils ne trouvaient pas dans le commerce les technologies pour gérer leurs grandes masses de données, les mastodontes du Web, comme Amazon ou Google, les ont créés eux-mêmes », explique Renaud Finaz de Vilaine, directeur marketing de Micropole, société spécialisée en business intelligence et e-business.

 

Faire des économies

Aujourd'hui, les leaders d'Internet ne sont plus les seuls à s'intéresser à ce sujet. En 2012, selon le cabinet McKinsey, les organisations publiques et privées ont investi 22,7 milliards d'euros dans le big data, principalement pour acquérir les solutions informatiques, matériels et logiciels, aptes à traiter ces monceaux d'information. « Le big data, ce sont des données dont la taille, la variété ou la rapidité d'usage nécessitent des techniques analytiques nouvelles permettant de créer une valeur inédite », résume Matteo Pacca, directeur associé de McKinsey.

L'alliance des données et de la technologie offre en effet de nouvelles opportunités aux Etats, aux entreprises et aux consommateurs. Concernant les premiers, McKinsey a calculé que le big data pourrait, grâce à une meilleure prévention et une surveillance médicale assistée, rapporter 300 milliards de dollars au système de santé américain.

Pour les entreprises aussi, les potentiels sont gigantesques. Le conglomérat des Gafa (pour « Google, Apple, Facebook et Amazon »), qui monétise les données des internautes à des fins publicitaires, n'est pas le seul à en profiter. « Les chaînes de valeur sont bouleversées dans les services, l'énergie, la grande distribution, la banque, l'assurance... Dans la publicité et la communication, il est possible de faire des campagnes plus segmentées et plus ciblées. De nouveaux modèles émergent », observe Gilbert Grenié, analyste au cabinet de conseil PriceWaterhouseCoopers (PWC).

 

L'Europe à la périphérie

« Améliorer la satisfaction client, optimiser l'existant et lancer de nouveaux produits et services sont les principales motivations des entreprises qui adoptent cette démarche », explique de son côté Patrice Poiraud, directeur de l'initiative big data chez IBM. Dans le seul secteur de la distribution, les consultants de McKinsey ont calculé que l'adoption du big data permettrait une amélioration de la marge opérationnelle de 60%, grâce par exemple à un meilleur ciblage dans la remise de coupons promotionnels, comme l'ont fait les supermarchés Tesco au Royaume-Uni (lire aussi p.xx).

Ce marché fait, par ailleurs, les beaux jours d'une kyrielle de start-up spécialisées dans le marketing et la publicité en ligne : Fifty-five, Tradelab, Apicube, Criteo ou Gamned... C'est aussi une aubaine pour les fournisseurs de solutions informatiques que sont IBM, Microsoft, Hewlett-Packard, Oracle, SAS ou Teradata. « Oracle, IBM ou SAP étaient restés à la traîne jusqu'en 2012, qui a été un grand tournant. Chacun a réussi à intégrer plus ou moins bien les technologies big data en adoptant des systèmes déjà existants, comme Hadoop. Ils se sont rapprochés du monde de l'open source en délaissant progressivement le langage SQL », explique Renaud Finaz de Vilaine.

Une fois à niveau, ces grands fournisseurs de technologies ont dû expliquer à leurs clients que les bases relationnelles ne suffisaient plus pour stocker de gros volumes de données. Pour les convaincre, ils n'hésitent pas à leur prêter des machines quelques mois, le temps d'en voir les effets sur la fidélisation par exemple. Pour se différencier, certains misent sur des expertises différentes, la véracité des données pour IBM, leur visualisation pour SAS.

Mais sur ce segment, les acteurs traditionnels devront faire face à de nouveaux concurrents. Les directions marketing pourraient en effet être tentées de faire appel aux services de Google pour analyser des comportements sur Internet. Quant à Amazon, il loue déjà temporairement, à la façon d'IBM, ses grandes capacités de calcul aux entreprises.

La concurrence européenne, en revanche, n'a pas de quoi les effrayer. « Parmi les systèmes d'exploitation et les navigateurs majeurs, aucun n'est européen ou fabriqué sur le continent, qui se retrouve relégué à la périphérie », déplore Tariq Krim, vice-président du Conseil national du numérique et fondateur de Jolicloud, qui intervenait en avril 2013 au salon Big data Paris.

 

Aubaine pour les consommateurs

Cela est-il appelé à changer ? Dans sa feuille de route numérique dévoilée le 28 février 2013, le gouvernement a annoncé vouloir faire du big data l'une des quatre technologies stratégiques. Il va mobiliser, pour ce seul sujet, 150 millions d'euros d'aide à la recherche. Objectif affiché : faire émerger des entreprises de rang mondial.

Le gouvernement reste également actif en matière d'open data, ces données publiques laissées à la disposition de tous par des administrations ou des entreprises de délégation de service public. De quoi relancer l'économie ? De nombreuses start-up se lancent aujourd'hui sur ce marché qui analysent, recoupent et configurent ce chaos. Les applications semblent infinies, des données météo au trafic routier, en passant par le conseil immobilier. Mais force est de constater que les grandes entreprises françaises ne sont pas très en avance sur le sujet.

Le big data apparaît aussi comme une aubaine pour les consommateurs : « Ils peuvent profiter de produits et services qui tiennent davantage compte de leurs habitudes », assure Sébastien Lamour, analyste au cabinet d'études IDC. C'est ainsi qu'un téléphone mobile ou un téléviseur ayant appris par cœur les préférences et habitudes de leur propriétaire peuvent lui proposer les applications ou les programmes qui lui seront le plus utiles. Les compteurs d'électricité et d'eau « intelligents » promettent de jolies économies sur les factures.

 

Une grande méfiance

Mais le big data soulève aussi deux enjeux de taille. Le premier concerne la pénurie de compétences. Avec lui, de nouveaux profils apparaissent, comme les datascientists, ces experts en statistiques capable de croiser et d'interpréter les données. Ou encore les « chief data officers », dépositaires de la qualité des données. « Les profils à la fois bons en statistique et pouvant comprendre les enjeux commerciaux et imaginer de nouveaux business model sont rares. Il faudra les former », indique, cependant, Renaud Finaz de Vilaine. Deuxième problématique: les craintes que le sujet soulève dans l'opinion. « Les utilisateurs sont les premiers fournisseurs de données, alors mieux vaut éviter de les froisser », prévient Sébastien Lamour. Or une récente étude du Boston Consulting Group a montré que « l'inquiétude des consommateurs a grandi avec la hausse de l'usage des données personnelles. Près de 88% des personnes en ligne considèrent qu'au moins une société menace leur vie privée », sans pour autant que cela ait — encore ? — de conséquence sur leur comportement. L'autre préoccupation provient de la sécurité : « Une faille minuscule peut menacer des quantités de données considérables », alerte Zouheir Guedri, chez PWC.

Si les utilisateurs perdent confiance dans l'utilisation de leurs informations, c'est donc tout l'édifice du big data qui risque de s'écrouler. Pour éviter cela, la Commission européenne a présenté, au début de 2012, un règlement qui vise à les protéger davantage. Ce texte, qui devrait être voté en 2014 pour une application en 2016, obligera les entreprises à demander à l'utilisateur son consentement explicite avant de collecter ses données personnelles. Il instaure également le droit à l'oubli. Utiliser les données, d'accord, mais pas n'importe comment...

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