Des courts de tennis à la rue en passant par les scènes de concerts, il n'y a qu'un pas. Au commencement était le polo propret Fred Perry, né sur les courts comme celui de Lacoste. Mais la marque du joueur de tennis britannique Frederick John Perry a connu un chemin inverse: à la française, le positionnement BCBG et mainstream; à l'anglaise, une image plus «prolo» et underground. Au fil des années, Fred Perry a su habilement se greffer à différents courants musicaux, du punk au britpop.
La marque fête cette année ses 60 ans. Au menu pour cet automne: des fêtes à Paris et à Londres, la réédition de polos vintage de 1952, mais aussi, selon nos informations, la sortie de six courts-métrages retraçant l'origine de la marque et du fameux polo. Storytelling oblige!
Retour aux origines. Si le polo Fred Perry était peu présent sur les courts de Roland-Garros cette année encore, c'est bien le joueur de tennis le plus titré d'Angleterre qui l'a créé. Frederick John Perry, donc, fils d'un ouvrier de l'industrie cotonnière (le détail a son importance) né le 18 mai 1909 à Stockport, champion du monde de tennis de table en 1929, s'essaie avec un certain succès au tennis, jusqu'au sacre: des victoires en Coupe Davis puis à Wimbledon.
La carrière du tennisman s'achève en 1940 avec une fracture du coude. Qu'à cela ne tienne, associé au footballeur autrichien Tibby Wegner, il devient l'ambassadeur d'un poignet anti-transpiration, puis, en 1952, d'une chemise de tennis en coton piqué à manches courtes et col boutonné.
Près de 20 ans après celui de René Lacoste, le polo Fred Perry est né. Avec ses détails maison, le liseré noir et la couronne de lauriers, initialement brodée sur la tenue de l'équipe anglaise de Coupe Davis. Rapidement porté par les joueurs sur les courts de Wimbledon, alors que les matchs de tennis commencent à être retransmis à la télévision, le polo Fred Perry sera largement médiatisé.
Précurseur du streetwear
Mais comment passer des courts à la rue? L'évolution se fera au début des années 60 grâce aux «mods» (modernists) britanniques. Ces jeunes urbains prolétaires amateurs de Mod jazz, au mode de vie festif et hédoniste, obsédés par leur élégance, font de Fred Perry un de leurs emblèmes vestimentaires.
«Mods contre rockers au perfecto en cuir, c'était l'affrontement de la jeunesse anglaise. Les mods adoptaient un look de bourgeois, de "minet", détournant des vêtements nés pour le tennis, alors réservés à une élite», explique François Armanet, rédacteur en chef du Nouvel Observateur, auteur de La Bande du drugstore (éd. Denoël). «Le polo Fred Perry faisait partie de quelques marques identifiées par les mods, et portées à l'époque par les Beatles, Eric Clapton, les Who...», complète Bayon, critique musique à Libération.
Fred Perry sera ainsi une des premières marques à être récupérée par des tribus urbaines. Détournée pour l'occasion, «un peu comme Lacoste avec les groupes de hip-hop dans les années 80, pour son côté bling-bling», estime François Armanet. «Il y a toujours eu de la part de Fred Perry une volonté de se projeter sur des microgroupes sociétaux», décrypte Jean-Marc Lehu, professeur de marketing à Paris I Panthéon-Sorbonne.
Elle est de fait intimement liée à l'univers musical. «C'est notre différence essentielle avec Lacoste», tranche Richard Martin, directeur marketing monde de Fred Perry. «Après les Kinks et les Who, plusieurs groupes "revival" s'habillent en Fred Perry, poursuit François Armanet, dans la tendance punk des années 70 avec Shane MacGowan des Pogues, puis dans la mouvance ska avec The Specials, ou encore le courant musical britpop des années 90 avec Blur et Oasis... Toujours des sortes de mods.» Dans les années 2000, la marque sera de nouveau portée par des groupes de rock, comme The Strokes.
Résultat, grâce à ses fans célèbres qui arborent ses polos, des chanteurs (Damon Albarn de Blur) aux people (Ewan McGregor, Jean-Paul Gaultier)... et certains journalistes (Joseph Macé-Scaron sur I-Télé), Fred Perry s'assure une publicité et une visibilité à peu de frais.
La petite entreprise se porte bien, assurément. No comment, toutefois, sur le chiffre d'affaires, tout juste sait-on que 68 000 polos sortent chaque année du site de Leicester, la France représentant 10% de son marché, derrière la Grande-Bretagne et l'Italie. Autre indicateur: «d'une petite centaine de points de vente en France en 1999, lorsque nous avons repris la distribution de Fred Perry en France, nous sommes passés à 700», précise Michel Roueau, PDG de The Lifestyle Company, qui distribue la griffe dans l'Hexagone.
Derrière le polo - 75 euros pièce tout de même -, les accessoires, portés par la bagagerie, représentent 12 à 15% du chiffre d'affaires en France. Son public: des quadragénaires nostalgiques, d'anciens punks, des gays, de jeunes groupes de musique, des bobos...
Culture underground
Marketing et communication entretiennent cette image de marque pour initiés. Les publicités, conçues depuis Londres par l'agence De Facto, mettent en scène des mannequins asexués, aux coupes de cheveux androgynes, la moue boudeuse. Fred Perry communique dans la presse avec parcimonie. «Dans les magazines de niche, comme Crash et Standard», précise Pascale Namour, responsable marketing de The Lifestyle Company.
Car Fred Perry privilégie l'événementiel et le sponsoring ciblé dans l'univers musical. Richard Martin parle d'ailleurs de «marque musicale», Fred Perry étant «une marque de mode contemporaine avec un héritage musical». Pour preuve, le lancement en 2005 de Fred Perry Subculture, une plate-forme destinée à produire et soutenir de jeunes groupes de musique.
En France, elle a sponsorisé le Festival de Hyères en 2011, le festival de musique Garorock début juin 2012, ou encore, aux côtés d'ID-DTGV le 21 avril dernier, la seconde édition du Disquaire Day, version française du Record Store Day (Stratégies n°1675 du 19 avril 2012).
Une culture underground perceptible jusque dans la stratégie de distribution de Fred Perry. Ses points de vente «sont presque uniquement des détaillants indépendants. S'y ajoutent des corners dans une vingtaine de Galeries Lafayette. Nous allons en ouvrir un nouveau cette année dans les Galeries de Paris fin juillet», précise Michel Roueau. Par ailleurs, Fred Perry a ouvert en 2009 deux boutiques en propre, dans le quartier du Marais à Paris.
Enfin, la marque s'est offert quelques collaborations de choix: avec le créateur japonais Comme des Garçons en 2007, le couturier belge Raf Simons en 2011, Peter Doherty, ou encore feue la «lady soul» Amy Winehouse, dont le groupe commercialisait la collection à titre posthume, fin 2011.
Encadré
Dates clés
18 mai 1909. Naissance de Frederick John Perry à Stockport.
1933. L'Angleterre remporte la Coupe Davis.
1949. Naissance de la marque Fred Perry.
1952. Lancement du polo Fred Perry.
1958. Première ligne de vêtements féminins et premières chaussures de tennis.
2012. La marque fête ses 60 ans.