L'année des médias 2011
Dans les programmes télévisés, le montage est de plus en plus rythmé, voire frénétique. avec pour exemple extrême Bref, série à succès de Canal+.

Il n'est pas rare que Kyan Khojandi passe plusieurs jours de suite dans la même chambre. Cette chambre de quasi-ado, cartes postales affichées à la Patafix, barquette de nourriture oubliée sur la table de nuit et lit pas fait, est l'un des lieux névralgiques - ou, devrait-on plutôt dire, apathiques - de Bref, le programme court de Canal+. La série, qui retrace les tribulations d'un trentenaire un peu loser, un peu bedonnant, un peu dégarni, un peu branché, incarné par Khojandi, est tournée au pas de course. «Le programme est produit comme un long-métrage», explique Harry Tordjman, patron de My Box Production. «Tous les scénarios sont très séquencés, nous tournons l'intégralité des scènes des quarante émissions à venir d'un seul coup au même endroit, que ce soit la chambre du héros, le supermarché, le salon des parents...»

 

Une minute quarante, deux minutes, pas plus, pour raconter les (non) événements de la vie du héros («Bref, j'ai revu cette fille», «Bref, je joue de la guitare», «Bref, j'ai passé un entretien d'embauche»). Sortez les scalpels: le montage se fait spasmodique, le rythme frénétique. «Bref, c'est une compression, à l'instar d'une bande-annonce», résume Harry Tordjman. Un format inédit, qui dès sa première diffusion, le 29 août dernier, a ravi les téléspectateurs: la série dépasse aujourd'hui le million et demi de fans sur Facebook.

 

«Dans l'univers des programmes courts, c'est le premier conçu et monté ainsi», estime Harry Tordjman. Influences? Les Lois de l'attraction, de Roger Avary, pour la séquence où l'un des héros, Victor, raconte son voyage en Europe en une centaine de microplans syncopés. Mais aussi «la série How I Met Your Mother, pour son montage audacieux et ses gags récurrents», souligne le producteur.

 

Lequel avoue commencer à recevoir des foules d'appels d'agences de publicité. Et le format de Bref inspirera sans doute de nouveaux programmes dans les mois à venir. D'autant qu'en termes de montages télévisés, l'heure n'est pas vraiment à la contemplation. «Le téléspectateur n'est plus vraiment habitué aux longueurs», remarque Gaëtan Kerviche, chef monteur et enseignant à l'Esra (École supérieure de réalisation audiovisuelle). «On est bien loin de L'Arrivée en gare de La Ciotat des Frères Lumière, en 1896, qui effrayait les spectateurs en leur donnant l'impression qu'un train arrivait sur eux. On s'est notamment habitué à la notion d'ellipse.»

 

Du coup, aujourd'hui, «rester huit secondes sur un plan, c'est déjà énorme!», constate le chef monteur. Certains, comme Freemantle, tentent de prendre le contre-pied de ce débit à la mitraillette. «Dans L'Amour est dans le pré, diffusé sur M6, nous tentons vraiment de laisser les silences, les maladresses, même s'il ne se passe pas grand-chose», indique Marie Genest, directrice des programmes de Freemantle. Pourtant, c'est précisément lorsqu'on n'a rien à raconter qu'il convient «de découper le plus possible l'action», constate Gaétan Kerviche. Ce qui est particulièrement vrai dans les émissions de télé-réalité, où «plutôt que garder pendant dix secondes le plan de deux personnes qui se disputent, on va le fragmenter en plusieurs parties».

 

La presse, dont les journalistes sont de plus en plus «twittos»,  n'échappe pas à cette tentation du «cut»: en novembre dernier, Steven Le Roy, du Télégramme, s'est amusé à rédiger des brèves... dans l'esprit de Bref. Le procédé a un illustre créateur: dès 1906, Félix Fénéon rédigeait pour Le Matin, dans la rubrique Nouvelles en trois lignes ce type d'article: «Madame Fournier, M. Voisin, M. Septeuil se sont pendus: neurasthénie, cancer, chômage.» Coupez.

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