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À Paris, Rome, Stockholm ou Varsovie, les campagnes d'intérêt public destinée aux 15-25 ans actionnent les mêmes ressorts: émotion, connivence, appartenance au groupe. Mais attention à ne pas en faire trop.

Comment les institutions s'adressent-elles aux jeunes Européens? Peut-on utiliser les mêmes codes pour parler sécurité routière, emploi ou écologie à des ados français, polonais ou grecs? Quels sont les ressorts les plus efficaces pour sensibiliser les 15-25 ans aux messages d'intérêt public? Une enquête cosignée Ligaris et Ipsos livre des éléments de réponse et propose aux institutions et aux entreprises quelques clés pour construire des discours en cohérence avec leurs cibles. L'étude «Publics jeunes en Europe et communication d'intérêt général, mieux les comprendre pour mieux leur parler» repose sur une double approche, quantitative et qualitative: extraction des données cumulées par Ipsos dans 5 pays d'Europe en 2008 et analyse de plus de 60 campagnes plurimédias dans 16 pays de l'Union, de 2006 à aujourd'hui.

Pour les communicants, le premier réflexe est évidemment de se départir de leurs préjugés d'adultes largement déconnectés de ce que sont et vivent leurs enfants. Car entre les jeunes et leurs aînés, l'incompréhension prévaut. La vague 2010 de l'Observatoire de la jeunesse solidaire révèle qu'un Français sur deux a une image négative de la jeunesse! De son côté, la fondation Wyeth confirme chaque année depuis 2005 le regard pessimiste porté par les adultes sur les adolescents: ceux-ci seraient mal dans leur peau, auraient des relations difficiles avec leurs parents, avec l'école, ne croiraient pas dans le travail, seraient désengagés, etc.

Or, c'est un tout autre tableau que les ados peignent d'eux-mêmes: une génération positive, pragmatique et qui, dans l'ensemble, se porte bien. Les chiffres d'Ipsos sont éloquents: 8 jeunes sur 10 déclarent être heureux et confiants dans leur avenir. Mieux, 70% des jeunes Européens ne voient pas de différence entre leurs valeurs et celles de leurs parents. Quant à ce supposé hermétisme à la «valeur travail», ils le balaient d'un trait: les deux tiers d'entre eux voient dans la réussite professionnelle la clé de l'épanouissement personnel et se disent, plus encore que leurs aînés, prêts à consacrer du temps au travail.

Patriotes et matérialistes

«Le portrait transcende les contextes nationaux, les références des 15-25 ans semblent partagées partout en Europe», souligne Laïla Idtaleb, directrice de clientèle chez Ipsos. Génération paneuropéenne, mais génération complexe. Viscéralement accros aux nouvelles technologies, dépendants de la vie sociale, très soucieux de leur apparence et du regard que l'on peut porter sur eux, les jeunes Européens se montrent aussi particulièrement conservateurs: 8 sur 10 jugent qu'il faut rétablir l'ordre dans leur pays et 7 sur 10 pensent que les parents doivent être plus stricts avec leurs enfants. Autre constat à rebrousse-poil des idées reçues, ils aiment leur pays (sentiment particulièrement fort chez les Français).

Pas vraiment révolutionnaires, ils seraient même franchement matérialistes. Pour 60% d'entre eux, gagner de l'argent est même le principal objectif dans la vie. Une génération d'acheteurs élevés à la culture Ebay, qui se montrent en même temps critiques face à la société de consommation: 8 sur 10 stigmatisent un trop-plein de publicité et ressentent une amplification des inégalités sociales. Pour deux tiers d'entre eux, la qualité de vie passe par une baisse de la consommation. Aux institutions d'en prendre de la graine…

Si les valeurs revendiquées par les 15-25 ans dépassent le tracé des frontières, les discours d'intérêt général semblent également actionner les mêmes ressorts d'un pays à l'autre. «Dans les nouveaux États membres de l'Union, les créations n'ont rien à envier aux campagnes des pays occidentaux», remarque Grégory Possoz, consultant chez Ligaris. Le discours des marques et des institutions en direction des 15-25 ans recourt à cinq grands leviers d'influence identifiés par l'étude Ligaris-Ipsos: le goût de la transgression, l'intérêt pour la solidarité, l'aspiration à l'indépendance, le besoin d'affirmation identitaire et l'impératif de socialisation. Avec quatre grands registres de discours: émotion, responsabilisation, recherche de connivence et estime de soi.

Cible avertie

L'émotion reste sans doute le fil rouge des messages d'intérêt général. Et ce, dans tous les pays d'Europe. Les campagnes de prévention contre le tabagisme, l'alcoolisme, les grossesses précoces ou pour la sécurité routière recourent régulièrement aux images-chocs et aux codes anxiogènes. Un parti pris pas forcément pertinent, remarque Laïla Idtaleb. «Tous les prétests et post-tests le montrent: les jeunes ne savent pas ce qu'est la mort. La maladie, à peine. D'où un risque de distanciation, voire de rejet des références violentes ou anxiogènes.»

Autre code majeur des communications en direction des jeunes, l'appartenance sociale. Au gré des campagnes, le groupe est omniprésent. «Exploiter le sentiment d'identification sociale est certainement l'un des leviers les plus efficaces, affirme Grégory Possoz. Mais toutes les catégories de publics peuvent-elles se sentir concernées par le regard d'autrui? Je pense par exemple aux usagers de drogues dures…»

Quant à la référence essentielle, celle de la connivence et de l'humour, là aussi danger. La cible est incroyablement avertie. À vouloir «faire jeune» sans réussir à dépasser le premier degré, le retour de bâton est immédiat. Et très douloureux.

 

(encadré)

Quand l'Europe parle le paneuropéen

Une campagne paneuropéenne d'utilité publique, c'est possible. En témoigne l'écho rencontré ces cinq dernières années par la campagne «Help, pour une vie sans tabac», à l'initiative de la Commission européenne. Les mêmes messages et les mêmes créations pour sensibiliser indifféremment les jeunes des 27 États membres aux dangers du tabagisme: un site Web en 22 langues, une websérie interactive, une centaine d'événements à travers l'Europe, et des publicités TV diffusés sur 134 chaînes nationales. «Nous avons opté pour une approche interactive et participative, en demandant aux jeunes quelle est leur astuce pour arrêter de fumer», explique Pierre Siquier, président de Ligaris, agence chargée du budget. Le pivot créatif de la campagne repose sur l'accentuation des scénarios collectés par des associations de jeunes Européens. Au total, 3,5 millions de vidéos vues et un taux d'attribution à la Commission européenne de plus de 30%. Budget pour l'annonceur: 10 millions d'euros, dont 3 millions pour le Web.

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