Coup de tonnerre dans le monde du maquillage: les femmes n’ont plus le monopole. Tout a commencé par la marque Covergirl, qui a dévoilé en octobre dernier son égérie masculine. Un jeune éphèbe de 17 ans, James Charles. Cet as du gloss, du fond teint et du pinceau pour visage, a commencé sur Instagram. Il compte désormais 1,2 million d’abonnés. Sur You Tube, en dix mois et 22 vidéos plus tard, le voilà qui dépasse les 600 000… Une progression record.
Ce mois-ci, c’est la marque Gemey de L’Oréal qui crée la surprise. Elle annonce sa première égérie masculine: Manny Gutierrez, 25 ans, 2 millions d’abonnés et prodige de la peinture sur soi. Une révolution pour ce secteur. En France, aucun youtubeur n’atteint encore ces niveaux, et le domaine est encore clairement sous-représenté, mais la tendance est bel est bien en train de monter. Entre octobre 2016 et janvier 2017, Richaard2609, jeune virtuose du maquillage, a vu son nombre d’abonnés passer de 26 000 à plus de 60 000. En ligne, il met des tutoriels aussi précis, assurés et avec le même bon goût que ses collègues féminines. Il s’en rapproche d’ailleurs, et fait désormais partie d’un petit réseau dédié à la beauté avec Maroua, Horia, Clara Marz ou encore Salima. Citons aussi Winslegue qui en parlant de fitness et d’art de vivre sur un ton humoristique aborde régulièrement le soin pour homme et la bonne tenue de la barbe.
L'école L'Oréal
Ce changement de paradigme, dans le monde du make-up encore très fermé aux hommes, pourrait augurer un changement sociétal de grande envergure. Les produits de maquillage masculin n’existent quasiment pas sur le marché en France. Les rares hommes qui souhaitent se farder le visage sont contraints d’acheter leurs couleurs ailleurs. Même aux États-Unis, où la tendance est plus avancée, trouver du mascara à poil dru relève parfois de la chasse au trésor. Et si la révolution venait de You Tube? «Nous avons deux garçons dans notre Beauty Tube», relate Delphine Buchotte, directrice communication et digital de L’Oréal Paris. Soit 20% des effectifs de la classe. Le Beauty Tube, c’est l’école de youtubeurs beauté de la marque. «Nous les formons sur la partie technique via des cours sur la lumière, la gestion de leur audience et nous leur donnons des masterclass beauté, raconte la directrice. Nous avons sélectionné ces youtubeurs pour développer la part de voix de la beauté au masculin sur You Tube et répondre à toutes les questions. » Le fait que les marques s’y intéressent, pour leur communication, pourrait à terme se concrétiser dans les rayons.
Il faut toutefois différencier la tendance de maquillage et celle de soin. «Il y a deux manières d’aborder la beauté au masculin sur You Tube, détaille Marine Montironi, consultante pour l'agence We Are Social, et spécialisée en youtubeurs. Il y a ceux qui sont spécialisés sur le maquillage, qui s’en sortent parfois mieux que les filles ; et ceux qui parlent de beauté au sens large. Les premiers émergent plus vite, du fait de leur extravagance. Ils sont jeunes, complètement décomplexés. Le résultat final tient parfois de la performance artistique. Leur communauté est principalement composée de filles. Les seconds, eux, sont plus masculins. Ils traitent de la beauté sous la forme du bien-être avant tout. Ils sont un peu plus âgés aussi.»
Au bonheur des dames
Si les spécialistes du grimage cartonnent sur You Tube, ce n’est sans doute en réalité que pour le bonheur de ces dames, et non encore réellement pour les hommes. «Leurs vidéos ne sont pas très différentes de celles des youtubeuses beauté, assure Delphine Buchotte. Richaard a une communauté très féminine. Il va plus s’adresser à sa communauté à la manière des youtubeuses, avec son style et son point de vue. Il utilise le fond à paillettes, un univers bien connu des youtubeuses américaines.» De son côté, Wesley est plus cash, manie l’humour. Il adopte un univers plus masculin dans ses fonds, son décor avec des tons bleu, gris ou vert.
Chacun est ainsi appréhendé par les marques en fonction de leur communauté cible. Richaard2609 a ainsi été approché par Sephora pour devenir un des «make-up artists» de l’enseigne. Une réussite qui ne se fait hélas pas sans mal. Si les youtubeuses étaient victimes de bon nombre d’insultes ou de remarques désobligeantes, les hommes eux doivent avoir le cuir encore plus dur. «Il faut être très fort mentalement pour passer outre les commentaires, parfois très durs», déplore Marie Montironi. Remarques sexistes, voire homophobes, sans rapport avec le sujet... Tout cela montre que si le maquillage pour homme s’ouvre une lucarne sur internet, il lui reste encore du chemin à parcourir dans la tête de certains.