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Black Mirror, Westworld, Mr Robot... Le futur paraît bien angoissant dans les blockbusters de la fiction TV... La dystopie, vision sombre d'un futur plus ou moins éloigné, connaît une explosion sur les écrans. Y compris dans la publicité, qui n'utilise pas toujours cette contre-utopie à bon escient.

On en ressort vaguement nauséeux, le cœur battant la chamade, comme au sortir d’un mauvais rêve. Voire sidéré sur son canapé, sonné. Le ventre endolori par l’uppercut. De la vision des épisodes de Black Mirror, la série du moment signée Netflix, on ne sort pas indemne. L’«anthologie» –série dont chaque épisode est indépendant, avec des intrigues et des personnages différents, uniquement reliés par une thématique, à la manière de La Quatrième Dimension– tend un miroir bien sombre vers nos obsessions contemporaines, qu’elle malaxe, triture et déconstruit, en les projetant dans un futur proche.

«Nosedive» [plongeon] donne à voir la dégringolade d’une jeune femme, menée à sa perte par son obsession des «like» sur les réseaux sociaux, dans un monde esclave des conventions sociales –le tout filmé dans des tons acidulés, façon filtre «Juno» sur Instagram. «Hated in the Nation» est une parabole sur un buzz devenu fou –le compte Twitter d’une jeune femme soudainement envahi de messages de haine, qui finit par engendrer des mouvements de masse– dans une atmosphère de polar. Quant à «The Waldo Moment», il relate une campagne présidentielle, bouleversée par l’irrésistible ascension d’un candidat atypique: un petit personnage de dessin animé. Tiens, tiens… Ça ne vous rappelle rien?

2016, année dystopique? L’avenir paraît radieux pour ce principe narratif, contre-utopie sous forme de «fiction, vue politique, sociale ou technologique décrivant une évolution monstrueuse ou inquiétante» (selon la définition du Robert), dont le 1984 de George Orwell est l’une des œuvres fondatrices. Alors que les noires visions de Black Mirror alimentent les conversations à la machine à café, le grand network américain NBC Universal diffuse, via sa chaîne spécialisée USA Network, Mr Robot, l’histoire d’un informaticien dépressif qui décide de prendre les armes numériques, à la suite de sa rencontre avec un mystérieux cyber-activiste.

Affadissement 

De son côté, la prestigieuse chaîne à péage HBO a lancé la série annoncée comme le nouveau Game of Thrones, le blockbuster Westworld, signé Michael Crichton (Jurassic Park). Dans cette fable sur l’intelligence artificielle, des clients fortunés viennent donner cours à leurs pulsions inavouées dans un parc d’attractions sur le thème du far-west peuplé d’androïdes plus vrais que nature. Quand ceux-ci se découvrent une conscience, on ne sait plus très bien qui, des visiteurs du parc ou de leurs habitants, sont les plus humains. De la science-fiction mêlée à des questions philosophiques, fidèles aux codes dystopiques. Par ailleurs utilisée dans un clip vidéo de Moby, «Are you lost in the world like me?», court-métrage d’animation conçu par l’illustrateur Steve Cutts, dans lesquels des quidams, abîmés dans la contemplation de leurs portables, se précipitent bel et bien vers l’abîme. Dans la dystopie, le pire est toujours sûr.

«On assiste actuellement à un retour fort du thème dystopique, amorcé depuis le début des années 2010, avec des films comme Hunger Games ou Le Labyrinthe, qui s’adressaient plutôt à des adolescents, relève Adrien Torres, planneur stratégique junior chez BETC. Il semble que les enfants de la première génération internet, les millenials, tirent un premier bilan de cette première ère de la connexion, et que ce bilan soit décevant. Cette vague dystopique va aussi de pair avec un affadissement du monde: autrefois, on se construisait contre les idéologies. Aujourd’hui, on se construit contre les technologies…»

Mais les millenials ne sont pas les seuls à contempler, fascinés, le soleil noir de la dystopie. Les questionnements sont éminemment universels, transgénérationnels. Et anciens. «Peur du renversement de l’homme par la machine, peur de la désocialisation, crise de la technologie… Nombre de ces thématiques, même les plus technologiques, ont plus de 50 ans, rappelle Sarah Lemarié, planneuse stratégique chez Marcel. Dans les années 1960, la série Doctor Who imaginait déjà un monde où les Cybermen prenaient le pouvoir et convertissaient les hommes en robots. Et l’un des épisodes les plus connus de The Twilight Zone [La Quatrième Dimension], “The Eye of the Beholder” [“L’Œil de l’Admirateur”] rappelle la problématique conformiste de “Nosedive” de Black Mirror: une femme très laide se fait opérer pour avoir une apparence plus “normale” et rejoindre le monde dont elle rêve, mais se rend compte que dans ce monde “idéal”, la norme est d’avoir une tête de cochon!». Galère...

Attraction-répulsion

La dystopie, rappelle Vincent Balusseau, professeur de marketing à Audencia Business School, offre «une infinité de ressorts dramatiques, juste un peu plus intéressants que ceux proposés dans l’utopie…». Elle a surtout la vertu de se fonder, sous couvert de futurisme, sur des «insights» on ne peut plus actuels. «Il suffit de prendre le métro pour être saisi par le nombre de gens qui tapotent leur téléphone, fait remarquer Pierre Langlais, journaliste spécialisé dans les séries à Télérama. Et je pense que la peur de se faire hacker son identité ou son compte Facebook doit figurer dans le top ten des frayeurs des sociétés occidentales… » Comme le relève Vincent Balusseau, «le fameux “Nosedive” de Black Mirror correspond déjà à la réalité du comportement des individus… qui finalement en redemandent. Peeple, une sorte de Yelp pour les gens, a défrayé la chronique. En Chine, Credit Sesame récompense les bons citoyens en leur offrant des rabais ou même des facilités d’emprunt...».Reflets déformés de nos errements de pauvres humains, les dystopies constituent aussi l’exergue monstrueuse… de certaines réalités marketing. Ainsi, Westworld et son parc d’attraction-répulsion renvoie à une réalité consommateur. «Dans la “social currency” [monnaie sociale] actuelle, ce qui est partageable sur les réseaux sociaux, c’est l’expérience, explique Adrien Torres. Les consommateurs préfèrent qu’on leur offre une expérience en VR [réalité virtuelle] plutôt que n’importe quel objet.»

Ce qui ferait vendre, ce serait plutôt l’utopie. La publicité s’essaie pourtant à son tour, et ce, de plus en plus, à la dystopie. «Les marques peuvent s’appuyer sur des promesses dystopiques pour se vendre comme une solution vertueuse, à l’instar du modèle du genre, le 1984 d’Apple, qui se positionnait alors contre le géant IBM», souligne Alastair Maclean, directeur de la stratégie de Publicis Conseil. Etienne Averseng et Sacha Garel, planneurs stratégiques chez Publicis Conseil, pointent quant à eux les campagnes Chipotle («The Scarecrow», «Back to The Start», «A Love Story»), «sortes de “Soleil Vert” publicitaire qui jouent sur les angoisses alimentaires», ou encore la campagne «The Dating Apocalypse» pour le site de rencontre Hinge, «qui fait passer les applications de rencontres mainstream pour des dystopies amoureuses».
«La logique dystopique est utilisée en publicité pour créer une tension. À l’instar de Motorola et son film “Empower the People”, représentant un monde aseptisé peuplé de personnages en blanc tous munis des mêmes appareils. De l’anti-Apple», résume Adrien Torres. Baptiste Clinet, directeur de la création d’Herezie, évoque quant à lui «Routine Republic» de Taco Bell: «Dans une esthétique à la “Bienvenue à Gattaca”, le spot déclare la guerre au McMorning de McDonald's.» Une campagne qui n’a guère convaincu Sarah Lemarié: «Alors que des campagnes comme le récent film “Your future is not mine” d’Adidas exploitent intelligemment la dystopie en disant aux millenials “on vous a compris et on est de votre côté”, le principe de Taco Bell me semble un peu gratuit. En publicité, il s’agit d’aborder la dystopie comme un phénomène culturel, pas comme un gadget… La publicité n’est pas toujours très légitime sur ce terrain.»

Et c’est sans doute précisément là que se niche le paradoxe.

«L’une des premières angoisses dystopiques, c’est bien celle de la publicité!, lâche Baptiste Clinet. 

Dans Blade Runner ou Minority Report, la publicité est omniprésente, voire omnipotente…» 

Le dernier festival international de la publicité à Cannes, immense showroom consacré aux réalités virtuelles, donnait le ton: les territoires publicitaires sont, de fait, en expansion. Romain Demongeot est directeur artistique de la réalité virtuelle et expérientielle chez Unit 9, une agence londonienne:

«En deux ou trois ans, nous avons développé 60 projets de VR pour les marques,

raconte-t-il. La VR est une véritable déferlante, qui va être en premier lieu exploitée par les marques, parmi les seules à avoir les moyens de s’approprier ces nouvelles technologies… On risque bien d’aller vers ça: l’omniprésence de la pub.»

Une fameuse marque de high-tech des années 1980 le proclamait déjà: «C’est déjà demain».

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