Pour les professionnels du marketing et de l'évènement, il était grand temps que la France rattrape son retard sur ces voisins Anglais ou Allemands en modernisant son parc d'infrastructures sportives. Stade de France à Saint-Denis, Parc OL à Lyon, Orange vélodrome à Marseille, Matmut-Atlantique à Bordeaux, Allianz Riviera à Nice...des arénas nouvelles génération voient le jour plus grandes et enfin digitalisées.
"Plus qu'une tendance, le stade connecté est devenue une nécessité pour les supporteurs, pour les clubs mais aussi pour les marques", explique l'économiste Vincent Chaudel, directeur marketing du cabinet conseil Kurt Salmon.
Pour les clubs de football français en mal de nouvelles sources de revenus, il s'agit d'abord de remplir les gradins. Selon la Ligue de football professionnel (LFP), les stades de Ligue 1 attirent en moyenne moins de 21.000 spectateurs par match. Une affluence inférieure aux modestes championnats nord-américain et même chinois et indien et à peine supérieure à la ligue allemande de... deuxième division. Avec plus de 43.000 spectateurs par match et des taux d'occupation des stades supérieurs à 90%, la Bundesliga, reine des compétions de foot outre-Rhin, parait à des années lumières de notre championnat de Ligue 1.
Mais comment remplir nos stades? La connectivité se veut être un atout maître. Le wi-fi gratuit et les applications dédiées promettent une expérience enrichie. Géolocalisation du meilleur trajet pour se rendre au stade, commande de sandwich et boisson de son siège via des paiements dématérialisés, achat du maillot du buteur du match à la boutique du club, statistiques en live sur les joueurs, possibilité de revoir les actions de la rencontre sous tous les angles... Voilà autant de dispositifs high-tech pensés pour fidéliser le spectateur et décupler son plaisir avec de nouvelles expériences à vivre. "L'idée est d'améliorer le niveau de services aux spectateurs pour reproduire sinon améliorer l'expérience de la télévision", commente Vincent Chaudel. Entre autres attractions,de l’interactivité entre supporteurs et avec le stade lui même. Comme à Wembley, où les fans peuvent changer la couleur de l'arche du stade ou dans l'Allianz Arena de Munich qui est enveloppé d'écrans lumineux dynamiques que les supporters peuvent eux-mêmes éclairer en fonction des actions de jeu de leur équipe.
Du "gaming" et du partage aussi. Des quizz, concours de pronostics, de selfie, tirages au sort et autres animations à partager sur les réseaux sociaux pour faire du supporter un ambassadeur de la communauté du club sur les réseaux sociaux.
Un calcul payant tant le fan de sport d'aujourd'hui a envie de partager ses coup de cœur et expériences sur les réseaux sociaux, mais une approche aussi très risquée. "Le wifi va permettre à tout supporteur de filmer le match, il y a donc là un risque d'uberisation des droits TV, pointe Pierre-Emmanuel Davin, directeur France de l'agence Repucom. C'est un vrai enjeu car l'économie des clubs et de la ligue est fondée sur ces droits".
De leurs côtés, les marques peuvent se frotter les mains. Cette connectivité nouvelle des arènes sportives offre, selon Pierre-Emmanuel Davin, des "déclinaisons marketing quasi-infinies".
D'abord en termes de sponsoring avec des partenariats de plus en plus intégrés. Via du naming servant à travailler son image et sa notoriété tels Allianz (stade de Nice), Orange (stade vélodrome de Marseille) ou Matmut (stade de Bordeaux) comme le font depuis des années de nombreuses marques aux Etats-Unis (Barclays, AT&T...) en Allemagne (Volkswagen , Bayer....) ou Angleterre (Emirates, Ethiad,...), ou via des partenariats technologiques pour des opérateurs télécoms, tels Orange, Bouygues, Telco ou encore Cisco pour montrer son savoir-faire.
Mais surtout, la digitalisation des enceintes sportives permet de personnaliser les campagnes et de cibler les populations. A l'étranger, les régies publicitaires en tribune commencent à fleurir permettant aux annonceurs de se positionner en fonction de la classe socio-professionnelle de l'auditoire. Ainsi dans l'Amsterdam Arena, stade du mythique club hollandais de l'Ajax, Heineken et Coca-cola se sont déjà affichés sur les sièges des rangs les plus populaires du stade et Rolex et Audi sur les plus prestigieux, c’est à dire les places plus cheres.
"Le wifi, la dématérialisation des paiements et les données publiées par les fans sur les réseaux sociaux font entrer les stades connectés dans l'ère du big data", remarque Vincent Chaudel. Cette masse d'informations consommateurs, couplée à des logiciels CRM de billetterie, permet aux marques de segmenter leurs offres et de proposer du sur-mesure". Autrement dit, ces informations sont une mine d'or pour les équipes marketing et commerciales qui y voit la promesse de ventes dopées.
Encore faut-il que le supporteur se transforme en consom'acteurs hyper-connectés qui dépensent beaucoup plus. Pas si simple en France où les recettes "jour de match", selon le dernier rapport de la LFP réalisé par la DNCG, sont qualifiées de "traditionnel talon d'Achille des clubs français". Mais finalement un beau challenge quand on sait que le jour d'un match, le panier moyen des supporters du RC Lens, pourtant considérés comme les plus fidèles de l'hexagone, est ainsi d'1€08 quand celui des spectateurs du Superbowl s'élève à 85$...
Digitaliser l'enceinte sportive présente enfin un autre intérêt. Celui de faire vivre le stade et sa communauté de fans et de clients, au delà du match. Cela implique de louer le stade pour d'autres évènements comme des concerts et des manifestations BtoB pour augmenter sa rentabilité. Au stade connecté du Parc OL à Lyon, 30 évènements de ce type sont déjà prévus pour 2016. Même stratégie à l'Orange Vélodrome ou à l'Allianz Riviera, enceinte qui accueille notamment les "Entreprenariales", salon destiné aux entrepreneurs. "Le stade connecté se doit d’être une marque à part entière qui prend la parole sur les réseaux sociaux et interagit avec ses supporters avant, pendant et après l'évènement sportif, estime Pierre-Emmanuel Davin. Et s'il est un lieu de vie, le stade a toutes les chances de plaire aux plus grand nombre. Ainsi, 8 des 25 endroits les plus « checkés » au monde sur Facebook sont des enceintes sportives. Et tous ces stades populaires sont largement fréquentés en dehors des évènements sportifs. Le Parc OL de Lyon a opté pour cette voie. Il devrait accueillir à terme un magasin du club, un hôtel, des restaurants, un musée, un centre de loisirs, 7.000 m2 de bureaux, ainsi qu’une clinique du sport.
Cette course à la rentabilité sera-t-elle du goût des supporteurs français? D'autant qu'elle pourrait s'accompagner comme en Angleterre d'une augmentation des tarifs des places. En 2014, la digitalisation du stade du PSV Eindhoven s'était accompagnée d'une banderole en tribune "Fuck Wifi, support team" pour dénoncer le manque de ferveur populaire et les spectateurs rivés sur leur smartphone.
Reste donc à trouver le bon équilibre car un stade c'est aussi une ambiance et une affiche sportive alléchante, pas seulement un temple de la consommation et de la communication.