Luxe
Ce n’est pas la panique mais l’inquiétude pointe. Plus que jamais les marques de luxe doivent s’adapter à un environnement économique et politique fluctuant. L’agilité est de mise.

En 2015, le marché mondial des produits de luxe pèse 253 milliards d’euros, selon la traditionnelle étude annuelle de Bain & Company parue en octobre. Une progression impressionnante de 13% à taux courant, mais famélique à taux constant (à peine 1% à 2%). Deux facteurs expliquent ce différentiel inédit : des fluctuations de devises sans précédent et l’émergence d’une classe de consommateurs sans frontières, qui représente désormais plus de la moitié des dépenses mondiales du secteur en maroquinerie, mode, horlogerie, joaillerie, parfums et cosmétiques.

Si la croissance demeure, la tendance n’en est pas moins à la baisse (+3% en 2014 et +7% en 2013). La faute à l’effondrement du tourisme russe et à un marché chinois, qui se contracte comme jamais. Alors que le secteur du luxe affichait encore 30% de croissance en 2011 dans l’Empire du Milieu, il s’essouffle dangereusement. Pour la première fois en décroissance en 2014 (-1%), le recul s’est confirmé cette année (-2%). «Quand la chine tousse, le luxe s'enrhume, rappelle Stéphane Truchi, président du directoire de l’Ifop. Ce marché est absolument central pour les marques de luxe.» Pour une raison simple : les clients chinois, qu’ils achètent chez eux ou à l’étranger, contribuent jusqu’à 31% de l’ensemble des ventes du secteur. Ainsi, lors des dévaluations du yuan en août dernier, des analystes de HSBC ont calculé, qu’entre le 10 et le 24 du mois, les actions des seize principales entreprises du secteur (LVMH, Richemont, Hermès, Swatch, Burberry, Moncler, Christian Dior, Prada…) ont perdu la bagatelle de 15,9% de leur valeur.

Heureusement pour l’industrie du luxe que le Japon (+9%), l’Europe (+5%) et les Etats-Unis (stable) n’aient pas bu le même bouillon. Le continent américain est devenu le premier marché du luxe, avec 34% de l’ensemble des produits du secteur. Au pays de l’oncle Sam, le nombre de millionnaires n’a jamais été aussi élevé. A eux seuls, ils représentent 24% des ventes du secteur. Selon une étude publiée en 2015 par le cabinet Spectrem Group, on compterait 10,1 millions de foyers américains millionnaires, soit 500000 de plus qu’il y a un an et deux fois plus qu’en 1996. Des grandes fortunes américaines qui ont changé leurs habitudes de consommation du luxe pour se rapprocher du comportement des Européens. «Dorénavant, les Américains très riches investissent moins dans un luxe-refuge tel l’immobilier que dans du luxe-plaisir immédiatement consommable représenté par des sacs, vêtements et bijoux», précise Philippe Jourdan, CEO de Promise Consulting, un cabinet de conseil en stratégie de marque.

Et comme le marché du luxe américain n’est pas, contrairement à d’autres pays, dépendant des flux touristiques mais alimenté pour l’essentiel par la consommation locale, c’est la ruée vers l’or pour les grandes marques françaises. Ainsi, à Miami, Louboutin, Cartier, Berlutti, Hermès, Céline ont tous ouvert des boutiques l’an passé. Tout comme Givenchy, Vuitton, Zadig & Voltaire au printemps dernier. Christian Dior fera de même en 2016. Le couturier français s’implantera également à Chicago et San Francisco. Même frénésie dans la plus grande ville de luxe au monde, New York, où 22 milliards d’euros sont dépensés dans les articles de luxe. Pour exemple, Hermès et Vilebrequin prévoient d’ouvrir de nouvelles échoppes près du World Trade Center. «Ce marché américain est d’autant plus prometteur qu’au-delà du trio New York, Miami, Los Angeles, les villes secondaires prennent le relais», note Stéphane Truchi. Dallas, Phoenix, Aspen, Las Vegas ou encore Atlanta où Hermès, Diptyque et Louboutin ont récemment acheté des pas-de-porte.

Côté chiffres d’affaires, les groupes français dominent toujours le marché mondial. Selon le classement annuel des 100 plus grands acteurs mondiaux du luxe réalisé par le cabinet Deloitte, ils réalisent près d’un quart des ventes du secteur. LVMH est toujours en tête de ce palmarès, suivi de Kering (7e) et de L’Oréal Luxe (8e). Mais des marques chinoises viennent remettre en cause cette hégémonie. Notamment le champion mondial de la joaillerie Chow Tai Fook, 4e de ce classement ou encore Michael Kors, 19e.

D’autres griffes chinoises tel Herborist en cosmétique, Maotai dans les spiritueux, Longio pour les montres, NE Tiger pour la couture commencent à se faire un nom. Et pas seulement dans le pays. Faut-il s’en inquiéter ? «Pour vraiment faire de l’ombre aux maisons françaises, il leur manque encore des critères fondamentaux du luxe comme une base mature de consommateurs, un rayonnement international ou encore une profondeur historique porteuse d'un imaginaire puissant», juge Jonathan Siboni, président de Luxurynsight, plateforme de business intelligence dédiée au luxe. Même avis pour Jean-Christophe Hérail, le président de Publicis Et Nous, qui ajoute que «les Chinois restent très attachés au made in Europe». Une façon de dire qu’ils continueront à se ruer à l’avenir vers l'Italie pour ses costumes, la Suisse pour ses montres et surtout la France pour ses bijoux, parfums, vins et autres sacs. La Chine revendique sa préférence pour les marques de luxe historiques : «Dans les grands malls de luxe de Pekin ou Shanghai, les grandes marques françaises sont mises en avant en étant accessibles au rez-de-chaussée, quand les marques premium sont généralement reléguées au premier étage et les enseignes de luxe chinoises au dernier», remarque Dan Otmezguine, DG associé de Stories, une agence de design implantée dans l’Empire du Milieu.

La Chine inquiète aussi les marques françaises pour une autre raison : la contrefaçon. Malgré les promesses du régime, ce fléau (dont le poids et les effets réels sont difficiles à mesurer) n’est toujours pas endigué. «La Chine reste le premier producteur et consommateur de contrefaçon, rappelle Jonathan Siboni. Un territoire où la propriété intellectuelle n’existe toujours pas et où l’on emploie le même mot pour dire apprendre et… copier.» Enfin, même les riches (surtout les plus jeunes) deviennent sensibles aux vertus de l’économie du partage. Vive la jouissance et à bas la possession même dans le luxe ? La revente de produits de luxe, en plein développement, pèse aujourd’hui un peu plus de 7% du marché mondial.

Face à toutes ces évolutions, «l’enjeu pour les marques de luxe consiste à apprendre à naviguer dans un environnement particulièrement volatile et difficilement prévisible», souligne Claudia D’Arpizio, associée de Bain & Company. Pour l’instant, la réponse de la plus grande parmi elles, LVMH, ne manque pas de panache : embaucher dans les prochaines années 3000 personnes par an rien qu’en France. Une initiative assez rare pour être saluée.

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