Centres d'appels
Le 3 avril 2006 a sonné le glas du 12, les renseignements téléphoniques de France Télécom, et refermé un tableau de service éloquent : près de 5 milliards de demandes traitées depuis 1939. Effective depuis novembre 2005, l'ouverture à la concurrence des services annuaires a vu apparaître, comme dans tous les pays ayant décrété la fin du monopole, une kyrielle de compétiteurs. À ce jour, vingt-huit numéros « 118 » occupent le marché. Le modèle économique de ce type de services oblige les opérateurs à un traitement industriel des appels. C'est pourquoi la quasi-totalité des services « 118 » est confiée à des sous-traitants spécialisés dans la gestion des centres d'appels, que les spécialistes appellent « outsourcers ». Filiale du britannique The Number, Le Numéro (118 218) partage la gestion des appels entre deux « outsourcers » en France, les sociétés B2S et CCA, et un partenaire au Maroc. Pages jaunes (118 008) a choisi Intra Call Center, à Reims (Marne), et Sitel, à La Rochelle (Charente-Maritime). Telegate, leader européen des renseignements téléphoniques, développe son service en France (118 000) en confiant le traitement de ses appels à Intra Call Center, à Amiens (Somme). Allô Bottin et Belgacom ont choisi de disséminer la production de leur service (118 007) dans divers centres d'appels du Nord-Pas-de-Calais. Parmi les sous-traitants retenus : European Business Opérations&Services et Le Village n° 1, une société intégrant des personnes handicapées et en difficulté d'insertion.
Volumes d'appels en chute
Exception à la règle de la sous-traitance, France Télécom gère en propre ses différents services annuaires, via les anciens centres d'appels du 12. Une entorse néanmoins au principe du tout-interne : l'externalisation chez B2S d'une partie des appels aboutissant sur le 118 712. « Il n'est pas certain que les "call centers" du 12, éclatés un peu partout en France, soient industriellement en mesure de répondre à des flux importants de trafic dans un contexte concurrentiel. À terme, France Télécom sera sans doute contraint de tabler sur l'externalisation », prévoit Éric Dadian, président d'Intra Call Center.
Sous le régime du monopole, les services annuaires traitaient chaque année quelque 250 millions d'appels. Depuis l'ouverture à la concurrence, le volume d'appels sur les services annuaires a chuté de plus de 30 %. « Le phénomène se constate dans tous les pays qui ont opté pour la libéralisation des offres », remarque Isabelle Bussel, directrice générale de Sitel France. Trop de numéros, un concert publicitaire indigeste, des paliers tarifaires illisibles, pour une qualité de service parfois improbable... Cinq jours avant la disparition du 12, l'association de consommateurs CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) testait le coût et la qualité de onze nouvelles lignes de renseignements. Les recherches simples (numéro d'un particulier) obtiennent 100 % de réponses exactes chez presque tous les opérateurs, deux services plafonnant à 86 %. Mais la fiabilité des numéros « 118 » chute dès que la recherche porte sur un professionnel ou une association : le 118 218 parvient tout juste à 25 % de bonnes réponses et quatre services enregistrent des scores d'exactitude inférieurs ou égaux à 50 %. Cela s'aggrave lorsqu'il s'agit de recherche de proximité. Les tests menés auprès des trois seuls opérateurs proposant ce service sont révélateurs : au mieux 55,5 % de bonnes réponses (118 001) et jusqu'à 55 % d'absence de réponse (118 000). D'après l'étude, les services les moins chers pour une recherche simple sont le 118 218 (Le Numéro), le 118 008 (Pages jaunes) et le 118 711 (France Télécom). Pour des recherches plus complexes, le 118 712 (France Télécom), le 118 810 (France Télécom) et le 118 001 (Intra Call Center) affichent le meilleur rapport qualité-prix.
« L'annuaire est perçu comme un service de base, alors qu'il est d'une réelle complexité, très exigeant d'un point de vue industriel, avec une productivité qui avoisine les 50 appels par téléconseiller et par heure, pour un service en 7/24 », détaille Maxime Didier, patron de B2S. Alors qu'un appel dure en moyenne 45 à 50 secondes, un téléconseiller n'en a que 4 à 5 pour comprendre la question posée. « Le 118 008 demande à ses " outsourcers " un taux de décroché de 97 % en moins de 15 secondes. Pour atteindre un tel objectif, il est nécessaire de surstaffer les équipes », affirme Éric Dadian, président d'Intra Call Center. Et Maxime Didier de corroborer : « Les " outsourcers " qui ont misé sur les services à moindre garantie de pérennité jouent un jeu dangereux. Dans ce type d'activité, nous n'avons aucune prévision sur les volumes. Il faut donc surstaffer. Pour les prestataires sans réelle puissance industrielle, c'est plus que risqué. »
S'ils ont accepté la gestion de trois services (118 218, 118 000 et 118 712), les dirigeants de B2S savent qu'à terme un de leurs clients fera long feu. Même souci de viabilité économique chez Sitel, engagé avec Pages jaunes sur un contrat de deux ans. Pour le sous-traitant, il était hors de question de travailler avec un opérateur sans garantie suffisante quant à la pérennité de son offre. En Espagne, Sitel a déployé 750 positions de travail pour le compte d'un des services annuaires. « Trois ans après l'ouverture à la concurrence en Espagne, seuls trois opérateurs ont survécu. Ce sera la même chose en France », commente Isabelle Bussel, directrice générale de Sitel.
Reposant à 70 % sur de la masse salariale, les centres d'appels adossés aux numéros « 118 » sont de véritables entreprises. À La Rochelle, Sitel, qui table sur 1 million d'appels mensuels pour les Pages jaunes, doit, dans un premier temps, créer 250 emplois. Quant à CCA, il a annoncé le recrutement à Carmaux (Tarn) de 450 téléconseillers. B2S vise, pour sa part, un volume de 30 millions d'appels en 2006 pour Le Numéro. Le 118 218 traiterait d'ores et déjà 280 000 appels quotidiens, soit 80 000 de plus que le 118 712. Les centres d'appels du Nord-Pas-de-Calais en charge de la gestion du service d'Allô Bottin et de Belgacom pourraient créer, selon l'ANPE régionale, quelque 300 emplois. « Les services annuaires constituent de véritables occasions d'insertion professionnelle pour des populations sur la touche, insiste Éric Dadian. Dès lors qu'il est installé, un numéro est une activité pérenne. » Intra Call Center gère les appels émis vers le 118 008 (Pages jaunes), le 118 333 (NRJ Mobile) et le 118 000 (Telegate), ainsi que le 118 001, son propre service annuaire. Un business qui représente 30 % du chiffre d'affaires de l'« outsourcer ».
Reste que, jeu concurrentiel et pression sur les prix obligent, le volume d'activités généré par les services annuaires ne peut s'affranchir d'un mouvement de fond vers la délocalisation. La gestion, en France, d'un appel sur les services annuaires coûte environ 45-50 centimes d'euro. Soit deux fois plus cher qu'au Maroc. La délocalisation constitue une obligation économique pour des opérateurs qui dépensent des sommes somptuaires dans les campagnes de publicité. France Télécom, Pages jaunes et Allô Bottin-Belgacom sont les seuls opérateurs à ne pas avoir opté pour la sous-traitance à l'étranger. « Traiter l'ensemble des appels en France, c'est pour eux à la limite du viable », commente Maxime Didier. Pour les trois opérateurs, le maintien de la production en France constitue un argument commercial, la délocalisation générant nécessairement une altération de la qualité de service.
Stratégiques bases de données
« On peut estimer que les différents " 118 " emploient 3 000 personnes, soit autant que l'annuaire avant ouverture à la concurrence. La différence, c'est qu'au moins un tiers de ces emplois se trouve aujourd'hui au Maroc », remarque Éric Dadian, dont l'entreprise est l'une des rares à résister à l'appel de la sous-traitance étrangère. « S'il n'en reste qu'un, je serai celui-là », lance le patron d'Intra Call Center. Sitel, tout comme B2S, ont franchi le pas en déployant d'importants plateaux au Maroc. Principal bénéficiaire de cette vogue de la délocalisation : l'« outsourcer » marocain Phone Assistance, racheté en 2004 par Arvato Services, filiale de Bertelsmann.
Le maintien des services en France relève d'un pari sur leur qualité. Aux opérateurs et à leurs partenaires gestionnaires de centres d'appels de convaincre les consommateurs qu'un service de qualité se paie. « Un appel au 12 coûtait 90 centimes d'euros. Aujourd'hui, c'est 1,12 euro. Un Français consulte en moyenne les services annuaires quatre fois par an. Le prix est un mauvais argument », lance Éric Dadian. Les opérateurs doivent, de leur côté, garantir un niveau de renseignement élevé et fiable, être en mesure de développer des services de proximité, c'est-à-dire constituer ou exploiter de considérables bases de données. Pages jaunes aura mis trente ans à construire sa base enrichie. Consciente de détenir une manne déterminante dans le jeu concurrentiel, la filiale de France Télécom a d'ailleurs cessé la commercialisation de ses données.