Le sujet qui attirait les foules, les 7 et 8 octobre derniers au Congrès HR, c'était la transformation digitale. Comme si la centaine de directeurs des ressources humaines de grandes entreprises, venus au Pré-Catelan, pour cet événement (organisé deux fois par an par Arcaneo et le groupe AEF), avaient enfin pris conscience de leur rôle de premier plan dans cette mission. Avec des questions vitales: comment y faire face? Comment convaincre les collaborateurs de monter dans le train? Faut-il les former? Et avec aussi les premiers retours d'expérience de groupes comme Axa Cap Gemini ou Keolis...
«700 métiers vont disparaître à un horizon assez proche à cause du numérique!» La prédiction de Nils Aziosmanoff, président du Cube, centre de création numérique (qui édite la revue du Cube), a jeté un froid parmi l'assemblée de DRH, aux tempes grisonnantes, présents au Pré-Catelan. Il faut dire que ce sont les DRH qui vont devoir assurer le service après-vente: accompagner ces collaborateurs dont le métier disparaît, les former, identifier les nouvelles compétences indispensables pour les organisations... Une mission délicate, vu l'ampleur de la tâche. Car d'autres défis s'ajoutent à cette évolution massive des compétences: la robotisation d'abord. «Avec la robotique, 40 à 50 % de la main d'œuvre pourrait disparaitre d'ici à vingt ans», anticipe Nils Aziosmanoff.
Tout le monde à bord
Ce que promet par exemple le géant de l'électronique chinois, Foxconn: son dirigeant, Terry Gou, avait annoncé, il y a trois ans, l'embauche de 1 million de robots. En réalité, les recrutements seraient plus modestes: tout de même 10 000 robots seraient en train d'intégrer les chaînes de production, en particulier pour produire l'Iphone 6 d'Apple. Mais il n'y a pas que les ouvriers à la chaîne qui sont concernés par ce mouvement: «Il y a déjà des robots autonomes de défense sur la frontière sud-coréenne par exemple, tout comme l'Associated press américaine recourt à des algorithmes depuis juillet pour rédiger des articles simples, en neuf secondes.»
Chez Axa France (23 000 collaborateurs), la mue est bien engagée: «Nous sommes un grand acteur de l'assurance qui fonctionne sur des cycles business très longs et confronté à la montée en puissance de nouveaux usages: les façons dont les clients consomment de l'assurance changent du tout au tout, dit Diane Rivière, digital leading business groups (responsable transformation digitale au sein de la DRH). Demain nous n'assurerons plus une voiture mais un conducteur dans tous ses types de déplacements, y compris quand il utilisera une autolib'. Nous essayons d'anticiper ces mouvements pour les gérer de la meilleure façon possible, d'un point de vue social, afin d'embarquer tout le monde.»
Pour inventer des services différenciant, la compagnie d'assurance fait évoluer tous ses services: «Cela va bien au-delà des équipes marketing et touche également le service client, l'informatique, les fonctions supports... il faut faire évoluer nos compétences, poursuit Diane Rivière. Nous avons ainsi créé un data innovation lab à Suresnes (92), par ailleurs les dirigeants ont participé à des learning-expeditions, et nous avons mis en place du reverse mentoring, et lancé un serious game.»
En termes de métiers, aussi il y a de nombreux changements: «Nous avons un enjeu RH: identifier si le métier change réellement. Parfois certaines activités sont ajoutées, tandis que d'autres disparaissent. Il faut aller regarder spécifiquement à la maille de la compétence pour voir comment les métiers évoluent. Par exemple, on a besoin d'accueillir des data scientist, mais qu'est-ce que l'on fait de nos actuaires, qui sont aussi spécialisés dans l'analyse des données? Pourquoi ne pas les faire travailler ensemble, introduire des méthodologies big-data dans l'actuariat?»
Chez Cap Gemini aussi, cette révolution génère des secousses: «Nous avons 22 000 collaborateurs en France et nous devons recruter de 2 500 à 4 000 ingénieurs par an (70% de jeunes diplômés), et également anticiper les technologies sur lesquelles on va les positionner, dit Jacques Adoue, DRH de Cap Gemini (140 000 salariés). Nous avons créé en interne des académies du digital: les salariés sont formés pendant un mois. Quand il s'agit de jeunes diplômés en sciences (maths...), cela peut durer jusqu'à quatre mois».
Même préoccupation pour le digital chez Keolis, l'opérateur de transport public (5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 55 000 salariés dans 15 pays): «Nos chauffeurs de bus ont moins d'informations sur les incidents (travaux, retards) que les voyageurs, nous réfléchissions à les équiper d'un smartphone ou d'une tablette, pour qu'ils aient accès à ces informations en temps réel, explique Olga Damiron, la DRH. Pourquoi ne pas équiper nos contrôleurs et conducteurs de bracelets connectés, sur lesquels ils pourraient appuyer pour prévenir le siège, en cas d'agression ou d'incivilités...»
Chez Axa, la révolution doit aussi être culturelle: «Nous travaillons beaucoup autour de la question de la confiance, en effet, pour innover, il faut se permettre une prise de risques, or ce n'est pas simple et cela ne va pas de soi dans l'assurance, confie Diane Rivière. Nous allons être plus transparents dans la façon dont on livre les informations dans l'entreprise ou encore la manière dont on se donne des feedbacks les uns aux autres.»
Redonner confiance pour vaincre les résistances au changement: «En gros le basculement vers le digital se passe très bien avec les seniors et les jeunes, résume Nils Aziosmanoff, mais ça bloque avec ceux qui sont entre les deux et qui sont bien souvent les managers opérationnels.»
Avis d'expert: Michaël Tartar, consultant en digital, ex Bearing point, coauteur de Transformation digitale (Pearson, 2014)
«Il y a des groupes français qui ont fait des gros efforts en matière de transformation digitale, et l'on commence à en voir les résultats aujourd'hui. Mais pour cela elles ont commencé il y a trois ans. Comme Renault sur le plan du marketing digital. Ou encore l'Oréal qui vient d'intégrer Lubomira Rochet (ex Valtech). La grande majorité des entreprises ne sont pas très en avance, et c'est ce que confirment toutes les études (Mc Kinsey, Roland Berger, Econocom). Si certaines sociétés ont fait le choix de recruter un directeur du digital (chief digital officer), cette fonction n'a pas vocation à être pérenne et paradoxalement il faut aussi préparer sa sortie. Récemment un groupe qui fait 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, a nommé comme chief digital officer, une personne issue du marketing. Au bout d'un mois, l'entreprise s'est rendue compte qu'il ne maîtrisait pas tout un pan de son métier et devait s'appuyer sur des cabinets et agences extérieurs.»
FOCUS: Le Mooc, relais de la transformation
L'opérateur Orange mise sur sa plateforme de Mooc, Solerni, lancée en février dernier, pour former ses propres collaborateurs et aussi accompagner les entreprises dans leur mutation. «Nous avons aujourd'hui quatre Mooc sur Solerni, d'abord le “digital vivons le ensemble”, qui a accueilli 5 000 inscrits (2 500 collaborateurs d'Orange et 2 500 extérieurs), puis “l'impressionnisme”, “décoder le code” et “devenir téléconseiller”», précisait Thierry Curiale, directeur du programme open social learning chez Orange, lors d'une intervention au Congrès HR. Le cours «Devenir web conseiller», qui n'a pas encore démarré, compte déjà 8000 inscrits. «Solerni, c'est gratuit pour l'instant, et nous avons une vingtaine de projets d'autres Mooc chez Orange, soulignait-il. L'objectif est d'arriver à l'équilibre en trois ans (couvrir l'ensemble des coûts, liés à 80 % à l'ingénierie pédagogique 2.0) et de parvenir à un retour sur investissement après quatre ans. Actuellement j'ai des contacts avec des groupes du CAC 40 pour leur vendre la plateforme.»