Faire redécoller Air France-KLM. Quatre mois après son arrivée, en octobre 2011, à la direction de la compagnie aérienne, Alexandre de Juniac avait pris soin de recruter un «démineur» pour avancer sur les sujets sociaux, en même temps qu'il faisait évoluer le positionnement de la compagnie, qui vient de présenter sa campagne de communication («France is in the air»). Le PDG était allé chercher Xavier Broseta, diplômé de l'Ecole normale supérieure et de l'ENA, un DRH qui a partagé sa carrière entre le public (ministère du Travail, Caisse nationale d'assurance maladie) et le privé (Thalès).
Le directeur général adjoint ressources humaines et politique sociale d'Air France est un homme de dialogue et d'endurance, qui pratique le marathon et préfère répondre aux questions des journalistes tout en marchant. Avec son PDG, il a réussi à engager des réformes en profondeur, sans déclencher de bronca sociale.
Comment était le climat quand vous êtes arrivé dans la compagnie?
Xavier Broseta. La situation économique se dégradait et il fallait faire des efforts importants. Le président a commencé par annoncer toute une série d'économies et a dévoilé sa démarche pour construire le plan «Transform», qui concernait à la fois le positionnement marketing (montée en gamme sur le long courrier) et l'entreprise, avec une baisse des coûts et une évolution des pratiques managériales. Air France, c'est une masse salariale de 5,2 milliards d'euros par an, en croissance annuelle de 2% à l'époque. Nous avons très vite annoncé qu'il faudrait dénoncer les accords sociaux existants pour avoir le champ libre et que cela remettrait en question les augmentations automatiques, les principes régissant l'ancienneté... L'objectif: gagner 20% d'efficacité économique.
Comment avez-vous déminé le terrain avec les partenaires sociaux?
Xavier Broseta. Avec Alexandre de Juniac, nous avons répété inlassablement un discours assez direct sur la situation économique périlleuse dans laquelle se trouvait Air France-KLM, les caractères urgent et sérieux des réformes. En privilégiant la transparence: nous avons par exemple répondu à toutes les demandes d'expertises des syndicats sur la situation des comptes. Du coup, au fil du temps, le ton a un peu changé: tout le monde a vu que nous nous appuyions sur des faits concrets. Les échanges avec les partenaires sociaux ont pu démarrer. Il faut comprendre que convaincre des leaders syndicaux de s'engager dans une négociation qui doit aboutir à ce que des gens travaillent plus pour gagner moins, cela n'a rien d'évident. Si Air France-KLM s'en sort aujourd'hui, c'est en partie grâce à eux. D'autant qu'il a fallu négocier avec dix syndicats en tout, représentant chacun des métiers (navigants, pilotes et personnel au sol).
Comment fonctionne le binôme PDG-DRH?
X.B. Chacun a son rôle mais il faut que nous soyons très coordonnés et cela implique de se parler tout le temps. Alexandre de Juniac et Frédéric Gagey s'expriment vis-à-vis de l'extérieur, définissent les grands axes, et moi je suis chargé de mettre en musique tout cela en interne. C'est aussi une histoire de confiance mutuelle, de «fit».
Quelle a été votre stratégie de communication interne?
X.B. J'ai travaillé main dans la main avec les équipes de communication interne, autant sur la forme que sur le fond, ou le calendrier des annonces. Par ailleurs, une fois toutes les six semaines, nous avons organisé une web-conférence, avec le PDG et le directeur financier, et répondu aux questions des salariés. Chaque vidéo a été visionnée par 1 500 à 4 000 personnes. Et puis nous avons fait un gros effort pour que les managers et responsables RH de proximité disposent des informations et puissent communiquer en direct sur le terrain.
Quelles sont les conséquences sociales de ce plan?
X.B. En février 2013, nous avons obtenu le dernier accord syndical pour ce plan qui comprend à la fois des mesures pour freiner l'évolution des salaires et une augmentation du temps de travail des collaborateurs. En échange, nous nous sommes engagés à ne procéder à aucun départ contraint de l'entreprise. Nous avons initié des plans de départs volontaires, pour chacune des trois catégories de personnel, et cela concerne à ce jour plus de 8000 personnes pour le groupe (70 000 salariés dans le groupe en 2012, dont 52 000 chez Air France).
Comment remobilisez-vous les salariés non partants?
X.B. Nous avons conscience que c'est un choc pour des collaborateurs habitués à passer toute leur vie professionnelle dans le groupe. Du coup, il est vital de proposer un accompagnement très professionnel et transparent des gens qui choisissent de s'en aller. La façon dont nous gérons ces départs a un impact sur le moral des non-partants. Par ailleurs, nous avons pris un certain nombre de décisions managériales: nous avons réduit le nombre d'échelons à six maximum entre le PDG et le salarié de base (contre jusqu'à 11 auparavant), nous avons créé un cycle annuel de progrès, avec des rendez-vous réguliers collaborateur-manager.
Quel bilan en tirez-vous?
X.B. Le groupe a amélioré son résultat d'exploitation de 250 millions d'euros, puisqu'il est passé de - 420 à -170 millions d'euros par an. Côté RH, le chantier est bien avancé: nous avons refondu toute la grille de classifications, les règles de carrière et de temps de travail. Côté navigants, d’importantes réformes sont aussi entrées en vigueur, notamment sur le moyen courrier.
La compagnie n'a-t-elle pas perdu son âme?
X.B. Certains salariés nous disaient «On ne voit pas où l'on va. Nous ne sommes plus la compagnie glorieuse d'antan. Redonnez-nous des rêves.» Notre réponse a été constante : travaillons d'abord sur la survie, pour nous donner les moyens de nous redévelopper ensuite. L'entreprise a merveilleusement réagi: le changement culturel est en train d'opérer sans porter atteinte à l'attachement à l'entreprise.