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Marque, stratégie de communication, publicité: tous ces concepts font leur entrée dans les facs. Une vraie révolution culturelle. Enquête.

«Il ne se passe pas deux semaines sans que je ne sois contacté par les commerciaux d'une agence!», s'agace Jean-Marc Lehu, directeur de la communication de Paris I Panthéon-Sorbonne. En 750 ans d'histoire, la Sorbonne, temple du savoir, n'avait jamais connu ça. La révolution est bien en cours sur les campus, avec pour mots d'ordre communication, image de marque, présence sur les réseaux sociaux, etc. Les universités sont en train de changer d'ère. Depuis août 2007 et la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, les universités ont découvert l'autonomie… et la communication. Quels sont les principaux enjeux de cette mutation? Se fait-elle sans heurts? Comment les agences de publicité abordent-elles ce nouveau marché?

À Rennes II (1200 employés et 18000 étudiants), Marianne Rei peut témoigner des difficultés à modifier les habitudes et à intégrer les nouvelles technologies. Quand cette responsable de la communication a fait le tour du campus pour présenter à chaque département l'avatar qui le représenterait sur le nouveau site Web, certains de ses interlocuteurs lui ont ri au nez: «Encore un nouveau gadget du service de com!» À Paris, même gageure. Jusqu'à l'année dernière, quand Véronique Raoult, directrice de la communication de l'université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC, ex-fac Jussieu) expliquait qu'elle planchait sur Facebook, certains responsables lui rétorquaient: «Ah, tu es encore en train de t'amuser!» Pourtant, aujourd'hui, c'est devenu le principal outil d'information des étudiants dans ce fief de l'éducation scientifique (lire en p. 38)
Principal défi pour les communicants de l'université: il leur faut, en quelques années, convertir tout leur campus aux bienfaits de la communication. Jusqu'ici, Rennes II  faisait surtout parler d'elle pour sa propension à se mobiliser en cas de mouvement étudiant. La fac doit se construire une autre image, car cette université rebelle s'apprête à rentrer dans le rang et à… se marier. «Depuis deux ans, nous avons lancé une nouvelle identité graphique et rajeuni l'image en vue de notre union avec Rennes I, la scientifique», précise Marianne Rei. Du sérieux! Nouveau logo, nouveau site Web, rénovation des plaquettes de présentation, tous les outils de communication ont été revus.

«Il faut quand même y aller doucement, faire de l'accompagnement au changement, poursuit la responsable de la communication, arrivée il y a un an et demi, et qui manie l'euphémisme. Et essayer de donner de la cohérence et de la visibilité, car les enseignants-chercheurs n'ont pas forcément la fibre communicante. Par exemple, les plaquettes de présentation des cursus pouvaient faire jusqu'à cinq pages sans aucun visuel!»

Nouvel étendard

Jean-Marc Lehu, directeur de la communication de Paris I Panthéon-Sorbonne, a aussi conscience de sa mission d'évangélisation: «Après des décennies d'absence totale de communication, c'est à nous de faire comprendre les enjeux aux présidents d'établissement. Pour attirer la crème des étudiants, enseignants et chercheurs, nous devons avoir la meilleure offre et la valoriser, et cela passe d'abord par la marque.»

Dans la plupart de ces structures, il faut porter un nouvel étendard. Exemple à l'UPMC. «Nous sommes amenés, comme Nespresso, à nous poser la question de l'impact de notre marque, par exemple si elle suscite des réactions de l'ordre de l'affectif, j'aime-j'aime pas», analyse ainsi Véronique Raoult.

À Paris I Panthéon-Sorbonne, la problématique est autre: «Nous disposons d'une très belle marque, apparue en 1257 et dont nous sommes les seuls à être dépositaires de la charte historique. Mais nous devons faire attention à ce que cette marque ancienne ne devienne pas une marque vieille», note Jean-Marc Lehu. Pour entretenir ce label, et qu'il reste jeune et dynamique, un nouveau type d'exercice s'impose: la communication. D'autant qu'il vaut mieux affirmer la marque Sorbonne avant de se la faire subtiliser par des concurrents. N'y a-t-il pas, déjà, une vraie bataille autour de ce nom ? (lire l'interview de la ministre de l'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, en p. 34)

La révolution a aussi un impact humain. Sur les campus, les services affectés à l'art de communiquer sont en train de prendre de l'ampleur. Jusqu'ici, ils étaient plutôt microscopiques: une attachée de presse pour faire la publicité du président et quelques personnes chargées de la PAO pour l'impression des brochures. Désormais, la bataille de l'image se joue sur Internet et les réseaux sociaux, et cela implique de nouvelles compétences, comme des animateurs de communauté ou des spécialistes du Web. À Paris I, Jean-Marc Lehu mise sur le multicanal. Le journal interne, désormais téléchargeable sur le site, dispose ainsi de son application Iphone.

Mesurer les résutats

L'université de Strasbourg, qui regroupe les trois établissements de la ville (42 000 étudiants, 5 000 employés), accroît aussi sa présence en ligne. Elle dispose de plusieurs fils thématiques sur Twitter et va bientôt lancer sa nouvelle page Facebook ainsi que, dans quelques mois, un site flambant neuf.

Pour professionnaliser leur approche, les campus n'hésitent pas à aller chercher des compétences dans le privé. À l'instar de Pascal Wintz, directeur de la communication de l'université de Strasbourg, qui a rejoint la structure à l'automne dernier après 25 années dans le privé. «Avant mon arrivée, c'était des enseignants, donc des non-spécialistes, qui se chargeaient de la communication», explique-t-il.

Son service compte désormais 19 personnes (15 équivalents temps-plein).

À Paris I, depuis 2009, le département communication est passé de 5 à 9 salariés et le budget a été doublé, pour atteindre 200 000 euros. Et ces services ont vocation à grandir à mesure que les universités se regroupent au sein des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (Pres), comme c'est déjà le cas à Strasbourg. «Mais pour augmenter les budgets, il faut obtenir des résultats, précise Jean-Marc Lehu. Nous allons mener des enquêtes auprès des étudiants pour mesurer l'impact de la marque et de la communication.»

Ce marché quasiment vierge aiguise bien sûr les appétits des agences de communication. «Chez Riley, l'agence cousine d'Euro RSCG C&O, basée à Londres et qui compte 180 salariés, un cinquième de l'activité provient des universités britanniques. Chez nous, c'est zéro, constate Julien Carette, directeur général adjoint d'Euro RSCG C&O. Cela donne la tendance de ce que peut devenir le marché de l'enseignement supérieur en France. Il a vocation à exploser, à l'instar de la téléphonie il y a 15 ans. Même si je ne vois pas beaucoup d'appels d'offres pour l'instant.»

Faire… de la pédagogie

Rien d'étonnant à cela, tant les processus de décision sont longs à l'université, le temps d'accorder toutes les parties prenantes (enseignants, personnel administratif, étudiants, direction de l'établissement, etc.). Car il faut obtenir une sorte de consensus. «Acheter la prestation d'une agence, ce n'est pas dans la culture universitaire, où le marketing est souvent considéré comme sale», ironise Julien Carette. Ténacité et patience sont donc de rigueur pour décrocher ces nouveaux clients. «Nous passons beaucoup de temps à faire de la pédagogie, reconnaît Manuel Canévet, directeur associé de l'agence spécialisée Campus Communication, créée à la rentrée 2008 et qui compte aujourd'hui 10 salariés. Les besoins sont forts mais le marché n'est pas encore mûr.» Les agences ont pourtant tout intérêt à s'y intéresser.

«Comme nous avons des effectifs réduits, nous recherchons des solutions clés en main», admet Jean-Marc Lehu. Les budgets destinés aux agences, de 10 000 à 100 000 euros par an, ne sont évidemment pas comparables avec ceux des géants du privé. Pour autant, des sociétés comme Noir sur blanc, déjà à la pointe sur le créneau de l'enseignement supérieur privé, sont en embuscade. Saatchi aussi serait présente sur les gros appels d'offres.

D'autant que les universités sont en train de créer des fondations pour aller chercher des financements privés. Et que ces structures seront obligées de communiquer pour se faire connaître des entreprises. Mais avant de s'attaquer à ce nouveau marché, les publicitaires devront réviser leur culture universitaire, histoire d'être prêt pour le grand oral… «Quand un responsable d'agence, au cours de sa présentation, parle de directeur d'université au lieu de président, ou d'élèves au lieu d'étudiants, c'est rédhibitoire!», remarque Véronique Raoult, de l'UPMC.

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