Longtemps, les seniors ont pris leur retraite de bonne heure. Voire avant. «J'ai travaillé pendant dix ans chez Kodak dans les années 1980, se souvient Éric Perret, aujourd'hui consultant associé chez Renaissance Conseil. J'ai vu partir en préretraite des gens qui avaient 50 ou 52 ans.»
Trente ans après leur apparition, ces «mesures d'âge» ont mis la France au dernier rang des pays européens pour l'activité des seniors. Plus grave encore: en réduisant le nombre d'actifs, elles ont aussi fragilisé le système de retraite par répartition.
Devant la dégradation de la situation, le gouvernement a pris un virage à 180° en 2009. Désormais, les entreprises doivent favoriser l'embauche ou le maintien dans l'emploi des seniors. Pour les inciter à accélérer le pas, la loi prévoit des pénalités financières pouvant atteindre 1% de la masse salariale...
Pour éviter la date butoir du 1er janvier 2010, que les pouvoirs publics ont repoussée de trois mois pour éviter une bronca naissante, les entreprises concluent des accords à tour de bras. En avril, le ministère de l'Emploi en dénombrait 26 000 uniquement dans les PME.
Si le cap change, l'optique reste la même, faute d'évolution dans les mentalités. La plupart des entreprises continuent en effet de considérer les seniors comme une catégorie homogène, un bloc sur lequel appliquer des solutions toutes faites.
Cette permanence des stéréotypes derrière les meilleures intentions a toutes les chances de provoquer des blocages. Monter des groupes de travail «seniors» ne peut aboutir qu'à une impasse, estime Monique Tessier, de BPI Consultants: «J'ai assisté à de telles réunions. Les seniors qui y sont invités ne les apprécient pas du tout. Ils veulent être reconnus pour ce qu'ils sont: des personnes à part entière avec leurs besoins et leurs envies.»
Autre inconvénient d'une telle approche : dissimuler la diversité des situations. «Derrière le terme seniors se cachent en réalité plusieurs groupes, rappelle Catherine Henry, consultante chez Altedia. Il n'y a pas que des cadres mais aussi des ouvriers, des informaticiens, et bien d'autres, dont les aspirations et les ambitions sont toutes spécifiques.»
Que faire? «Il faut valoriser individuellement les seniors!», soutient Catherine Henry, qui cite l'exemple d'Areva. Le spécialiste de l'industrie nucléaire a mis en place des «référents conseillers carrière» qui jouent un rôle important dans la remobilisation des seniors.
Derrière le stéréotype des seniors en tant que catégorie homogène s'en cache un autre, celui des «passeurs de connaissances», qui amène nombre de DRH à tout miser sur le tutorat. L'idée séduit d'emblée: accompagner les juniors pour leur transmettre les savoir-faire accumulés toute une vie durant, n'est-ce pas préserver la compétitivité de l'entreprise?
Une funeste et coûteuse illusion, plutôt, estime Michel Authier. Le créateur de l'arbre des connaissances, fondateur du cabinet Trivium, lâche un argument qui se veut définitif: «Des savoirs de vieux sont le plus souvent de vieux savoirs.» Les seniors possèdent en revanche trois autres richesses bien plus importantes mais souvent ignorées. Grâce à leur expérience, ils peuvent interpréter plus finement une situation, apporter des réponses moins conformes aux canons du jour. «Avec le recul, ils ont souvent développé une meilleure résistance aux situations nouvelles», explique Catherine Henry. Les seniors disposent enfin d'une troisième carte: un réseau de connaissances, humaines cette fois, qu'ils peuvent mobiliser à leur profit, mais pas exclusivement, pour exploiter une grande variété de ressources.
Intéressant? Capital, en réalité: «La performance collective est indispensable à la réussite de l'entreprise», rappelle Michel Authier. Éric Perret aussi estime que cette dimension peut permettre aux DRH de mobiliser les seniors avec un profit maximal pour tous: «Ils n'ont plus besoin de prouver leur valeur comme les juniors, ils ne sont plus dans un enjeu de carrière et l'envie de renforcer le collectif est souvent très présente chez eux...»
Une telle approche peut réussir à condition de laisser se tisser des liens de confiance entre seniors et juniors. LCL semble avoir choisi cette voie en créant des groupes de partage des meilleures pratiques à mettre en œuvre face aux clients. Issues de situations toujours différentes, faisant appel pour une très large part à une évaluation psychologique des acteurs en présence, elles étaient de toute façon impossibles à codifier par écrit.
Prometteurs, ces dispositifs se heurtent cependant au contexte de crise actuelle qui génère le plus souvent des comportements autoritaires apparemment logiques mais en réalité contre-productifs. «Aucune confiance relationnelle ne peut s'instaurer dans de telles conditions et c'est la productivité collective qui va en pâtir», prévoit Michel Authier.
Ce sombre présage peut cependant être déjoué si les entreprises décident de laisser se nouer de nouveaux liens entre générations. L'effacement progressif des habitudes succédera-t-il à celui des seniors ? La décision est en grande partie dans les mains des dirigeants.
Faire découvrir au lieu de faire chercher
La communication interne peut-elle favoriser la diffusion des compétences des seniors ? Michel Authier, fondateur de Trivium, estime que les outils actuels (blogs, Intranet, etc.) ont montré leurs limites: «Ces outils de recherche ne sont performants que si on sait ce qu'on cherche! Ils ne laissent aucune place à la découverte et produisent plutôt un sentiment d'isolement. Combien de fois ai-je entendu des juniors me dire: ah, si j'avais su qu'untel avait fait ça!» Sa préconisation? Les systèmes d'alerte en temps réel: «L'idéal serait que chacun soit averti, au moment où il traite un dossier, que tel ou tel autre collaborateur a déjà eu à faire au même sujet pour susciter un échange, mais, pour l'instant, cela ne peut passer que par des rencontres réelles, nécessairement plus aléatoires.» Quid du knowledge-management ? «Ces systèmes ne sont accessibles qu'à ceux qui les ont conçus. Vous connaissez beaucoup de gens qui savent utiliser un thésaurus?»