«Les Nameless, un groupe de hackers, s’apprêtent à prendre le contrôle du ballon Generali qui prend des mesures de qualité de l’air. Cet outil préventif contre la pollution est dangereusement menacé. L’attaque est prévue pour dans 60 minutes. Vous devez déjouer leurs plans et sauver Generali». C’est par ces mots que débute la plongée dans l’escape game qui se tient, en cet après-midi du mois de mai, au siège de Generali, à Saint-Denis dans la région parisienne. À une époque où le jeu sous toutes ses formes (jeux vidéo, jeux de société) et la gamification sont tendance en entreprise, Generali a misé sur l’escape game. Une mission, un espace déterminé, un temps limité: le jeu d’évasion peut commencer.
Au sein de l’auditorium de la compagnie d’assurance, l’heure est à la concentration… et à l’excitation. Dans un joyeux bazar, les 60 jeunes recrues, invitées à participer à ce jeu dans le cadre de leur séminaire d’intégration, se répartissent rapidement en douze équipes de cinq. Avec pour seuls outils du papier, un crayon et une tablette, les groupes se précipitent au troisième étage où ont été préalablement installés les espaces de jeux, la «planque des hackers». Des salles de réunion classiques transformées pour l’occasion: l’atelier, le salon et le laboratoire. Le but du jeu est de récupérer dans chaque pièce les items demandés.
Un récit aux couleurs de la marque
«Les espaces dédiés au travail peuvent être très austères. En quelques touches –projecteurs, tables renversées, affichage–, nous créons tout un univers. Les participants oublient qu’ils sont au bureau», explique Aline Conxicoeur, responsable commerciale de la start-up Collock (1), spécialiste de l’escape game nomade à destination des entreprises. «Nous composons des scénarios sur mesure adaptés au brief fourni par l’entreprise», ajoute la jeune entrepreneuse. La start-up peut ainsi travailler pendant deux à six mois sur un projet précis pour ajuster le récit aux couleurs de la marque.
Pour Generali, l’objectif est double: permettre la rencontre et l’échange entre les collaborateurs, mais aussi valoriser la marque employeur. «Typiquement, l’évocation du ballon Generali au cœur de la narration, un symbole fort de l'entreprise, a pour objectif de réveiller l’esprit corporate des participants, assure Marie Ducatteau, chef de projet formation-RH à Generali France. C’est important pour nous, surtout dans le secteur de l’assurance qui peut paraître un peu démodé.»
Au fil du jeu et des énigmes à résoudre, les employés partagent plus qu’un simple séminaire d’intégration. Une métaphore du travail en équipe qui révèle les personnalités et les comportements: la stratégie, le calme, la concentration, l’enthousiasme, l’écoute, le charisme… «L’escape game a pour effet de mieux se connaître soi-même, d'évaluer ses atouts et aussi d'identifier ses défauts, reconnaît ce chargé de produits financiers. Aussi, ça m’a permis de nouer des contacts dans l’entreprise, j’ai identifié que tel collègue travaille dans tel service, je vais pouvoir le solliciter plus facilement par la suite.»
Pour le plaisir
Chasse au trésor
Il n’y a pas que les jeux vidéo qui se développent dans les entreprises, les jeux de société ont aussi la cote. La start-up Aktisea a intégré les mécanismes d’un jeu plus traditionnel dans son management: «Je suis un grand enfant, j’aime jouer, note le cofondateur d’Aktisea, Alban Grolleau. Et les jeux de société sont intemporels.» À chaque arrivée d’un nouveau collaborateur dans l'entreprise, il organise une chasse au trésor. Pendant deux semaines, le novice se voit confier des missions, un moyen d’intégration, de reconnaissance de l’entreprise et surtout une façon de découvrir ses nouveaux collègues.
D’autres animations sont également organisées, cette fois-ci plus ponctuelles, comme lors de la Saint-Valentin ou d’autres fêtes. Le fil conducteur: créer davantage de cohésion entre les collaborateurs. On le voit notamment dans Astroneer, un jeu collectif où le participant est forcé de collaborer pour survivre. Avec une bande d’astronautes, il doit construire une base et dispose d'une durée de vie limitée par sa réserve d’oxygène. Le joueur ne peut pas la construire seul, mais avec ses collègues.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, créer un jeu n’est pas simple, c’est un vrai métier: identifier le besoin de l’entreprise, produire le jeu, tester un prototype, avant d’arriver à la version finale. Un cheminement qui prend du temps et qui a surtout un coût, entre 10 000 et plus de 300 000 euros.
Trois jeux, trois objectifs
Happy Formance, pour collaborer
Basé sur la méthode des OKR (Objectives and Key Results), ce jeu prône le travail en équipe. Chaque personnage a un rôle bien défini. Les participants doivent atteindre ensemble les objectifs dans un temps imparti. «C’est comme un match de foot, les joueurs peuvent être attaquants, défenseurs et pourtant ils ont le même but: gagner», explique Dominique Mangiatordi, fondateur d’OPP, expert en gaming. Les gagnants reçoivent des récompenses collectives ou individuelles. Les résultats sont instantanément transmis à leurs managers. Ce jeu est utilisé pour des équipes marketing, RH, projet…
Peak me up, pour challenger
Avec cette application, les leviers d’engagement sont bien différents. La méthode utilisée est le PBL, autrement dit: point, badge et leader board, censés stimuler la performance individuelle et la compétition. Le jeu cible plutôt des directeurs commerciaux qui veulent accroitre leurs ventes. «Les commerciaux sont bien sûr plus enclins à la compétition, ils ont besoin de victimes pour briller.»
Hunters, pour chasser
Sorti il y a trois semaines, ce jeu de recrutement par cooptation appelle les employés à devenir des chasseurs de tête. Plongés dans l’univers du Far West, les collaborateurs attrapent les candidats au lasso et les mettent dans un enclos. «En peu de temps, il a connu un gros succès, notamment dans le conseil chez les Big four. Avec la cooptation en entreprise, les salariés touchent un bonus qui leur permet d’étoffer leur carnet d’adresses.»
Avis d’expert
«La gamification permet l'adhésion»
Nathan Scheire, leader créatif au pôle innovation de La Poste
Pourquoi un tel engouement pour la gamification?
On voit des entreprises de toutes tailles qui font l’expérience de nouveaux maux comme le burn-out, le bore-out, le brown-out… Les profils générations Z considèrent désormais le travail comme alimentaire, ils se démotivent facilement et sont dans une mobilité permanente. En parallèle, de nouvelles façons de manager émergent, les jeux en font partie. Les nouvelles générations jouent de plus en plus, ont une vraie appétence pour la gamification. Or elle permet de faire davantage adhérer à l’entreprise, ses valeurs, sa culture. En matière de gamification, on se focalise souvent sur les règles du jeu mais l’élément primordial c’est le storytelling. Pour ma part, j’intègre les mécanismes de gamification dans tous les dossiers que l’on apporte sur mon bureau, aussi bien pour les applications que pour les réunions de travail.
Qu’est-ce qu’un bon jeu selon vous?
C’est celui où la cible atteint rapidement l’état ludique, c’est-à-dire le moment où la personne arrive à prendre du recul sur le réel pour entrer dans un univers onirique. C’est le moment où vous avez le premier rire, où les collaborateurs oublient leur statut pour se concentrer sur leur objectif avec entrain. Selon le profil ou la personnalité du joueur, le jeu idéal ne sera pas le même. La dimension psychologique et sociologique des salariés doit être prise en compte. Le mécanisme de gamification consiste justement à faire effectuer des actions à des individus sans que cela soit pris comme une contrainte mais plutôt comme un plaisir.