«Nous allons commencer par un tour d’inclusion», «La parole est au facilitateur» ou encore «Je parle en tant que membre du premier cercle client»… Au pays des entreprises sans chef, les réunions peuvent sembler un brin surréalistes. L’agence Human to Human (groupe Hopscotch), 35 salariés, a adopté l’holacratie depuis six mois. Une révolution totale. Les managers ont renoncé à leur titre et s’appellent désormais: «Pilote central client» ou «Appui stratégique clients»…
Le 7 mars dernier, au matin, se tenait la réunion de gouvernance de Human to Human: autour de la table, sept salariés de l’agence, dont son ancien président, Jérôme Delaveau. Premier rituel pour démarrer: le tour d’inclusion, destiné à vérifier si tout le monde est 100% présent à la réunion. «Je termine un mail et je serais disponible dans deux minutes», répond ainsi l’une des collaboratrices de l’agence. Puis vient le tour de «check»: «Afin de vérifier que chacun a bien effectué un certain nombre de tâches, comme par exemple mettre à jour le tableau du new-biz (gains de budgets)», explique Jérôme Delaveau. Les réunions sont très codifiées, respectent la constitution de l’holacratie (lire ci-dessous), et sont guidées par un logiciel. Ce modèle d’organisation a également séduit également l’agence Sidièse (vingt collaborateurs). Et si cette petite révolution qui se déroule actuellement, juste à côté de la Bourse, chez Human to human, était un modèle d’avenir pour les agences?
Chez Sidièse ou Human to Human, chaque individu est considéré comme un rôle. «C’est une sorte de microentreprise où il est responsable de son terrain de jeu», explique Jean-Michel Gode, consultant indépendant, spécialiste de l’organisation. Jérôme Delaveau explicite: «Chaque rôle a des devoirs, des responsabilités et des redevabilités». Concrètement les différents activités de l’agence sont organisées par cercle: un cercle général, puis des cercles par métiers (client, finance, etc.).
Sortir de l'hamstérisation
L’holacratie, cela commence donc par un travail de cartographie: établir les missions de chacun. «Cette clarification de fonctionnement permet à chacun de se recentrer sur ses missions, et la structure est mieux organisée et tourne donc plus vite», note Jean-Michel Gode. «Après quinze ans d’agence, nous tournions un peu comme des hamsters dans leur roue, avec toujours les mêmes conflits entre commercial et création, confie Gildas Bonnel, ex-président de Sidièse et président de la commission développement durable de l’AACC. Il fallait explorer cette nouvelle voie.» Si Human to Human a choisi ce modèle depuis l’été dernier, c’est aussi pour cela: «Lors des entretiens annuels, nos jeunes collaborateurs (27 ans de moyenne d’âge) nous avaient dit qu’ils en avaient ras-le-bol de la réorganisation permanente, qui finissait toujours par les décevoir», relate Jérôme Delaveau.
Les managers de l’agence se sont interrogés en profondeur sur ce que les salariés attendaient de l’entreprise, et sur la façon de libérer les énergies. Une telle démarche doit être cohérente avec l’activité de l’entreprise: «La raison d’être de l’agence, c’est de “hacker” la communication corporate, du coup on s’est dit que l’on allait tout aligner sur cette mission et “hacker” notre propre organisation», poursuit l’ex-président. Le principal changement de l’holacratie, c’est donc le renoncement à la hiérarchie. «Je n’ai plus de titre de président, à la place, j’ai une vingtaine de rôles à assumer, comme par exemple “pilote central de la relation client”», poursuit Jérôme Delaveau. L’holacratie offre aussi plus souplesse aux entreprises, qui doivent se transformer en permanence: «A chaque nouveau métier, il nous suffit de créer un nouveau rôle», explique Fabien Contino, ex-directeur associé de Human to Human.
De son côté, Sidièse en est aux prémices de l’adoption de l’holacratie: «Nous avons commencé par créer les différents cercles, et cela oblige à repenser la gouvernance de l’entreprise, en se demandant qui l’on va faire rentrer dans ces cercles», détaille Gildas Bonnel. Sidièse expérimente un nouveau type de réunions: «Chacun peut évoquer ses tensions, ses sujets de blocage. Par exemple j’avais une tension sur le budget, et j’ai pu exprimer cette difficulté jusqu’au bout», décrit Gildas Bonnel. Dans les agences, où règnent sans partage les grandes gueules, cela redistribue la parole aux plus discrets. D’ailleurs, selon l’ex-président de Sidièse, l’un des principaux défis est de «redonner la parole aux jeunes».
Avis d'expert
«Une constitution de 36 pages définit les règles»
Bernard-Marie Chiquet, directeur d’IGI Partners, cabinet de recherche en méthodes de management
D’où vient l’holacratie?
Bernard-Marie Chiquet. Le concept a vu le jour en 2001 chez Ternary Software, une entreprise américaine. L’un des jeunes fondateurs, Brian Robertson, ne se voyait absolument pas travailler toute sa vie dans une entreprise classique. Il a décidé d’inventer un nouveau modèle d’organisation inspiré des méthodes agiles du MIT (Massachussetts Institute of technology). Il a décidé de baptiser ce concept: «holacracy». Puis de le diffuser à d’autres sociétés afin que cela devienne un méta-outil. L’«holacracy» comprend une constitution, avec ses règles du jeu: 36 pages en open-source.
L’engouement pour ce mode d’organisation est-il fort?
B.-M.C. Il y a de plus en plus d’entreprises qui s’y convertissent. La plus célèbre est la société e-commerce, Zappos, avec ses 1500 salariés ou encore l’agence de marketing Me Plus You (ex IMC2, 200 salariés) aux Etats-Unis. En France, des sociétés assez diverses se convertissent à l’holacratie: comme par exemple l’une des directions de Kingfisher (bricolage) ou les magasins bio, Scarabée biocoop (170 salariés).
Comment expliquez-vous ce mouvement?
B.-M.C. Le modèle de management actuel, très hiérarchisé, a été inventé il y a plus d’un siècle, et il est fondé sur une dualité manager-salarié, avec un droit du travail pour réguler cette relation. Aujourd’hui il y a une aspiration forte pour l’entreprise libérée, une structure où il n’y a plus de manager du tout.
L’holacratie, comment ça marche?
1- Il faut commencer par réfléchir à la raison d’être de l’entreprise et établir une cartographie des missions de chacun. Puis attribuer un ou plusieurs rôle(s) aux collaborateurs. Au sein de ces rôles chaque salarié est totalement autonome, il a simplement des «redevabilités» vis-à-vis de l’organisation. 2 -Créer des cercles: le cercle général (de gouvernance), puis par métiers (commercial, gestion, finance…). 3 – Organiser des réunions régulières pour chacun de ces cercles en respectant la «Constitution» de l’holacratie qui fixe le cadre de ces échanges. Rien n’est laissé au hasard lors de ces réunions, qui suivent un déroulé prévu par un logiciel baptisé Glassfrog.