«Le management c'est plus difficile que le marketing: il est toujours plus compliqué de vendre de l'effort que du plaisir!» Pour inaugurer le congrès HR (des directeurs des ressources humaines, organisé par Arcaneo, groupe AEF), le 8 avril dernier, le philosophe André Comte-Sponville a convoqué Spinoza, Platon et Schopenhauer… Au Pré-Catelan, dans le bois de Boulogne, Comte-Sponville a également fait appel au bon sens des DRH du CAC 40, présents dans l’assemblée: «Accordez autant de temps et d'énergie à vos collaborateurs qu’à vos clients.» Et le philosophe de rappeler les clés de la motivation: «Ce qui fait courir les salariés, c’est la chasse au bonheur, elle est ouverte tous les matins dans l’entreprise.» Autrement dit, le DRH devrait être le fournisseur officiel de bonheur dans la société. Trop ambitieux sans doute. Heureusement, les directeurs des ressources humaines ont aussi pu glaner d’autres conseils, plus à leur portée, lors des deux jours du Congrès HR. Voici les tendances émergentes.
Culture de l’échec et nouveau management
Adieu le manager omniscient, désormais, il faut avancer au rythme du test & learn. Alexandre Bompard, PDG de la Fnac, va plus loin: «Il faut développer une culture de l’échec et ne pas hésiter à changer de décision si l’on s’est trompé.» Autre façon pour le manager de fendre l’armure: renoncer à être un «control freak» (maniaque du contrôle). Ce que confirme le psychiatre Serge Tisseron: «Avec le numérique, le manager doit se défaire du désir d'emprise, il doit indiquer à ses collaborateurs l'objectif mais pas le chemin. Concrètement cela permet aux personnes de bâtir leur propre feuille de route (qui peut sembler étonnante au manager), cela accroît la motivation intrinsèque du salarié et donne de meilleurs résultats.»
Autre défi, selon Bénédicte Tilloy, DG ressources humaines de SNCF Réseau: «Nous devons faire émerger de nouvelles formes de leadership sur les réseaux sociaux, faire en sorte que les salariés puissent suggérer des propositions quelle que soit leur place dans l’organisation.» Pour accompagner l’émergence du collaboratif, le psychiatre, Serge Tisseron recommande «de créer des social club - réels ou numériques - pour que les gens partagent leurs passions, des espaces d’échange». Même constat d’Alain Roumilhac, PDG de Manpower France, «il faut créer des structures apprenantes, libérer l’initiative et la parole».
Dialogue doublement social
«Tous les soirs, à 22h30, j’ai un échange avec le meilleur dialecticien de Sud rail sur Twitter, sourit Bénédicte Tilloy, DG ressources humaines de SNCF réseau. Sur cette plateforme, je suis contredite par certains collaborateurs, qui eux-mêmes sont critiqués par des clients… Cela fait bouger les représentations et le dialogue social. J'ai même réussi à régler un conflit social gare Saint Lazare, en partageant le sujet sur Twitter.» Si Guillaume Pepy n'a pas encore de compte Twitter cela ne devrait pas tarder, selon la manager: «Tous les membres du comité exécutif de la SNCF ont suivi récemment une formation à ce réseau social.»
«Digital worker»
«Nous sommes tous plus digitaux dans notre vie privée que dans notre vie professionnelle, constate Tania Dammert, directrice de la HR business school d’Orange. L’entreprise doit rattraper ce retard, nous devons être un modèle d’employeur digital et humain, et embarquer l’ensemble de nos salariés. »
Autre facette des «digital workers», ils utilisent les canaux numériques pour leur travail quotidien: «Nous sommes déjà tous des digital workers, affirme Raphaëlle Jourdan, directrice de projet à la Cegos. 43 % des salariés communiquent sur les produits et services de leur entreprise sur les réseaux sociaux, d’ailleurs sans forcément d’autorisation. Cette agilité et nouvelle façon de communiquer caractérise le digital worker.» A la SNCF, le même mouvement est enclenché: «Nous équipons nos collaborateurs en smartphones et tablettes pour développer les interactions entre clients, personnels, syndicalistes…», note Bénédicte Tilloy, DG ressources humaines de SNCF réseau.
Par ailleurs, la directrice de l’école interne d’Orange a créé un fab lab RH: «Je réunis des gens avec des profils très différents, et l’on teste de nouvelles idées, nouvelles façons de travailler pour les RH, jusqu’au prototype. Par exemple, nous sommes en train de «prototyper» un serious game pour évaluer les compétences d’une façon différente, en partant de Linked In, où les profils des salariés sont bien mieux remplis que dans notre logiciel RH interne. Nous essayons de voir comment repérer les compétences utiles pour demain, en partant du salarié.»
Avis d’expert
«Les hommes ne sont pas préparés à l’innovation de rupture»
PASCAL LE MASSON, professeur à Mines Paristech, au sein de la chaire Théorie et méthodes de la conception innovante.
Qu’est ce qui freine l’innovation dans les grands groupes aujourd’hui?
PASCAL LE MASSON. Il faut d’abord constater un progrès: aujourd'hui il y a des directions de l'innovation dans tous les groupes. La marche haute à franchir tient plutôt à un changement de mentalité: l’innovation oblige à adopter une façon de penser différente, seule manière d’apporter des réponses qui sortent des représentations habituelles (cela s’appelle des fixations). Les hommes ne sont pas très bien préparés à ces situations d’innovation de rupture. Et cela ne s’apprend pas en un séminaire de créativité. Et puis je constate encore des échecs dans les groupes: des équipes projets identifient une innovation majeure; le comité exécutif (où, bien souvent, le directeur de l’innovation ne siège pas) bloque son développement; et, cinq ans plus tard, un concurrent arrive sur le marché avec cette idée.
Quelques pistes pour favoriser l'innovation?
P.L.M. D’abord, si vous voulez être créatif, il faut un long temps de partage d'expertise en amont: voilà ce que l’on sait ou ne sait pas du produit, du marché, et de ses anomalies. J’appelle cela dresser un état du «non-art».
Ensuite il faut explorer l’imaginaire, en forçant le processus créatif dans certaines directions. Enfin il y a la tentation de retenir la ou les trois meilleures idées à la fin du processus. Or il ne faut surtout pas écarter les autres pistes: au contraire je recommande de créer un portefeuille de projets, avec un étagement des projets dans le temps.
BNP Paribas coache ses salariés vers le digital
«Mon rôle est de préparer l’entreprise aux évolutions du digital, avec des relations de plus en plus à distance, des conseillers confrontés à des clients exigeants, mieux informés que jamais, explique Ian Poinsenet, directeur du programme digital working BNP Paribas banque de détail. Il y a aussi des attentes fortes de nos collaborateurs, qui veulent être aussi bien équipés qu’à la maison. Certaines jeunes recrues nous demandent même en entretien d’embauche si l’on a un réseau social interne. On devient progressivement tous des membres de la génération Y. Il faut embarquer tout le monde dans cette transformation et dans la collaboration: c’est un coaching très progressif, par petit bouts, par expérience, pour avancer dans la complexité. De la même manière que l’on n’apprend pas à maitriser le tableur Excel en une seule fois.»