«Tout n’est socialement qu’inventions et imitations.». Ainsi le sociologue Jean-Gabriel Tarde explique les comportements sociaux par des tendances psychologiques individuelles, dont l’imitation des élites. Et c’est bien le sujet des influenceurs : du haut d’une hiérarchie installée ou autoproclamée vers le reste de la société avide d’identification, se diffuse une pensée.
Mais déjà les égéries d’aujourd’hui ne sont plus les muses d’hier. Elles se succèdent au pinacle des marques, à un rythme qui s’accélère au gré des modes qui passent. Elles n’incarnent plus véritablement les marques, tout juste font-elles des ménages entre d’autres activités. Alors que la foule des «imitants» n’est plus rassasiée par ces nouvelles croyances, s’annonce l’inexorable déclin qui rendrait aux nouveaux possédés leur immanence perdue… Un phénomène récent, qui expliquerait la désillusion autour de l’impact de l’influence en général et des professionnels (B2B) en particulier. Les influenceurs ont perdu de leur aura magnétique à force de transiger avec leur intégrité en vendant (dealant) leur influence (leader d’opinions-dealer d’opinions).
Car l’influence réelle ne se monnaie pas, et au risque de porter un regard contempteur sur les pratiques de l’influence, il reste nécessaire de se poser cette question : est-ce que l’influence procède d’une intention ? Est-ce que celle-ci est honnête ?
La foule influence à son tour
Cela revient aussi à s’interroger sur la nature même de l’influenceur. Le véritable influenceur écartera d’ailleurs les appellations d’influenceur, de gourou, pour préférer celles d’expert, de spécialiste. Ces derniers ne s’exprimant que sur un nombre de sujets de prédilections définis. L’influenceur autoproclamé moderne, lui, est bavard. La prise de parole frénétique, sur tous les sujets (omniscience fantasmée) n’est définitivement pas une qualité. Quel malentendu, quel tropisme aurait octroyé aux influenceurs toute légitimité à s’exprimer, à posséder l’esprit des croyants ? En réalité, nous assistons à la fin d’une utopie. L’influence et l’audience sont deux choses distinctes.
Ainsi, de la youtubeuse Rawvana au sportif Tim Shieff, tous deux chantres du végan, en passant par les youtubeurs EmmaCakeCup et Paul Logan, l'instagrammeuse Simone Anderson, les influenceurs qui font acte de contrition se multiplient ; la plupart du temps sous la pression des «shitstorm» orchestrés par les communautés de fans, qui sont en révolte face aux contradictions ou aux compromissions de leurs stars éphémères. La foule décryptant de mieux en mieux les codes de l’influence se rebelle et use des mêmes médias pour s’insurger et influencer à son tour.
Une nouvelle vague de conscience émerge, prête à brûler ses idoles, désacraliser le dogme de l’influence pour se réapproprier le réel… Car le temps n’est plus à la repentance, la légitimité supposée ou supposée légitimité de l’influenceur ne fait plus débat. Le terrain de l’influence s’est effectivement déplacé. En effet, il ne se passe pas un jour sans qu’il ne soit annoncé le remplacement des décideurs (entre autres) par un algorithme, sans qu’un nouveau test de Turing soit réussi. L’intelligence artificielle, qui, de plus en plus, analyse et prédit nos comportements, se prépare à façonner nos désirs futurs. Ce qui ouvre d’ailleurs aux marketeurs un nouveau territoire, car si le jugement humain n’est plus influençable, comment influencer une IA ?