Être une entreprise en 2019, c’est être cerné par la politique. À l’heure de l’agora numérique universelle, les crises d’image ne sont plus liées principalement à des produits défectueux, mais à des valeurs bafouées aux yeux des internautes : chaque année, quatre bad buzz sur dix éclatent autour du thème des inégalités. Telle une personnalité politique, on attend d’une entreprise qu’elle soit cohérente avec les principes qu’elle affiche, mais aussi qu’elle ait quelque chose à dire sur tout. L’enjeu n’est plus seulement d’apparaître comme une « entreprise citoyenne » au programme RSE exemplaire, mais bien de savoir prendre position sur des sujets de société clivants. Une exigence immense alors que l’opinion se fragmente en communautés aux valeurs toujours plus diverses et revendicatrices.
Culture du boycott
Près d’un Français sur deux déclare s’être déjà exprimé sur les réseaux sociaux pour faire part de son indignation suite à des révélations sur une entreprise, selon l'étude E-réputation des entreprises d'Ifop pour August & Debouzy et Havas Legal & Litigation. Et cette colère ne se limite pas à des prises de parole : 47% des Français assurent avoir déjà renoncé à acheter un produit ou un service d’une marque suite à un scandale, un taux qui atteint 59% chez les 18-24 ans. Inexorablement, une culture du boycott s’installe, d'où l'importance d'anticiper.
Lorsque la crise survient malgré tout, les entreprises touchées doivent prendre des décisions de plus en plus rapides. Face à un scandale, 65% des Français estiment qu’une entreprise doit « prendre la parole rapidement pour s’expliquer et/ou s’excuser ». Sanction immédiate du directeur marketing de Nocibé suite à un tweet islamophobe, mise à pied des membres de la Ligue du LOL, retrait du hijab de Decathlon : il semble loin le temps (2017) où la direction d'United Airlines cafouillait pendant plusieurs jours et refusait de s’excuser suite à l’expulsion forcée d’un de ses passagers.
Vient enfin le temps de la reconstruction. Chaque stratégie dépend de la nature de la crise. Avoir produit du lait contaminé comme Lactalis ne laisse aucun choix : il faut rappeler des millions de produits, se soumettre à des contrôles drastiques et espérer que la confiance revienne. Proposer un produit conforme à l’Islam est beaucoup plus complexe ; aucune décision ne pourra satisfaire tout le monde. Alors que 80% des Français considèrent la crise Lactalis comme « grave », ils ne sont que 43% à partager cette opinion concernant les crises d’image liées au développement de la mode islamique (32% chez les plus jeunes). Dans ce contexte, une marque peut choisir de ne plus se positionner sur ces produits polémiques pour garantir la paix civile, au risque de perdre des marchés futurs et de contredire son identité.
Nike contre Trump
À l’opposé, une marque peut assumer une position minoritaire dans l’opinion et faire, de facto, de la politique. En septembre 2018, Nike a choisi comme égérie le footballeur américain Colin Kaepernick, qui s’était agenouillé publiquement pendant l’hymne américain en signe d’opposition au président Trump. En faisant cela, la marque à la virgule a pris le risque de perdre des clients parmi les électeurs du milliardaire américain, mais elle a aussi gagné en crédibilité auprès des jeunes générations. Le pari semble gagnant : la pub gratuite générée par le buzz autour de la campagne Nike a été estimée à 43 millions de dollars et la marque a bénéficié d’une hausse de fréquentation sur son site internet. Autre indicateur, Nike reste la marque d’habillement la plus valorisée en 2019.
Après la période des entreprises citoyennes, l’ère est aux entreprises politiques. L’éthique ou la morale ne suffisent plus, place à l’engagement et aux positions fortes. L’authenticité est à ce prix-là.